A BIGGER SPLASH
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[CRITIQUE] A BIGGER SPLASH

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Scénario
5
Casting
6.5
Mise en scène
6
Originalité du remake
6.5
Note des lecteurs1 Note
7
6

Luca Guadagnino plonge dans  La piscine de Jaques Deray et réalise A BIGGER SPLASH, un remake ambitieux dont l’annonce est pour le moins grisante puisque le film mythique de 1969 conserve encore toute sa superbe aujourd’hui. Mais Luca Guadagnino prend de belles distances avec l’œuvre originale et s’en offre une véritable réinterprétation. Exit la bluette dramatique, il ne garde du scénario de base que l’armature et nous voici propulsés dans un huis clos psychologique aux abondants sujets et à l’originalité certaine. A BIGGER SPLASH bouscule le genre, transpose son propos et modernise radicalement l’aura des personnages.  Tilda Switon, Matthias Shoenaerts, Ralph Fiennes et Dakota Johnson :  pour former le nouveau quatuor ardent le réalisateur est allé chercher des comédiens aux univers lointains. On est curieux, A BIGGER SPLASH est définitivement un nouveau film, pour le meilleur… mais aussi pour le pire. Et ce n’est pas faute d’avoir voulu panacher l’intrigue originelle dont on ne tarit plus d’éloges sur la (brillante) sobriété. Digressions thématiques engagées, narrativité alambiquée et écriture des personnages abrégée, A BIGGER SPLASH est un récit désarticulé. Malgré quelques belles fulgurances, les différentes strates du film ne se lient pas entre elles si ce n’est de manière très factice. Le réalisateur traite chaque aspect de son film indépendamment les uns des autres et laisse une impression d’empiler des boites vides. A BIGGER SPLASH dispose d’une structure brillante et minutieusement pensée mais qui manque de l’essentiel : la matière organique.

Marianne Lane est une rock star en convalescence, après une opération des cordes vocales, elle part en vacances avec Paul son compagnon. Leur intimité tranquille est brisée par l’arrivée d’Harry, son ex amant et producteur avec qui elle a entretenu il y a plusieurs années une relation tumultueuse, et de sa fille Pénélope. Leur cohabitation saisonnière va révéler la nature réelle de leur relation.

Photo du film A BIGGER SPLASH
© StudioCanal

Il souffle un beau vent de féminisme sur le film de Luca Guadagnino qui érige dés la scène d’ouverture sa nouvelle Marianne dans une position quasi-militante. La chanteuse de rock platine à la grandeur toute phallique s’avance sur la scène d’un stade à la foule en délire,« She’s the legend of the century » . La délicate bourgeoise de  Jacques Deray a troqué son élégant brushing contre la ressemblance confondante à David Bowie d’une couguar androgyne. Marianne a le sexe fort et bouillonnant sous la jupe, elle est libre, ses mœurs sont débridées et elle domine le monde qui l’entoure (passe droit au restaurant, célébrité au dessus des lois, désirs de tous les hommes…). Elle coule des jours tranquilles avec Paul, de quinze ans sont cadet, qui lui voue une admiration sans réserve et s’y consacre totalement, la gratifiant de ses exploits d’amant torride et attentions d’assistant personnel. Marianne semble toute puissante. Pour autant, Guadagnino n’hésite pas à lui octroyer un trait éminemment subversif en choisissant de lui ôter la voix. Dépossédée de son membre, Tilda Swinton lègue le temps d’une escale en Italie, le devant de la scène aux hommes et à une jeune Pénélope post-adolescente nymphomane se tripotant imperturbablement le pourtour de l’entrejambe.

Luca Guadagnino orchestre sa tension dans une mise en scène très appuyée sur la corporalité. Le quatuor amoureux a repris forme, la discorde insidieuse qui s’immisce entre les personnage est palpable. Elle se lit dans les corps qui se crispent et les regards fuyants. Mais dans A BIGGER SPLASH Luca Guadagnino s’attache en premier lieu à disséquer le désir (très narcissique) qui les lie. Comme il le faisait dans Amore, Luca Guadagnino filme des corps lascifs et la jouissance sexuelle dans une ambiance suintante. Il fait chaud, les vêtements sont humides, ça sent la sueur, personne ne peux résister. Le réalisateur ne craint pas de filmer la nudité dans la lumière de plein jour comme un gage de vérité. Il nous présente le couple Marianne et Paul dans une ouverture en jump-cut très crue : nus sur un transat ils paressent, plongent dans la piscine translucide et s’étreignent. Les peaux glissent l’une sur l’autre, des vaguelettes s’agitent, les souffles se font rauques et les langues s’entremêlent dans des bouches offertes sans retenue. Il veut nous embraser mais ça ne prend pas. La scène, comme toutes les suivantes, n’a rien d’érotique. Comme une masturbation à deux, les corps ne se mélangent qu’en pures matières libidineuses. Il manque quelque chose, une substance, de l’affect, un liant entre les personnages qui prive considérablement ces scènes de coït de beauté et de leur nécessaire intensité. Les orgasmes de Marianne sont convulsés mais ils ne semblent jamais être un cri d’amour. Alors que dans la Piscine on frissonnait à la caresse d’une branche sur le dos de Romy Schneider, on soupire ici devant un cunnilingus peu séduisant dont Paul honore Marianne ; et on pense à l’ennui du LOVE de Gaspard Noé. La seul émoustillement que le film pourra nous offrir, et non des moindres, c’est le magnétisme électrique de Matthias Shoenaerts dont la qualité naturelle ne doit rien au réalisateur.

