BLADE RUNNER
Warner Bros. France

BLADE RUNNER, le souvenir du chef-d’œuvre est restauré – Critique

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Revoir BLADE RUNNER aujourd’hui en version restaurée sur copie numérique permet de mesurer à quel point le film est plus que jamais moderne, toujours avant-gardiste 32 ans après sa sortie dans une version depuis remontée par le réalisateur Ridley Scott. Le travail de restauration nous fait complètement oublier qu’à l’époque les effets spéciaux étaient avant tout un patient travail de maquettiste (voir les photos du tournage ici).

Présent au générique bien après producteurs et acteurs, le réalisateur n’avait à l’époque pas assez de poids pour imposer son point de vue. Au fil des ans, Ridley Scott a réussi à sortir une version « Director’s cut » d’abord restaurée pour être distribuée sur copies argentiques, et maintenant sur support numérique.

L’histoire de BLADE RUNNER plonge ses racines dans une nouvelle de l’auteur américain de science-fiction Philip K. Dick, intitulée « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » dont le réalisateur et les scénaristes ne garderont que les prémisses pour installer une ambiance inégalée au cinéma depuis. Deckard (interprété par Harrison Ford), flic alcoolique en pré-retraite, est sommé de reprendre du service en tant que « Blade Runner » pour dérouiller des « Répliquants » en fuite, dissimulés quelque part dans un Los Angeles condamné à une nuit pluvieuse éternelle. Film noir et sensuel, BLADE RUNNER, plonge le spectateur dans un abîme au fil d’une enquête au rythme imprévisible. L’intelligence de Ridley Scott est d’avoir importé les codes du film noir (femme fatale, détective alcoolique et omniprésence du passé sur le comportement des individus englués dans une ville à l’architecture agressive) dans la Science-Fiction. Cette fusion des genres nous parle encore aujourd’hui d’une multitude de problématiques engendrées par notre développement technologique et économique.

Les « Répliquants » sont des androïdes parfaitement semblables à l’homme, mais ne disposent que de 4 ans d’espérance de vie. De quoi se révolter contre l’espèce humaine qui vous a engendré lorsqu’on est doté comme ils le sont, de souvenirs et d’une conscience personnelle. Au-delà des questions métaphysiques sur ce qui définit un être humain (le film ne pose jamais la question de manière frontale, mais toujours en creux), BLADE RUNNER possède également un discours sur ce qui définit le cinéma. Très vite la personnalité des Répliquants comme des Humains est cernée grâce à leurs souvenirs, dont ils tirent d’étranges comportements et obsessions. Mettre en avant ainsi l’importance de la mémoire affective (citée dans le film telle quelle), c’est aussi faire référence au principal outil de la direction d’acteurs. Selon la méthode de l’Actor Studio, l’acteur n’est capable de transmettre une émotion avec justesse, uniquement s’il peut se rappeler un souvenir se rapprochant de la situation concernée. S’il ne dispose pas grâce à son expérience personnelle de ce souvenir, il doit être capable de le créer et d’y croire le temps de la scène.
Vrais et faux souvenirs, rêves et fantasmes, partagées par les Humains comme par les Répliquants, constituent la matière première de BLADE RUNNER. Avoir choisi de ne pas différencier les uns des antres par un effet spécial ou par un jeu d’acteur plus ou moins mécanisé est d’une efficacité remarquable.

Indice sur les Répliquants. Toutefois, en revoyant le film plusieurs fois, on s’aperçoit que les acteurs incarnant des Répliquants ont parfois une étrange lueur dans les yeux, ce qui permet de comprendre qui le réalisateur considère comme un androïde et qui ne l’est assurément pas. Le cas du héros, Deckard, est sur ce point très intéressant, car à mon sens la lueur n’intervient dans son regard qu’une fois qu’il passe derrière Rachael. Il est alors hors-focus, et la lueur dans les yeux de Harrison Ford est plus atténuée que celle dans le regard de Sean Young. Impossible de savoir sans les allégations de Ridley Scott des années plus tard, si Deckard est oui ou non un Répliquant, si cette lueur est accidentelle ou volontaire.

Noir et sensuel, le film plonge le spectateur dans un abîme, au fil d’une enquête au rythme imprévisible.

