GOOD TIME

Retour sur GOOD TIME, la folle épopée nocturne des frères Safdie ! – Critique

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Dans une course folle pour échapper à la police, Connie (Robert Pattinson) perd son frère, handicapé mental, capturé et envoyé dans un hôpital du Queens. Il passera la nuit entière à tenter de le délivrer. Véritable odyssée sauvage et puissante, Good Time est désormais disponible en DVD/Blu-Ray. Et c’est à ne pas manquer ! 

Good Time est le récit d’une nuit de galères entre les visites chez un prêteur sur gage et une cavale sous haute tension. Tourné en SCOPE 35, un procédé cinématographique où les lumières et les couleurs se placent devant la caméra, ce film a été la révélation du Festival de Cannes 2017. Retour en trois points sur cette balade nocturne.

LA NUIT DE LA PENSEE

Une sale nuit pour les frères Nickas (Ben Safdie et Robert Pattinson). Tout commence par un braquage, réussi certes, mais qui tourne rapidement à la gabegie, puis au chaos. Malgré les efforts de Connie pour garder son frère auprès de lui, il l’égare, et succombe à la panique. On le voit ensuite chercher des solutions aberrantes pour le retrouver, avant qu’il ne devienne complètement hyperactif et fou, perdu lui-même dans la ville. « Où est-il ? Est-il en bon état? » se demande-t-il sans cesse. La maladie mentale de Connie étant un frein, le monde alternatif qu’il actualise à chaque minute n’est-il pas trop obscur ? Nick, joué par l’un des deux frères réalisateurs, répond aux questions uniquement au premier degré. Il ne comprend pas l’ironie. Et quand le geôlier lui annonce qu’il va passer un « Good Time » (trad. « un bon moment » en anglais), il y croit. En tant que spectateur, faire la connaissance de cette naïveté anormale (propre à certains handicapés) pour la voir ensuite subir la brutalité conjuguée de policiers, prisonniers et assistants sociaux est douloureux.

Autre exemple d’innocence : peu après le braquage, Connie demande à son frère « est-ce que tu ressens ce que je sens ? » « Oui, j’ai froid » répond-t-il. Alors qu’ils sont désormais des hommes riches. L’asymétrie entre la réalité et le monde de Nick est telle que l’on est amené à nous poser la question suivante : le handicap mental – une version générique non nommée dans le film – se rapprocherait-il d’une sorte de « nuit pour la pensée » ? Au sens imagé du terme : l’obscurité de la raison. Ou bien, Nick est-il une porte d’entrée vers un monde secondaire et supérieur à nous, que nous ne saisissons pas ? Pour y répondre il faudrait se référer aux travaux sur les manifestations cognitives des handicapés de Simone Korff-Sausse. Selon elle, lorsque Connie est avec son frère, il lui permet d’avoir accès à une épistémologie unique, nourrie de cadres et de valeurs atypiques presque astrales et poétiques. Mais à défaut de connaître le nom de la maladie de Nick, il est difficile d’avancer d’autres théories. Ce dont on peut être sûr, en revanche, c’est de l’indépendance totale du mode de pensée de son frère lorsque Connie fuse à travers les rues de New York : ses pensées s’éclairent les unes après les autres, à 200 à l’heure. Alors que Nick, lui, expérimente le néant total, coincé entre les quatre murs de sa cellule.

LA NUIT ANIMALE

GOOD TIME

Dans Good Time, les Safdie réunissent l’essentiel des émotions d’un couple, quel qu’il soit. L’amour fraternel (amour dit « Philia ». En philosophie, l’amour Philia peut être : compris comme une amitié entre membres d’une famille ou entre étranger, vue comme de la bienveillance ou plus généralement de l’altruisme (le don de soi en attente d’une réponse). Passé le braquage, Connie perd sa « moitié», cet être différent des autres, qui s’est intégré à la société par son biais. Il a emmagasiné plus de vingt ans de cohabitation dans l’espace sociale avec lui. Connie aide Nick, et Nick lui communique des émotions uniques. En l’absence de cette sensibilité, Connie se métamorphose. C’est flagrant à l’écran, de par les choix de plan-portraits larges, angoissants, et dans le jeu de Robert Pattinson, on le découvre seul au monde. Pourquoi ?

