blind sun
© Pretty Pictures

[CRITIQUE] BLIND SUN

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Symbolisme politique
9
Esthétique sonore et visuelle
8.5
Réalisation
8
Ambiance
7
Accessibilité (rythme, histoire)
3
Note des lecteurs0 Note
0
7.1

Si communément on peut attendre d’un film qu’il raconte une histoire et développe des personnages, le propre des démarches d’auteurs est de s’affranchir de cette base grâce à une volonté de creuser un ou plusieurs sujets, et de le faire d’une façon unique, personnelle. C’est à la fois l’immense force et le problème d’accessibilité de BLIND SUN.

Joyce A.Nashawati ne respecte volontairement pas les codes de cinéma les plus évidents, en construisant avant tout son film sur le symbolisme. Bien qu’avant tout politique, c’est toutefois ce symbolisme qui donne toute son « inquiétante étrangeté » au décor, à la fois épuré et dense, réaliste et fantasmagorique, qu’est la Grèce décrite dans le film. Ce même symbolisme est à chaque instant accompagné par la belle mise en scène de l’image, de l’espace et des situations; mise en scène créant une ambiance très particulière, entre road-movie, paranoïa Polanski-ienne et espace mental. C’est encore ce symbolisme qui définit les personnages au delà de leurs fonctions scénaristiques, justifiant l’exploitation de l’aura des acteurs plutôt que leur qualité de jeu. Puis, en toute fin de chaîne, Joyce A.Nashawati développe le protagoniste lui-même, ainsi que son histoire.

Il faut ainsi se préparer à décrypter et à constamment interroger le film, plutôt que d’en être uniquement spectateur. Une posture qui pourra être taxée d’élitiste, ou d’exagérément auteurisante… Mais que nous choisirons d’examiner, loin de l’a priori et du ressenti. Car BLIND SUN, par au moins ses thématiques, métaphores, ambiances et qualités esthétiques, possède une richesse et une cohérence qu’il serait dommage de ne pas reconnaître. En voici une interprétation.

Photo du film BLIND SUN
© Pretty Pictures

BLIND SUN est donc à mon sens, cette métaphore d’une Grèce économiquement au bord de la rupture. Le fameux SOLEIL aveuglant, peut être perçu comme une allégorie de la dette européenne, épée de Damoclès donnant une définition singulière à beaucoup d’éléments du film. C’est ainsi qu’un tel SOLEIL, assèche cet environnement et le rend stérile, absolument inexploitable presque même inhabitable. Ce SOLEIL provoque d’ailleurs moult feux de forêts qui, tels une crise immobilière, délocalisent progressivement les derniers autochtones. L’excès de chaleur toujours provoqué par ce SOLEIL incite à l’inactivité (chômage), à l’enfermement « à l’ombre », et pousse aux comportements de survie tels qu’individualisme, pillage, corruption, voire folie. Folie qui peut prendre diverses formes, en fonction de son acclimatation – ce qu’expérimentera le protagoniste Ashraf.

Photo du film BLIND SUN
© Pretty Pictures

Paradoxalement, ce même SOLEIL est ce qui permet à d’autres – les « étrangers » – de s’enrichir dans l’exploitation des richesses grecques restantes. Richesses pécuniaires, soutirées par Blue Gold, revendeur d’eau tirant partie de la sécheresse; le décor Grec lui même est une autre richesse exploitée par les différents touristes, venus chercher leur dose d’exotisme. La Culture, représentée par ces statues et vestiges de l’Histoire du Pays, est également expurgée par ces archéologues venus d’ailleurs. Puis, plus ambigu, l’immigré arabe Ashraf symbolise encore une autre forme d’exploitation: la Grèce, malgré sa situation chaotique au sein de l’Europe, reste une sorte d’Eden, où l’on peut trouver une alternative relativement positive, à sa propre condition sociale. Différentes facettes toutes connectées entre elles, du pillage économico-socio-culturel.

Réduisant les grecs eux-mêmes à des personnages fonctionnels et très caractérisés, Joyce A.Nashawati dépeint le pays presque exclusivement par ce qui le détruit, et ceux qui l’exploitent, faisant de la Grèce une sorte de personnage à part entière pour lequel se créée une forte empathie, bien qu’elle soit absolument sensorielle et allégorique.

