LA PENDAISON

[critique] LA PENDAISON de Nagisa Ôshima (1968)

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Mise-en-scène
9
Scénario
9
Casting
7
Photographie
8
Portée politique
9.5
Note des lecteurs3 Notes
9.1
8.5

[dropcap size=small]N[/dropcap]ous chroniquons ce film de Nagisa Ôshima dans le cadre d’une rétrospective consacrée au cinéaste par l’Institut Lumière de Lyon, du 28 avril au 3 mai 2015.

LA PENDAISON est d’abord l’histoire d’une mise-à-mort. Celle d’un criminel dénommé R. , accusé de viol et de meurtre sur deux écolières. Mais l’échec de l’exécution malgré une préparation méthodique, laissera le condamné survivant, et « sans âme ». Les officiers, décontenancés par ce développement imprévu et anti-procédurial, chercheront à redonner à l’assassin la conscience de ses meurtres – pour pouvoir légalement le ré-exécuter – en lui « rejouant » les moments décisifs qui l’ont mené à agresser les deux adolescentes.

On pourrait réduire le film à sa toute première injonction:
« Vous, qui êtes POUR la peine de mort… Avez-vous déjà assisté à une exécution ? »
On pourrait penser que LA PENDAISON n’est donc qu’un réquisitoire contre la peine de mort….

Pourtant, dès son introduction, le film est bien plus que cela.
Les premières images nous décrivent ainsi de façon très documentaire et impersonnelle (voix-off y compris), le lieu de la mise-à-mort, les rituels précédant l’exécution. Pourtant, la réalisation haut de gamme de Nagisa Ôshima se fait très vite ressentir: la photo joue déjà sur les clairs-obscurs … La musique s’évanouit au profit de bruitages angoissants, les cadrages et mouvements de caméra se font subitement ultra-précis et accentuent l’inéluctabilité de la pendaison, le rythme s’accélère, la voix-off se calque par son débit sur les pulsations cardiaques du condamné, de plus en plus rapides, jusqu’à, jusqu’à ce que – CLAC !
Ce craquement funeste. Montré sous plusieurs angles différents. Comme un bégaiement morbide.

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Ôshima, dès ce prologue et jusque au tout dernier plan, jouera avec nos perceptions.
– La narration en apparence linéaire, est pourtant composée de « flashbacks » non-linéaires et de (très) nombreuses répétitions, expliquant petit à petit qui est R. , et pourquoi R. est R. ;
Les mises-en-scène, celle du film, celles de la vie de R. , et quelques-unes de l’ordre du fantasme… Entremêlées;
– Le jeu des différents protagonistes/acteurs, évoluant entre: outrance comique, charisme dramatique, hyper-réalisme… Très déstabilisant;
– Le rythme modulable apte à causer quiétude, interrogations ou suspens hardcore – en une même scène;
– Les changements de styles cinématographiques (drame social, film d’enquête, théâtre burlesque…) d’ambiances, de décor(s);
– La mise en perspective de l’inconscient collectif japonais (religions, mythes, culture, Histoire)
– Les obsessions chères au réalisateur, les sujets abordés…
Chacun de ces aspects est multi-facettes, et interagit plus ou moins avec chaque autre.
LA PENDAISON possède cet aspect hybride mais total et indéfinissable, dont on essaiera néanmoins d’extraire trois thématiques, peut-être plus universelles que d’autres, pour tenter d’en capter l’essence : spiritualité, politique, et affectif. 3 thématiques clés autorisant le spectateur, à comprendre et s’expliquer l’intérêt et la valeur du film.

