[critique] A Tombeau Ouvert

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Frank sillonne tous les soirs au volant de son ambulance l’un des quartiers les plus chauds de New York. Il opere dans l’urgence, hanté par toutes les vies qu’il n’a pas pu sauver.

Note de l’Auteur

[rating:8/10]

Date de sortie : 12 avril 2000
Réalisé par Martin Scorsese
Film américain
Avec Nicolas Cage, Patricia Arquette, John Goodman
Durée : 2h
Titre original : Bringing Out The Dead
Bande-Annonce :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=sfUwvmRmMtw[/youtube]

On peut voir A Tombeau Ouvert comme un drame en trois actes. Trois nuits se suivent et se ressemblent. Chaque soir, mal réveillé d’un sommeil trop bref, Frank arrive au bureau, se voit attribuer un nouvel équipier et monte dans son ambulance. Puis il part dans la nuit, d’une fusillade à un accident dans les rues de New-York, ballotté d’une cour des miracles à l’autre, pour repasser par l’hôpital à intervalles réguliers. C’est le même circuit, il revoit toujours les mêmes lieux, les mêmes visages, les mêmes corps souffrants. Il y a Noël, le cinglé présumé à l’étrange maladie (il a soif mais boire lui est interdit) et Oh, le clochard malodorant. Au début du film, Frank Pierce est déjà mal en point. Il a le regard fortement halluciné que Nicolas Cage sait prendre. Robert De Niro peut donner l’impression d’une machine infernale prête à exploser. Cage, lui, irradie la douleur et la folie à dose constante, donnant à ses traits lourds une étrangeté, un déséquilibre qui imprègnent tout le film. Le drame se transforme alors en mission, moins celle de sauver les gens que de les empêcher de mourir.

Cette mission, que l’on peut entendre au sens religieux du terme, Frank Pierce la vit comme une Passion. Le calendrier hebdomadaire l’indique : le récit commence un jeudi soir et se finit un dimanche matin. La récurrence des symboles tirés des évangiles ne laisse aucun doute : à ses côtés, ses collègues d’ambulance tiennent la place des larrons, plus ou moins bons : Larry (John Goodman), un professionnel sans imagination ; Marcus (Ving Rhames), qui ne fait plus de différence entre intervention divine et secourisme ; Tom (Tom Sizemore), qui se voit bien en cavalier de l’Apocalypse. Viennent renforcer l’imagerie chrétienne : Noël, le drogué qui prétend venir du désert ; Patricia Arquette, qui se prénomme Mary ; un dealer qui termine crucifié ; le plan final rappelant explicitement une Pieta.

Le principal moteur du film est de faire osciller son héros perdu entre deux figures féminines : Mary, la fille d’un homme qu’il a provisoirement arraché à la mort, ancienne toxicomane, ancienne catholique, elle s’est repliée sur elle-même aussi sûrement que Frank s’est lancé à corps perdu dans l’autodestruction. Patricia Arquette prête une violence émouvante à ce personnage ingrat. L’autre femme n’est qu’une apparition, un fantôme, celui d’une victime que Frank n’a pas su sauver et qu’il croit reconnaître à chaque coin de rue. L’une lui donne une chance de revenir vers la réalité, l’autre l’enfonce dans son imaginaire mortifère.

Un film trop souvent oublié dans la filmographie de Scorsese qui mérite pourtant toute notre attention

Comme dans Casino, le personnage se trouve confronté à un enfer parce qu’il ne peut pas voir la réalité. Enfermé dans un travail harassant, perpétuellement condamné à l’échec, il vit comme ses collègues dans un imaginaire qu’il s’est fabriqué. La mise en scène, par l’importance accordée aux effets de vitesse, de couleur, à la musique et à la symbolique christique, s’installe délibérément dans l’imaginaire. On a dit que le film était un éloge de la compassion, un film fait pour attirer l’attention sur le grave dénuement dans lequel sont tenus les sans-abri new-yorkais. Ces dimensions morale et sociale semblent absentes du film. Il me semble même qu’il s’agit de tout le contraire. Le christianisme est systématiquement détourné pour servir de repoussoir à cette compassion stérile au profit d’un éloge du combat avec le réel. Entièrement centré sur le personnage de Frank, c’est lui -nous- que le film essaie de sauver ou d’alerter. Comme un autre immense cinéaste, Kenji Mizoguchi, Scorsese montre que la beauté est un danger lorsqu’elle s’éloigne du réel. Ce danger de l’imaginaire est ici symbolisé par « l’oasis », cet appartement repos où le dealer tente de faire dormir les personnages souffrants. Artificielle et ambiguë (le repos est probablement un bien mais qu’en est-il de la drogue ? de son prix ?), « l’oasis » est le dernier refuge d’un Christ moderne. En sauvant celui-ci Frank réalise le sauvetage ambigu d’un sauveur ambigu ; posture sans issue que viennent ironiquement surcharger les feux d’artifice. S’il existe une porte de sortie, elle est plus probablement à chercher du côté de Mary qu’à force d’obstination Frank finit par séduire.

La beauté du film tient aussi à ce dernier combat des grands artistes entre une mise en scène toujours plus virtuose et un réel dont, de part leur position de monstre sacré, ils s’éloignent de plus en plus. Intégrant pleinement cette problématique, A Tombeau Ouvert est un film aussi marquant que les derniers films de Fritz Lang ou de Jean-Luc Godard. Un film trop souvent oublié dans la filmographie de Scorsese qui mérite pourtant toute notre attention.

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