bleeder
© The Jokers / Le Pacte

[CRITIQUE] BLEEDER (1999)

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• Sortie : 26 octobre 2016
• Réalisation : Nicolas Winding Refn
• Acteurs principaux : Mads Mikkelsen, Liv Corfixen, Kim Bodnia, Rikke Louise Andersson, Zlatko Buric
• Durée : 1h38min
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4
NOTE DU RÉDACTEUR

Comme le récent Only God Forgives (OGF) ou la trilogie Pusher, BLEEDER apparaît comme un film-somme ; un condensé de nombreuses obsessions fondamentales du cinéma Nicolas Winding Refn (NWR).

Ces œuvres clés ont chacune leurs qualités et défauts ; la trilogie nécessite d’être visionnée en entier pour pouvoir en englober l’intérêt, OGF manque d’accessibilité et d’une conscience de son spectateur malgré son indéniable et jusqu’au bout-iste aboutissement formel (esthétique & symbolique)…
Quant à BLEEDER, second film simple et sans prétention, il repose sur des personnages solidement écrits auxquels on peut s’identifier, vecteurs d’une histoire qui gagne progressivement en force tragique. Si cela suffirait à en faire un film sympathique mais pas forcément mémorable, la valeur de BLEEDER se révèle grâce à une re-contextualisation au sein de la filmographie de NWR. Lorsque l’on évalue ce que l’auteur met de lui-même dans ses films, et quelle est pour lui l’importance de certaines thématiques comme la violence ou la parentalité.

C’est ainsi qu’observer le traitement des personnages et leurs interactions, en dit long sur Nicolas Winding Refn (et vice-versa).

LENNY & LEA : l’histoire d’amour

Lenny est peut-être le personnage le plus immédiatement identifiable à l’auteur, puisqu’il est un cinéphile hardcore, un peu autiste mais désireux de transmettre sa passion pour l’image. Lenny est par exemple le genre de gars qui connaît par cœur l’intégralité des films de son vidéo-club, et projette des films ultra-bis à ses potes.

Au sortir d’une séance de cinéma, il « rencontre » Lea, et se fascine pour elle. Petit à petit, Lenny prend sur lui pour tenter de la séduire, bien qu’étant absolument maladroit dans ses efforts : trop geek, un peu condescendant, incapable d’élever le débat, lâche même.
Pourtant… Contre toute attente, Lea répond positivement à ses avances. Entre sourires gênés et conversations empathiques, une relation naît.

Photo du film BLEEDER
© The Jokers / Le Pacte

On peut peiner à trouver une utilité à cette romance touchante et décalée, au-delà de la douceur qu’elle distille pour contraster la violence des autres histoires…
Pourtant, lorsque l’on découvre que Liv Corfixen, interprète de Lea dans le film, est en réalité la compagne de NWR dans la vraie vie, un atour sincère de mise en scène de la réalité l’enveloppe. Mieux, cela génère un écho se répercutant jusque dans le présent, et notamment dans le making-of d’OGF : MY LIFE DIRECTED BY NICOLAS WINDING REFN, de … Liv Corfixen. Nous y reviendrons.

Lenny est en tous cas, à la fois confident et lien (scénaristique) entre les autres protagonistes masculins : Kitjo*, Louis, et Leo.

*Kitjo est un personnage secondaire sympathique qui ne prendra jamais d’importance, bien que par son flegme immuable, il souligne constamment l’absurdité des comportements de ses amis.

LEO & LOUISE : le couple et la parentalité

Leo n’est pas un avatar de NWR comme peut l’être Lenny. Il s’agit plutôt d’observer dans sa relation avec Louise, le rapport de NWR au couple, et à la parentalité.

Ici, commence la nécessité de considérer l’œuvre de NWR dans son ensemble. Car c’est en additionnant les différents traitements de ce sujet précis à travers BLEEDER, les PusherDrive et OGF (nous excluons Bronson et Valhalla, qui privilégient la question de la violence), que l’on se rend compte que le réalisateur se pose de très profondes questions sur l’instinct et l’amour parental, l’éducation, et les dysfonctionnements associés. À travers des personnages fantasmés ou manifestement autobiographiques, apparaît un constat triste et pathétique – mais sans aucun jugement – sur les relations parents-enfants.