[toggler title= »Spiritualité » ]

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Dans le film, ce condamné revenu à la vie est sujet à débat. Entre ceux qui croient en la réincarnation de l’âme hors du corps, ceux, pragmatiques, ne considérant l’évènement que d’un point de vue judiciaire, et ceux qui pensent que revivre sa vie permet d’accepter ses péchés. Shintoïstes, Bouddhistes, catholiquesNagisa Ôshima donne à chacun raison et à tout le monde tort, en ouvrant des pistes pour mieux les refermer, et ainsi laisser au spectateur un  vaste choix d’interprétations: Qu’est-il arrivé à l’âme de R. ?
De mon point de vue occidental, et d’ « athée chrétien », je vois dans le parcours de R., une accession au paradis;
La phase d’enfer est ainsi sa vie sur terre; La pendaison (ratée) est son accession au purgatoire, ou il doit revivre, comprendre et accepter (ou non) plusieurs étapes clés de sa vie. Convoitise, orgueil, luxure, colère… Chacune des « scènes rejouées » symbolise un péché capital. Passés ces sept cercles, R. finira par atteindre une sorte de quiétude (le paradis ?) que nul ne peut plus bouleverser.
La toute fin du film, invite à penser qu’il a enfin accédé à la rédemption/réincarnation; son corps disparaît.

Ce qui, à mon sens est fascinant, c’est que cela reste UNE interprétation parmi les nombreuses autres que je perçois, mais que je décide consciemment de ne pas accepter. La marque selon moi, d’un grand film: à la fois objectif et subversif.[/toggler]
[toggler title= »Politique » ]

 

On peut remarquer dès son réveil (son visage reste invisible avant) que les traits de R. sont assez singuliers. En effet, l’homme n’est pas japonais mais coréen. Ce qui peut expliquer cet étrange anonymat dans lequel on le place d’emblée en le dénominant par une lettre de l’alphabet Latin, et non par des idéogrammes; Le parcours de R. symbolise peut-être la perception qu’a la nation japonaise (le gouvernement, le peuple) de la Corée, de ses habitants, et de leur passif commun.

Pour remettre en contexte, à l’instar de la France et de l’Algérie, la colonisation de la Corée par le Japon (1901 – 1945) fut une grande source de problèmes géopolitiques et sociaux, mais aussi d’actes eth(n)iquement condamnables.
Ceux-ci d’abord, remontent à la seconde guerre mondiale et à la période précédente; Esclavagisme (les japonais abolissent les libertés civiles des coréens pour littéralement les exploiter), proxénétisme de masse (voir chapitre suivant), tentative d’assainissement culturel (le coréen cessa d’être enseigné entre 1941 et 1945) tout cela fut occulté par le peuple japonais, car (on suppose) assimilé à l’humiliation suprême que constitua la reddition du Japon en 1945.
Le film de Nagisa Ôshima n’abordant que les rapports entre Corée et Japon, nous n’étendrons pas notre réflexion au reste de l’Asie, mais souvenons-nous: durant la seconde guerre mondiale près de 30 000 000 asiatiques (chinois surtout, puis cambodgiens, vietnamiens, philippins…) ont péri face à l’armée japonaise.

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Pour revenir à la colonisation de la Corée, son impact sur le peuple japonais découle à la fois de l’exploitation économique peu rentable de ce pays nouvellement annexé, ainsi que de l’immigration inhérente aux colonisations. Les coréens migrent ainsi en masse vers ce pays forcément « plus civilisé », causant un racisme puissant liée à leur non intégration, puis liée à la perception culturelle de ce peuple: des « frères d’ethnie » débilisés par des siècles d’éloignement avec le Japon, et devenus forcément inférieurs puisqu’il se sont laissés colonisés…
Il faut voir dans LA PENDAISON, comment les officiers considèrent « le coréen », le plus naturellement du monde comme un singe, qu’on doit imiter pour se faire comprendre. Glaçant… Même si là encore, le souvenir du racisme très français envers les pays d’Afrique noire n’est pas si éloigné.

Le tout est subversivement mis en image par Nagisa Ôshima avec un certain sens de la provocation, mais aussi de l’allégorie. LA PENDAISON peut également se voir comme un réquisitoire contre l’oubli …
1968, l’année de production du film, marque ainsi la fin d’une période d’occultation de tous les maux sus-cités, assimilable à l’humiliation suprême que constitua la reddition du Japon en 1945; le pays entamera à partir de cette année, un lent processus de reconnaissance de ses crimes et actes commis au nom de la nation japonaise et de son expansion.

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[toggler title= »affectif » ]

La Pendaison - Nagisa Oshima

L’une de ces raisons qui pousse à causer des actes irréparables et inconsidérés.

