ANOMALISA
© Paramount Pictures France

[CRITIQUE] ANOMALISA

Nous souhaitons recueillir votre avis sur votre façon de nous lire. Merci de prendre 2 minutes de votre temps en cliquant ici !


Animation
9.5
Traitement des obsessions Kaufmaniennes
9
Personnages / interprétation
8.5
Mise en scène
5
Accessibilité / Émotion
3
Note des lecteurs13 Notes
7.2
7

Après avoir chroniqué chacun des films de Charlie Kaufman, nous arrivons enfin à sa seconde réalisation et sixième scénario : ANOMALISA. Un film beaucoup plus simple et épuré par rapport aux autres, mais tout aussi profond. Nous tenterons par quelques pistes d’analyse, de percer le mystère de cet auteur fascinant qu’est Charlie Kaufman.

Synopsis : Michael Stone, mari, père et auteur respecté de « Comment puis-je vous aider à les aider ? » est un homme sclérosé par la banalité de sa vie. Lors d’un voyage d’affaires à Cincinnati où il doit intervenir dans un congrès de professionnels des services clients, il entrevoit la possibilité d’échapper à son désespoir quand il rencontre Lisa, représentante de pâtisseries, qui pourrait être ou pas, l’amour de sa vie…

ANOMALISA possède malgré ce script sans ambition manifeste, de très grosses singularités. Il s’agit d’abord, d’un film d’animation image par image où les personnages, à l’intérieur et à l’extérieur de la narration, sont des marionnettes. Des marionnettes possédant toutes – hormis le protagoniste Michael – ce même visage et cette même voix singulière (celle de Tom Noonan) indifféremment de leur sexe ou de leur âge. Tous sont ainsi, en apparence, interchangeables, posant d’emblée un questionnement sur l’identité à travers la solitude, ou plus subtilement une réflexion sur un refoulement Freudien (nous y reviendrons). L’arrivée d’une anoma-Lisa redonnera à Michael goût à la vie, une volonté de croire à nouveau en l’amour, ou tout du moins à la puissance du sentiment amoureux.

Photo du film ANOMALISA
© Paramount Pictures France

[toggler title= »Avant d’entamer l’analyse du film, effectuons un bref retour sur ce qu’il nous semble être la méthode scénaristique de Charlie Kaufman… » ]

Charlie Kaufman (l’auteur) s’interroge à l’échelle de son œuvre, sur la complexité de l’être humain, et notamment sa propre complexité.

Trois composantes de ses scénarios sont ainsi, toujours les mêmes :
névroses : Charlie Kaufman personnifie des névroses qui lui sont propres à travers les différents protagonistes de ses films. Au centre, un avatar de l’auteur (Craig, Bronfman, Chuck Barris, Charlie & Donald Kaufman, [[[Joel]]] Caden Cotard, Michael), et en périphérie, d’autres personnages personnifiant d’autres névroses, qui par leur interactions constitueront un chemin mental rendu cinématographique, vers une catharsis – différente à chaque film.
– vécus : Kaufman construit ensuite un vécu persistant à chaque personnage, un vécu qui définira leurs névroses du présent. Parfois ce vécu est intégré à la narration (Eternal Sunshine, Human Nature) parfois ce vécu est mis en abyme par les personnages (Dans la peau de John MalkovichConfessions d’un homme Dangereux). Et parfois les deux (Synecdoche, Adaptation.).
Règles : Kaufman crée ensuite un monde plus ou moins réaliste régi par ce qui permettra aux vécus et aux névroses des protagonistes d’interagir en toute logique. Un monde qui autorise à jouer au marionnettiste avec un acteur célèbre, ou avec un humain « vierge » de toute frustration ou névroses. Un monde ou l’on peut être des deux côtés d’une ligne de l’entertainment absolu :  folie et de conscience de soi. Un monde ou l’on peut se mettre en scène pour mieux percer les mystères de l’art et de la conscience de soi. Un monde légèrement science-fictionnel permettant d’examiner son rapport à l’autre. Ou tout cela à la fois : le défi de représenter la complexité de l’âme humaine à travers des facettes de sa propre personnalité gagne considérablement en ampleur avec Synecdoche New York, une oeuvre-auto-portrait-fantasme-testament rassemblant tous les éléments sus-cités dans une mise en abyme du réel ET de la fiction, et où l’auteur se placerait à « l’intérieur » du vécu des autres (dont le sien). Un film à la densité indéniable mais indigeste ;

Ces trois composantes interagissent avec une logique absolue, composant des scripts en apparence fous et absurdes mais pourtant, d’une cohérence folle.