En tête des éléments de réponse : l’adrénaline qui se libère par peur de la mort de son frère. Le mot adrénaline vient du latin : ad renes (« près du rein », là où les émotions bouillonnent). Les américains utilisent un autre nom, issu du grec : epinephrine (« au-dessus du rein » : la boule au ventre pour nous). En se plongeant dans l’encyclopédie Larousse, nous apprenons qu’une expérience de domestication du renard argenté a démontré que les animaux domestiques ont moins d’adrénaline que les animaux sauvages. A l’écran, cela apparaît comme évident : Connie ressemble à un animal sauvage. Il court, change de direction, tâtonne, bondit, ne s’arrête jamais – comme la caméra d’ailleurs, qui change de plan constamment et est obligée de prendre de la hauteur (depuis un hélicoptère) pour ne pas perdre sa piste –. En perdant la compagnie de son frère, Connie est à la fois plongé dans la réalité directe de la nuit new-yorkaise, bourrée d’adrénaline, et transformé en animal, à défaut d’être « domestiqué » par son frère. On assiste alors à un drôle de renversement : alors que l’humanité est définie par la pensée et la raison, c’est quand Connie est séparé d’un être qui, selon Descartes ne pense pas ou peu, qu’il devient « animal ».

Mais au-delà de ça, la nuit dans Good Time est aussi l’occasion de présenter des personnages que seule la nuit dévoile : les âmes de la nuit, solitaires, ou évoluant en bandes organisées.

LES HABITANTS DE LA NUIT

GOOD TIME

Salad bowl de références, oscillant entre le début des années 2000 (du genre Cops et Third Watch) et le New York crasseux de Scorsese à ses débuts, additionné à l’énergie d’un Sorcerer de Friedkin, on trouve cependant dans ce long-métrage un invité plus vrai que nature, semblant émaner directement du bitume et s’élever comme représentant officiel de la saleté de la ville : Buddy Dures, ancien dealer dans la vraie vie. Les Safdie le connaissaient de réputation. Ils ont trouvé qu’il conviendrait parfaitement dans ce vortex d’images extra larges propre au SCOPE. Ray Dures selon son casier judiciaire, alias l’homme qui est réellement passé par la prison de Rickers Island (où croule Nick dans le film). En l’espace de 5 ans, il a transité par le pire que New York peut offrir aux tapis rouges et vernis du 70e Festival de Cannes (sans savoir pourquoi, a-t-il dit en conférence de presse). Josh et Ben plaisantaient à son sujet sur le réseau social Instagram en mai dernier : « Lui, c’est le vrai héros de New York (…) C’est un valet de l’asphalte comme on pouvait voir dans les années 1970 du temps de Panic in Needle Park… Un gars de la réalité ! »

En effet, à l’aube, les Safdie le filme courant au milieu de la rue, arborant l’air de détresse de celui qui est en descente. Une performance si juste qu’elle laisse dubitatif sur son état lors des prises.
A part Ray, se tournent également des scènes à l’intérieur d’une prison du Queens, en présence d’authentiques anciens prisonniers et de leurs gardiens. Selon les mots des Safdie dans le New York Time, ils ont voulu « reproduire l’expérience de Standford » mais en plus tordu. Une référence à une étude psychologique menée par Philip Zimbardo en 1971 portant sur les effets de la situation carcérale. Initialement, elle a été réalisée pour étudier le comportement de personnes dites « normales » dans un environnement coercitif pointu. Le résultat a fait ressortir qu’un tiers de ceux incarnant des gardiens ont eu des tendances sadiques tandis que de nombreux « prisonniers » en sont ressortis avec des traumatismes psychologiques. Reproduire Rickers Island dans le Queens avec de vrais vétérans a donc causé l’inverse de l’étude : les sadiques et les traumatisés le sont devenus encore plus pour le plaisir des spectateurs et des aficionados du « cinéma-réalité ».

Tout cela ajouté à de fortes fulgurances de coloristes pop – qui font grimper l’angoisse au niveau hallucinatoire – Good Time nous a émerveillés.

Le Miroir brisé: L’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, Simone Korff-Sausse, 1996, Pluriel.
• Descartes : sa position selon laquelle l’humanité débute par le fait de penser et que les animaux ne pensent pas. Méditations métaphysiques, 1647, Paris.

Sina Regnault

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Titre original : Good Time
Joshua et Ben Safdie :
Scénario : Ronald Bronstein et Joshua Safdie
Acteurs principaux : Robert Pattinson, Ben Safdie, Buddy Duress
Date de sortie : 13 septembre 2017
Durée : 99 min
4.5
Frénétique

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