BLADE RUNNER est si parfait, qu’on se demande si Ridley Scott lui-même en était conscient au moment de son élaboration. Harrison Ford, parait-il, ne comprenait rien au scénario et se contentait d’enchaîner les scènes sans savoir ce que le film pouvait bien signifier. Des images inédites ont fuité sur YouTube avant d’être retirées. Montées bout-à-bout elles montraient un autre film, plus facilement interprétable. Cheminant entre les possibilités offertes par les rushs lors de la première sortie du film en 1982, puis de la version Director’s cut, Ridley Scott a peut-être construit l’indécision fondamentale sur la nature de Deckard au montage (Répliquant ou pas ?). Beaucoup de fans ont alors été déçu lorsque le réalisateur a annoncé sans ambages : « Bien sûr que Deckard est un répliquant ! » comme si c’était une évidence, alors que c’est ce mystère qui avait tant fasciné décennie après décennie.
Probablement qu’au fil du temps et des versions, Ridley Scott a choisi une interprétation parmi les autres. Bien que se soit rare qu’un réalisateur « spoil » la fin d’un de ses films, rétrospectivement, à l’aide de tous les indices laissés dans le film, sa décision apparaît totalement cohérente.

Le choix d’annoncer sans ménagement la véritable nature de Deckard peut être comprise dans l’optique de la sortie prochaine de Blade Runner 2, suite directe du premier. Nous savons maintenant qu’une grande partie du scénario de ce prochain film réalisé par Denis Villeneuve avec Ryan Gosling consistera à comprendre pourquoi Deckard est bien un Répliquant, mais pourquoi il paraît avoir 32 ans de plus (Harrison Ford ne va donc pas être retouché numériquement pour faire plus jeune), alors que les Répliquants ne sont sensés vivre que 4 années.
Depuis le premier BLADE RUNNER, Ridley Scott a fait du chemin en tant que réalisateur, mais aussi en tant que producteur. Beaucoup plus indépendant financièrement, Ridley Scott ne risque pas d’avoir l’excuse d’une pression trop grande des studios sur un pauvre petit réalisateur pour expliquer dans quelques années une version Director’s cut de Blade Runner 2 par Denis Villeneuve à la hauteur de celle de Ridley Scott pour BLADE RUNNER, autant au niveau de l’ambiguïté que de la qualité immersive de ce nouveau film.

Les fans du premier film attendent à la fois que Denis Villeneuve rendent hommage et qu’ils les surprennent. Car que serait un BLADE RUNNER sans complexité ? Probablement à l’image de Total Recall : mémoires programmée, une déception que l’action n’a pas réussi à sauvé, contre-pied maladroit au premier Total Recall dirigé par Paul Verhoeven. Également inspiré de l’œuvre de Philip K. Dick, tout comme le film Minority Report de Steven Spielberg, et une multitude de films depuis les années 2000, l’échec de la suite de Total Recall est une mise en garde à ceux qui veulent adapter les romans de l’auteur de Science-Fiction uniquement sur la base de sa popularité. Philipp K Dick est un auteur complexe, dont il faut bien comprendre les répercussions des thèmes et questionnements qu’il soulève avant d’imaginer transposer son univers de machines humaines et de souvenirs artificiels à l’écran.

Il n’y a pas de « recette » pour faire un bon film à partir d’un roman de Philip K. Dick. L’auteur a écrit la plupart de son œuvre contre la pensée dominante de son époque et les institutions de pouvoir qui la transmettaient. Il est rafraichissant de constater que ses livres ne sont pas totalement solubles dans la machine à gagner de l’argent qu’est Hollywood. Blade Runner 2 est un défi à la hauteur du talent de Denis Villeneuve, chaperonné par un Ridley Scott qu’on imagine en producteur bienveillant. Mais la sortie en copie numérique restaurée de BLADE RUNNER nous permet de mesurer la difficulté de la tâche. Passer après un chef-d’œuvre absolu n’est jamais aisé.
Rêvons d’un bon film à venir, au risque que s’évanouisse cet espoir, « telles les larmes qui coulent sous la pluie » évoquées par Rutger Hauer dans BLADE RUNNER. Si par malheur ce second film était une déception, il nous restera le souvenir radieux du premier, tout aussi réel que la mémoire affective, celle des androïdes comme celle des humains.

Thomas Coispel

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