« Il faut se préparer à décrypter et à constamment interroger BLIND SUN, plutôt que d’en être uniquement spectateur. »

De cette base, naît l’ambiance du film. Joyce A.Nashawati met en image, grâce à la fantastique photo de Yórgos Arvanítis, la chaleur, et son impact à tous niveaux sur les hommes. Le Soleil, par l’image, semble perpétuellement à son zénith, ne laissant ainsi aucune zone d’ombre. Ni celles protégeant le corps, encore moins celles protégeant l’esprit.

Ashraf, l’immigré, est contraint de se mouvoir, sous ce Soleil maudit. Ses raisons sont certes très banales : trouver un travail, récupérer ses papiers, acheter de la nourriture… Pourtant chacune de ses rencontres possédera cette part d’imprévisibilité et d’inquiétude à même de faire basculer un banal échange, vers tout autre chose, quelque chose de très sombre. Haine voire racisme, mépris social ou culturel, malveillance, harcèlement, violences et paradoxalement une certaine domination, notamment sexuelle; cette folie plus ou moins agressive, plus ou moins insidieuse modifiant le comportement des Hommes et plus particulièrement celui des autres envers Ashraf, est intimement liée à la situation économique du pays – et donc à ce fameux SOLEIL.

Seule solution : se cacher du SOLEIL. Pourtant, l’endroit maudit choisit par Ashraf est, tel l’Overlook Hôtel, un vecteur de haine et de turpitudes. La baraque des expats français, dans laquelle Ashraf occupe un poste de gardiennage, n’est qu’une version à taille humaine, de l’entreprise Blue Gold… Soit le symbole exact de la misère grecque, et de l’opulence qui s’est construite dessus. À partir du moment ou Ashraf choisit ce lieu pour refuge, le film bascule dans une sorte d’espace mental où se matérialisent, à travers diverses hallucinations visuelles et sonores, tous les ressentiment qu’Ashraf a emmagasiné au contact des autres. Angoisse et paranoïa se feront ainsi de plus en plus prégnants, jusqu’à atteindre un point de rupture.

Photo du film BLIND SUN
Ziad Bakri incarne l’énigmatique Ashraf Idriss © Pretty Pictures

BLIND SUN achèvera ainsi d’être troublant et dérangeant, avec son image finale visuellement poétique et apaisante, mais pourtant particulièrement pessimiste en termes de perspectives.

La clôture parfaite d’un voyage sensoriel illustrant une profonde réflexion politique sur la situation de la Grèce. Un film que l’on perçoit comme personnel pour sa réalisatrice / scénariste Joyce A. Nashawati, préférant donner de multiples sens à l’image plutôt qu’accompagner le spectateur dans son interprétation; Si l’on n’évite pas un certain sentiment de confusion (pourquoi tant de français dans une vision si négative ?), et si l’on reconnaît volontiers que le film pèche dans son rythme reposant moins sur l’ambiance que sur la péripétie,  BLIND SUN reste tout de même l’une de ces expériences singulières qui peuvent rebuter mais ne laissent pas indifférent.

Georgeslechameau

D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?

[divider]INFORMATIONS[/divider]
[column size=one_half position=first ]Affiche du film BLIND SUN[/column][column size=one_half position=last ]

Titre original : BLIND SUN
Réalisation : Joyce A. Nashawati
Scénario : Joyce A. Nashawati
Acteurs principaux : Ziad Bakri, Yannis Stankoglou, Mimi Denissi, Louis-Do de Lencquesaing
Pays d’origine : France, Grèce
Sortie : 20 avril 2016
Durée : 1h28min
Distributeur : Pretty Pictures
Synopsis : Grèce. Futur proche. Une station balnéaire frappée par une vague de chaleur. L’eau se fait rare et la violence est prête à exploser. Ashraf, immigré solitaire, garde la villa d’une famille française en son absence. Dans ce paysage aride, écrasé par le soleil, il est arrêté par un policier pour un contrôle de papiers…

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