Photo du film BLEEDER
© The Jokers / Le Pacte

Si Pusher 1 privilégiait l’action au développement des personnages, il avait le mérite de présenter un couple assez crédible dans son rapport à l’autre, altéré par les addictions à l’argent, aux drogues, à l’amour. Leo et Louise dans BLEEDER, sont une évolution « mature » de ce couple, guéri de ses addictions et « réuni » autour de l’arrivée prochaine d’un enfant. Pusher 2, mettra ensuite en perspective la prise de responsabilité en tant que tout-nouveau parent, ainsi que le regard d’un enfant-adulte sur un parent qui ne l’a jamais aimé – point de vue repris avec plus d’emphase dans OGF. Dans Pusher 3, cet enfant a grandi (elle a 25 ans en l’occurrence) ; quelles compromissions doit-on faire en tant que parent, pour maintenir son bien-être ; puis dans Drive, il s’agit de transmission à travers divers pères, de substitution ou biologiques.

La re-contextualisation de chaque œuvre permet d’observer l’évolution de ces questionnements et la maturité gagnée progressivement, à travers l’introspection cinématographique de NWR.

Pour en revenir à BLEEDER, Leo et Louise y prennent conscience de l’arrivée prochaine de leur enfant. L’impact sur leur couple est très négatif, puisque cela remet en question les notions de masculinité, de féminité, de désir ; préparer son arrivée impose une prise de responsabilités, un changement d’habitudes. Ces changements, très mal gérés par les deux partis, mèneront à un drame intime dont la violence déteindra sur tous les personnages. Notamment Louis, le frère de Louise.

LOUIS : le violent

En tant que videur pour une boite de nuit, Louis est de-fait confronté à l’exclusion des minorités du pays. Loin d’être une information anecdotique, cela permet un léger mais troublant portrait sociétal du Danemark, présentant le racisme (envers les turcs notamment et l’immigration de masse qu’ils représentent) comme générateur de comportements déviants. La violence de Louis est ainsi justifiée par son quotidien : l’offensive disproportionnée dont il fait preuve à la moindre contrariété, nous apparaît comme un exutoire logique et inconscient, à une situation professionnelle et personnelle sans relief.

Sauf qu’en parallèle, Louis n’est affectivement défini QUE par ses rapports avec sa sœur Louise, et par extension avec son beau-frère Leo. Ce qui affecte Louise affecte donc émotionnellement Louis, avant de rejaillir physiquement sur Leo.
Ainsi, par le prisme d’une réalité sociale altérante et d’un caractère encourageant l’amplification, Louis est ce catalyseur fluidifiant la transition entre le drame intime et la mythologie sombre, violente et cruelle des Pusher

Un personnage passionnant par son écriture, mais pas forcément par son interprétation, évidemment mono-expressive.

Photo du film BLEEDER
© The Jokers / Le Pacte

Le subtil soin apporté à l’écriture de ce personnage témoigne en tous cas, de la fascination de NWR pour ce thème : la violence.

Elle peut être un catalyseur scénaristique (les Pushers, Bleeder, Drive, OGF), ou ce qui définit le présent d’un personnage mais se dissimule dans une ellipse (Fear X, Pusher 3, OGF). Elle peut être une métaphore de l’expérience du temps, (Fear X, Valhalla Rising, OGF), ou cette Némésis du protagoniste, qui l’obligea à fuir mais aussi à évoluer intérieurement (Pusher 2 & 3, OGF). Parfois, elle est innée, et constitue un moyen d’exprimer sa personnalité, de se faire respecter, de communiquer avec le reste du monde (Bronson, OGF), et parfois elle peut être le manifeste d’un instinct de survie exacerbé et maudit, la tragédie d’un personnage finalement aussi pathétique que charismatique (Valhalla, OGF). Elle peut aussi être observée de façon métaphysique, par des personnages s’interrogeant sur le sens de cette violence qui les définit (Bronson), ou encore mettre en perspective la beauté de choses simples, comme l’amour ou la poésie d’un instant (Drive).