[/toggler]
ANOMALISA observe quant à lui un nouvel avatar de Charlie Kaufman, Michael, à une étape cruciale de sa vie – celle du bilan. Quel homme a-t-il été, quel homme sera-t-il… Quelle perception a-t-il du monde, comment est-il perçu par les autres. Qu’attend-il du futur, comment son passé l’a-t-il construit… Qu’est-ce que ressentir ? Qu’est-ce que vivre ?
Le premier paradoxe d’ANOMALISA commence ainsi avec Michael, qui ne sera défini qu’à travers les obsessions et névroses de personnages satellites – pourtant en apparence interchangeables. C’est ainsi en eux que Kaufman exerce toute sa science de l’écriture de vécus, faisant de Michael le personnage le moins « humain » du film, par sa passivité distante et dépressive. Michael est ainsi un réceptacle à névroses plutôt qu’un catalyseur de ses propres évolutions. Un réceptacle toutefois insensible, car trop auto-centré. En tant que réceptacle, Michael est progressivement « rempli » par ces obsessions, jusqu’à déborder en une (anti-climactique) explosion de folie.

Un programme qui pourrait paraître introspectif personnel, malaisant et inaccessible sans une forte dose d’empathie et d’identification à leur auteur Charlie Kaufman… Si ce n’était Lisa-l’anomalie– qui viendra personnifier une certaine humanité dans ce film névrosé, l’espace d’un instant. Au-delà de ce personnage, c’est la collaboration artistique avec son interprète Jennifer Jason Leigh (re-révélée par Les Huit salopards) qui permet d’accessibiliser les névroses Kaufmaniennes en faisant de Lisa l’un des personnages les plus persistants et humains de l’auteur. Cela rappelle l’importance de Spike Jonze et de Michel Gondry dans les réussites que sont Dans la peau de John Malkovich, Adaptation et (surtout) Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Concrètement, Lisa est une fille quelconque à tous niveaux (culturellement, professionnellement, physiquement, sexuellement) mais justement touchante par cette conscience de sa propre banalité. Un personnage fragile et sensible, névrosé bien sûr, tantôt volubile, tantôt plongée dans ses souvenirs, tantôt complètement conne, fragile, belle… Un éventail de sentiments et d’émotions présenté en moins d’une heure et pourtant, elle n’est paradoxalement… qu’une marionnette.

« Un film hermétique, contaminé par une certaine sensibilité, d’une richesse et d’une profondeur jamais complètement exploités… ANOMALISA est un film paradoxal. »

Par la courte et subite interaction entre Michael « celui qui a perdu son humanité », et Lisa « celle qui déborde d’humanité par sa banalité », Charlie Kaufman nous renvoie au souvenir d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind; à une sublimation du sentiment amoureux à travers une déconstruction cynique et pessimiste. Après avoir fait un bilan de la détérioration de ce sentiment à travers les personnages de sa femme et de son ex, Michael envisagera un re-commencement, en la personne de Lisa. En fait, la relation entre Michael et Lisa n’est qu’un vulgaire coup de foudre… Mais voilà : nous sommes chez Charlie Kaufman. Même une émotion aussi puissante et incontrôlable que celle-ci doit être intellectualisée, conceptualisée, désincarnée puis réhabilitée.