On l’a déjà expliqué: les officiers présents lors de l’exécution cherchent à ramener l’âme de R. dans son propre corps en lui rejouant les passages clés de sa vie. Si d’un coté ils mettent en exergue ses péchés, et par l’allégorie, la condition sociale du coréen au Japon, il le font par l’affectif. Le grand frère de R.; son père, sa mère, ses deux petits frère et sœur… Chacun possède un lien particulier avec R., mis en exergue par chaque scène « rejouée ». Pendant celles-ci, les officiers rejouant les passages de la vie de R. montrent une troublante implication, un enthousiasme qui ne laisse que peut de doutes sur leur propre manque affectif, dans leur propre quotidien… Une certaine homosexualité « par défaut » s’immisce dans leurs interactions, sujet que l’on imagine particulièrement tabou dans le Japon des 60’s.
Toutefois, l’aura d’un lien plus fort que les autres irradie chaque « flashback ». D’abord mentionnée par bribes d’informations, elle ne se manifestera que lors d’une surprenante dernière partie : la sœur de R. 
L’affection de cette sœur (disparue/morte/mariée, cela reste obscur) est au final, ce que R. recherchait via ces viols et meurtres de jeunes filles.
Les retrouvailles avec ce « fantôme » seront la récompense de ce long parcours introspectif. Tant pour R. , que pour les autres protagonistes, cette femme matérialisant toutes les pulsions déployées pour faire revivre les souvenirs de R.
Nous, spectateurs, seront ainsi témoins d’une dérangeante intimité, aussi délicate, qu’incestueuse et chorale.

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On aime bien chercher des résonances métaphoriques là ou il n’y en a peut-être pas…. Donc, troublés par cette image très forte, on s’est intéressés à la place de la femme dans l’Histoire entre Japon et Corée.
Il se trouve qu’en fait, une des raisons majeures de tensions entre Japon et Corée est le déni d’une prostitution forcée et organisée par le gouvernement japonais pour ses propres soldats pendant la 2nde guerre mondiale. On parle de près de 200 000 coréennes.
Et si le « fantôme de la sœur de R » représentait également cette femme perdue au mains du japonais ? Ce qui pourrait expliquer comment elle peut être à la fois sa sœur (d’ethnie), sa confidente (celle qui comprend ses actes) et sa femme (celle qu’il aime); c’est aussi pourquoi les différents personnages japonais ne voient que très progressivement apparaître ce fantôme, au gré de leur acceptation du « crime national ».
Celui qui représente la nation ne la verra par conséquent, jamais (le Japon ne reconnaîtra qu’en 1993 ce crime précis); L’antépénultième chapitre prend alors un atour, moins incestueux et provocateur, devenant par l’affectif un nouveau geste politique et expliquant relativement l’acte de R., comme un acte logique de rétribution.

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« LA PENDAISON convoque un nombre incroyable de genres et de thèmes ! À la fois minimaliste, inventif, stimulant, indéchiffrable… Du génie. »

LA PENDAISON convoque un nombre incroyable de genres et de thèmes, en un film monstre à la fois minimaliste, inventif, drôle, dérangeant, stimulant, répétitif, indéchiffrable… Cette dernière caractéristique est toutefois autant qualité que défaut, poussant le spectateur à l’effort intellectuel, quitte à le perdre en chemin.

Le film sera présenté en salles à L’Institut Lumière, le 29 avril 2015 à 19h et le 3 mai 2015 à 14h30

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[column size=one_half position=first ]482860-2

[/column][column size=one_half position=last ]NAGISA ÔSHIMA
Le Petit Garçon
La Pendaison
La cérémonie
À l’Institut Lumière du 28 avril au 3 mai 2015

Titre original : Kôshikei
Réalisation : Nagisa Ôshima
Scénario : Nagisa Ôshima
Acteurs principaux : Kei Sato, Fumio Watanabe, Toshiro Ishido
Pays d’origine : Japon
Sortie : 1969; réédition DVD, le 11 mars 2015
Durée : 1h57min
Distributeur : Carlotta Films
Synopsis : Un condamné à mort qui a survécu à sa pendaison doit être à nouveau exécuté.

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