Une composante essentielle déclinée à travers plusieurs personnages et situations différentes, qui dans mon cas n’a pris sens qu’avec OGF, lorsque je me suis penché sur le cas du personnage du flic Chang, réunissant la plupart de ces facettes.

« Si Bleeder serait, sans re-contextualistation, un bon film, il gagne énormément d’importance lorsque comparé à l’ensemble de la filmo de NWR ! »

BLEEDER introduit également l’une des plus fortes singularités du cinéma de Nicolas Winding Refn – celle de ses héros, et de leur charisme unique. À travers Lenny, Leo et Louis, il y a l’archétype du « héros » Refn-ien dont Mads Mikkelsen et Ryan Gosling seront les illustrations les plus troublantes : un personnage masculin généralement mutique et mono-expressif, hors de tout manichéisme, et dont les évolutions intérieures n’apparaissent que TRÈS subtilement, au détour d’un regard, d’un geste. L’empathie, chez NWR, passe par ces fantastiques instants ou la caméra se fige pour sonder l’âme des personnages, instants capitaux et décisifs pour la suite de l’histoire. C’est d’ailleurs justement ce qu’il manquait à l’ultra-rythmé Pusher, dans lequel le protagoniste Frank est littéralement emporté par l’action : le sentiment de voir évoluer un personnage à travers ses choix.

À la fois comédie romantique décalée, étude de couple et polar Pusher-ien, ce « petit film personnel » de Nicolas Winding refn peut paraître assez mineur au sein de sa filmo… Pourtant, en ayant une connaissance exhaustive de la filmo de l’auteur, on se rend compte à quel point BLEEDER est une clé de son cinéma, parce qu’il introduit déjà quelques unes des thématiques qu’il développera plus tard à l’aide d’ambitions esthétiques et symboliques fortes. En cela, il est nécessaire pour tout fan de l’œuvre tardive de l’auteur, de le découvrir absolument.

Georgeslechameau

D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?

[divider]NICOLAS WINDING REFN sur Le Blog du Cinéma[/divider]

Nicolas Winding Refn est un réalisateur passionnant. Pour essayer de capter l’essence de son cinéma, nous nous sommes mis à 4 (Maxime, Vivien, Georgeslechameau et Paul) afin d’essayer de décortiquer sa filmographie. Chaque rédacteur à visionné l’ensemble des films, dans l’ordre de sortie, ce qui a permis par la suite de pouvoir se concerter afin de rassembler le plus d’éléments. C’est ensuite avec sa propre sensibilité et sa culture, que chacun s’est lancé dans la rédaction des critiques, tout en pouvant re-contextualiser les films par rapport au reste de la filmographie, à l’ensemble de l’œuvre.

En résulte un dossier complet, essayant de saisir la quintessence du travail du réalisateur danois et vous permettant, on l’espère, de mieux appréhender ce qui fait la beauté de son cinéma.

Bonne lecture !

BONUS : Consultez également Notre top 10 des films de NWR ou nos différents avis sur l’oeuvre du cinéaste.

Cliquez sur l’affiche pour afficher la critique

[column size=one_third position=first ]pusher 1[/column][column size=one_third position=middle ]Pusher 2[/column]

[column size=one_third position=last ]Pusher 3[/column]

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THE_NEON_DEMON1

[divider]INFORMATIONS[/divider]

Titre original : Bleeder
Réalisation : Nicolas Winding Refn
Scénario : Nicolas Winding Refn
Acteurs principaux : Mads Mikkelsen, Liv Corfixen, Kim Bodnia, Rikke Louise Andersson, Zlatko Buric
Pays d’origine : Danemark
Sortie : 1999
Durée : 1h35min
Distributeur : The Jokers / Le Pacte
Synopsis : Leo et Louise, un jeune couple à Copenhague. Leo sort très souvent avec ses amis, mais Louise préfère rester à la maison. Lorsqu’elle lui apprend qu’elle est enceinte, Leo devient distant et très violent.

[divider]BANDE ANNONCE[/divider]

https://www.youtube.com/watch?v=MHILeDzXG18

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