À l’extrême opposé de cette romance, il y a toutefois une piste plus Freudienne : Michael – l’avatar de Kaufman jusqu’ici – ne se focalise que sur la féminité de Lisa (sa voix, son visage), et sur son propre désir de posséder, tous aspects confondus, cette anomalie. N’est-ce pas une façon de refouler une inenvisageable relation homosexuelle ? Après tout, voir en chacun une seule et même personne relève également d’une passion et d’une attirance inavouable… Une thèse renforcée par le fameux Fregoli (le nom de l’hôtel-lieu de l’action) ; Fregoli était un artiste, ventriloque (utilisant des marionnettes donc) et transformiste du 19ème siècle. Il changeait de costume jusqu’à cent fois par spectacle, et jouait tous les personnages. Être atteint du syndrome de Fregoli signifie souffrir d’une forme de délire paranoïaque : on est alors persuadé qu’un être nous poursuit, en changeant de forme ; on retrouve alors cet ennemi en chaque personne rencontrée. En réalité, cet ennemi n’est-il pas une facette de soi que l’on souhaite refouler ?

Kaufman se montre en tous cas, au vu de la conclusion de cette histoire, d’un pessimiste tout à fait inaltérable quant au sentiment amoureux… Ce qui se traduit en un certain malaise pour le spectateur.

Photo du film ANOMALISA
Là encore, le script fait corps avec son illustration : par leur singularité  au cœur de ce mondes de marionnettes, ces deux-là surnagent audio-visuellement au dessus des autres – les isolant à notre regard et nous immergeant dans leur relation. Une empathie construite par l’influence des autres, mais pas par les personnages eux-mêmes.

En marge de ce cœur chaud mais ultra-névrosé, il y a un renvoi évident à la thématique Kaufmannienne de la conscience de la marionnette ; celles-ci, incapables de contrôler leur propre destinée, seraient dirigées par… une conscience divine ? Un instinct millénaire ? Des obsessions personnelles à chacune ? Une simple ambition artistique ? Questionnement existentiel qui ne trouvera probablement jamais de réponses franches dans le cinéma de Kaufman… Dans ANOMALISAil peut en tous cas générer une certaine frustration quant aux pistes métaphysiques amorcées mais jamais développées – ou renforcer l’aura de mystère et d’insondable inhérente aux scénarios de l’auteur.

Quant à la réalisation, il y a deux choses. Il y a l’animation (par Duke Johnson), parfaite et réussie, donnant sans mal de l’émotion à ces objets (in)animés… Puis il y a la mise en scène, uniquement illustrative du script. Il lui manque un certain talent, celui d’un Jonze ou d’un Gondry, pour amener cette personnalité supplémentaire qui par le passé, décupla la sensibilité et/ou le ludisme des scripts de Charlie Kaufman.

Une antithèse de Synecdoche New York ; sa richesse et sa profondeur, bien que présentes, ne sont jamais exploitées ; un film hermétique et auto-centré contaminé par une délicate sensibilité féminine, un non-divertissement dans un film d’animation… En définitive, ANOMALISA est un film paradoxal.

Critique écrite à six mains, par Félix, Sofiane et Georgeslechameau

D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?

[divider]ANOMALISA SUR LE BLOG DU CINÉMA[/divider]

[toggler title= »Critiques des films scénarisés et réalisés par Charlie Kaufman » ]

Dans la peau de John Malkovitch (1999)

Human Nature (2001)

Confessions d’un Homme Dangereux (2002)

Adaptation. (2002)

Eternal Sunshine of The Spotless Mind (2004)

Synecdoche New York (2008)

Anomalisa  (2016)

[/toggler]

[toggler title= »ANOMALISA : DES BANDES ORIGINALES À GAGNER » ]
 [/toggler]

[divider]INFORMATIONS[/divider]

[column size=one_half position=first ]Affiche du film ANOMALISA[/column][column size=one_half position=last ]+ nos articles

Titre original : Anomalisa
Réalisation : Charlie Kaufman, Duke Johnson
Scénario : Charlie Kaufman
Acteurs principaux : David Thewlis, Jennifer Jason Leigh, Tom Noonan
Pays d’origine : U.S.A.
Sortie : 3 février 2016
Durée : 1h30min
Distributeur : Paramount Pictures France
Synopsis : voir début de critique

[/column]

[divider]BANDE-ANNONCE VOST[/divider]

Nos dernières bandes-annonces

Rédacteur
S’abonner
Notifier de
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
0
Un avis sur cet article ?x