« À trop vouloir composer ses personnages comme les pièces d’un puzzle scénaristique, ils stagnent à l’état de squelette désavoué de leur sphère émotionnelle. Du récit sensuel qu’on voudrait nous servir ne reste qu’une débauche sans intérêt. »

C’est bien là le point de départ du handicap du film. On ne croit jamais au couple Paul et Marianne, ils sont mal assortis. Tilda Swinton est aux antipodes de la sensualité en grande perche osseuse et angulaire et on ne parvient à aucun moment à avoir « envie » d’elle. Même phénomène avec Dakota Johnson totalement insignifiante malgré son maillot de bain mouillé et ses formes pourtant bien plus en courbe… Il ne s’agit pas de l’erreur de casting à laquelle on croit au premier abord mais bien d’un manque fondamental de substrat psychologique et émotionnel qui s’inscrit dès l’écriture. Les personnages semblent trouver leurs limites dans les attributs très étroits et un mode de rapport figé que leur offre Guadagnino. Cantonnés à des postures physiques immuables ils ont pour seul attribut la fonction à laquelle le réalisateur les a cantonnés. Ainsi, la Marianne si emblématique de l’ouverture se meut rapidement en un personnage lointain et inconsistant. Son infirmité géniale qu’on pensait être une possibilité d’éclat et de transcendance, n’en est en fait que sa seule caractéristique. Et cela s’applique à presque tous les personnages.

[divider] COMMENTAIRE AUDIO DE LA SCENE DU KARAOKE, PAR SARAH [/divider]

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Globalement Luca Guadagnino semble construire son film dans une optique purement mécanique et oublie de « remplir » ses protagonistes, ce qui définitivement les isole les uns des autres et annihile toute possibilité de chaleur. Pour les modeler il a recours à la technique plus qu’à la matière. Des séquences en flashback viennent nous renseigner sur leur psychologie et la genèse des liens qui les unissent (et encore, pas pour tous). Mais paradoxalement ce procédé ne les étoffe guère,  il les sclérose, et de l’état présent de ces personnages nous ne savons pas grand chose  si ce n’est leur envie de forniquer les uns avec les autres. Seul Harry parvient à sortir son épingle du jeu, il porte le film de bout en bout. Ralph Fiennes livre effectivement une belle prouesse, mais outre la qualité de ses improvisations exaltées et de sa gesticulation Roberto Fellinienneil est le seul personnage dont les enjeux dans le présent sont clairement définis et lui réservent une évolution.

A trop vouloir composer ses personnages comme les pièces d’un puzzle scénaristique, ils stagnent à l’état de squelette désavoué de leur sphère émotionnelle. Du récit sensuel qu’on voudrait nous servir ne reste qu’une débauche sans intérêt. D’ailleurs, cette imbrication du passé dans le présent est péjoratif au film dans une mesure encore plus importante, puisque dans un contre-emploi, elle va disloquer la tension de l’intrigue. Nous sommes régulièrement extirpés du huis clos censé nous oppresser pour aller regarder ailleurs. On respire et l’étau (dont on sent tout de même les contours) ne peut fondamentalement pas se resserrer dans une asphyxie qui serait nécessaire. Au lieu de renforcer son intention, le réalisateur la désagrège et l’action s’atrophie, des longueurs s’installent et le désespoir nous gagne…

Photo du film A BIGGER SPLASH
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Mais A BIGGER SPLASH dispose aussi de belles réussites, Luca Guadagnino plonge son scénario dans un jeu de sonorités dissonantes. Le film est littéralement un « grand saut » dans l’univers musical des Rolling Stones qui sanctifie l’ère des souvenirs. La musique c’est le lien passé des amants terribles Marianne et Harry et l’intrusion permanente de ces notes dans le présent silencieux de Paul pose la première pierre à l’édifice de la rivalité entre les deux hommes. La dialectique des sons est bel et bien une dialectique des temps. Le passé se confronte au présent et Luca Gadagnino qui a construit tout son récit sur cette armature retombe sur ses pieds. Les chuchotements de Marianne s’opposent à l’ivresse verveuse d’Harry. Sa tranquillité silencieuse d’aujourd’hui tue leur passion musicale d’hier. Luca Guadagnino nous offre une scène de karaoké à l’état de grâce entre les deux anciens amants qui scelle inexorablement leur séparation sonore : alors qu’Harry embrase le bar de son timbre de ténor, Marianne réplique en murmurant au micro et alors Paul entre dans le pièce, elle lui fait signe de venir, n’hésitant pas à lui donner sa place au sein de ce duo consommé. La scène est superbe.

A BIGGER SPLASH est une autre « plongée », celle-ci dans l’Italie natale du réalisateur et plus particulièrement sur de l’île de Pantelleria où se déroule l’action. Luca Guadagnino filme avec éloquence son ciel bleu opaque et ses paysages pittoresques dont la nature aride et rocheuse très Rosselliniene nous fait penser au Stromboli de 1950. Comme l’ascension d’Ingrid Bergman sur le volcan maléfique, l’arrivée au sommet d’un sentier rocheux de l’excursion de Paul et Pénélope fait basculer le destin des personnages. Le volcan intérieur des désirs enfouis et des instincts contenus entre en irruption et pousse ses personnages à toutes les transgressions jusqu’à la plus fatale. La terre insulaire de Guadagnino est elle aussi la « terra di dio » de Roberto Rossellini dont le ciel omniscient et réprobateur sera le seul témoin du drame qui s’abattra sur le quatuor. Un plan magnifique (d’un dieu subjectif) en travelling arrière vu du ciel quittera la piscine funeste pour l’immerger dans l’immensité géographique.

« Luca Guadagnino avait beaucoup d’envies pour A BIGGER SPLASH, mais il oublie l’essentiel : la rencontre avec ses personnages. »

L’Italie cinématographique des années 50 c’est une Italie d’actualité. Le réalisateur distille dans ses scènes le regard qu’il pose sur le peuple insulaire, il en montre la convivialité mais aussi la xénophobie, l’insuffisance ou la puérilité. Il va même jusqu’à intégrer à son film un drame géopolitique contemporain qui mériterait toute notre attention mais qui malheureusement reste à l’état de toile de fond. L’Île où se déroule son histoire est un rivage sur lequel accostent les bateaux clandestins des migrants. Ces hommes étrangers qui fourmillent sur l’île ne sauraient être de la même qualité que les habitants ou que les riches touristes au teint clair. On les aperçoit tantôt cachés dans la montagne, tantôt emprisonnés ou désignés comme les coupables idéaux de tous les crimes. A BIGGER SPLASH ce serait enfin cette « grande plongée » des migrants qui comme les héros de l’histoire cherchent un nouveau départ et la possibilité d’une vie meilleure.

Photo du film A BIGGER SPLASH
© Studiocanal

Luca Guadagnino avait beaucoup d’envies pour A BIGGER SPLASH et bien qu’il se soit brillamment attaché à le construire et l’enrichir d’une forme travaillée, il en a oublié l’essentiel, la rencontre avec ses personnages. Mais étrangement comme s’il avait lui même redouté que son récit manque de consistance, il a tenté de le projeter dans d’autres dimensions plus sociétales, politiques et cinéphiles aux prémices insuffisants. Le carcan du film de commande et d’un scénario préexistant semblent avoir été un frein dans sa capacité à s’emparer pleinement de son œuvre sans risquer de l’éparpiller pour en feindre la richesse. Luca Guadagnino n’a pas su canaliser son écriture et si on pense souvent que le casting ne fonctionne pas, c’est seulement les acteurs qui se sont vus ôter toute possibilité de performer. Avec A BIGGER SPLASCH Luca Guadagnino nous frustre et nous perd comme il semble l’avoir été durant son processus de création.

Sarah Benzazon

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[divider]INFORMATIONS[/divider]

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Affiche du film A BIGGER SPLASH
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Titre original :A Bigger Splash
Réalisation : 
Luca Guadagnino
Scénario : 
David Kajganich
Acteurs principaux : 
Tilda Swinton , Matthias Shoenaerts, Ralph Fiennes, Dakota Johnson
Pays d’origine : 
France-Italie
Sortie : 
6 avril 2016
Durée : 
2h05
Distributeur : 
StudioCanal
Synopsis :
Lorsque la légende du rock Marianne Lane part sur l’île méditerranéenne de Pantelleria avec Paul, son compagnon, c’est pour se reposer. Mais quand Harry, un producteur de musique iconoclaste avec qui Marianne a eu autrefois une liaison, débarque avec sa fille Pénélope, la situation se complique. Le passé qui ressurgit et beaucoup de sentiments différents vont faire voler la quiétude des vacances en éclats. Personne n’échappera à ces vacances très rock’n’roll… 

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