CHANTAGE

[CRITIQUE] CHANTAGE (1929)

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CHANTAGE
• Sortie : 30 juin 1929
• Réalisation : Alfred Hitchcock
• Acteurs principaux : Anny Ondra, John Longden, Donald Calthrop
• Durée : 1h30min
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4
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Deux ans après le film américain Le Chanteur de jazz (1927) d’Alan Crosland, le cinéma parlant arrive en Angleterre avec CHANTAGE. Alfred Hitchcock s’impose comme le grand réalisateur britannique que le gouvernement cherchait au cours des années 1920 et qui maintient le pays dans la course aux avancées cinématographiques. Le film mêle muet et parlant, et c’est d’ailleurs en version muette que CHANTAGE a été tourné. Selon Ivor Montagu, Alfred Hitchcock a inventé le son post-synchronisé : doublage ajouté dans de nombreuses scènes à la suite du tournage. Cette innovation sonore, qui a été possible grâce à l’importation par le producteur John Maxwell de matériel audio, fait de l’Angleterre une avant-garde sur le sujet.

Dans CHANTAGE, le son post-synchronisé est aussi une possibilité d’accentuer la tension, par le fait que d’abord pensé muet, le film cultive un suspense fondé sur le visuel, magnifié par une utilisation toute en retenue du son. Alfred Hitchcock réussit à unir ces deux entités avec brio : l’image garde par son montage et le « jeu négatif » (gros plan sur un personnage suivi d’un plan sur le contre-champ) son pouvoir d’amener les informations en crescendo, là où le son apporte de nouveaux indices ou des dialogues incisifs. Le parlant n’est pas vu comme un but atteint, mais une nouvelle possibilité qui ne sert qu’à soutenir les inventions visuelles du muet. Le film sortira d’ailleurs dans les deux versions. Mais surement parce que la parole a son importance, avec CHANTAGE, Alfred Hitchcock s’éloigne de l’image très marquée de l’expressionnisme allemand pour trouver sa propre identité visuelle plus équilibrée. Le cinéaste transpose le romantisme germanique à l’atmosphère anglaise, grâce à son sens de l’observation de la réalité et son goût du détail signifiant.

Après Les Cheveux d’Or, Alfred Hitchcock retrouve les thématiques qui lui sont chères :  fausse culpabilité, adultère et intégrité de la police. Un trio habituel pour le cinéaste mais qui à chaque film se réinvente. Dans CHANTAGE, adapté de la pièce Blackmail de Charles Bennett, un policier de Scotland Yard, Frank Weber (John Longden), et sa promise, Alice White (Anny Ondra), se retrouvent autour d’un thé. Une dispute insignifiante éclate entre eux, l’homme décide d’aller au cinéma alors que la femme retrouve un artiste peintre à qui elle avait donné rendez-vous. Ce dernier l’amène visiter son atelier, dans lequel il tente de la violer. Pour échapper à cette agression, la jeune femme n’a pas d’autre choix que de le tuer d’un coup de couteau. Alors que paniquée, elle quitte les lieux, un homme voleur, Tracy (Donald Calthrop), l’aperçoit… Bien-sur qui dit meurtre, dit enquête policière : l’affaire est confiée à Frank Weber, qui trouve dans l’appartement du peintre un gant appartenant à Alice White. L’autre gant est récupéré par Tracy.

Photo du film CHANTAGE
© Blackmail

CHANTAGE surprend par son rythme. Loin d’être transporté par un suspense intenable, il oscille entre début quasi documentaire, scène de crime suggérée derrière un rideau (doit-on déjà voir une prémisse à Psychose ? ou bien à Le Crime était presque parfait), course poursuite effrénée dont la fin à un goût de Vertigo ou de Saboteur, et huit clos intense où se livre un chantage vénéneux. L’intensité se cristallise au fur et à mesure, atteignant son paroxysme dans le montage parallèle des deux séquences finales, où se répondent « bien » et « mal ». Un peu comme avec Les Cheveux d’Or, Alfred Hitchcock avait pourtant débuté son film avec une séquence qui met à distance des personnages principaux. Cette fois-ci, il conçoit l’introduction d’une façon documentaire, ce qui a pu être nommé par un collaborateur américain le « réalisme hitchcockien » : depuis, The Ring (1927), il filme des scènes en décors réels, par exemple les séquences avec les pêcheurs dans The Manxman (1928).

Dans CHANTAGE, il s’agit de capter le travail des policiers et le rythme journalier de Scotland Yard, séquence pour laquelle le réalisateur abandonne l’utilisation des cartons. Alors qu’il s’impose dans le paysage cinématographique européen, Alfred Hitchcock continue d’innover dans son langage, sortant des studios si protecteurs, osant le son comme motif notamment lors de la scène du petit déjeuner où le mot « Knife » est le seul audible. Soucieux de son apprentissage muet, il réalise avec CHANTAGE une transition mesurée vers le parlant et ce que cela implique dans la considération du montage, du rythme et des informations données.

« L’image garde par son montage et le « jeu négatif » son pouvoir d’amener les informations en crescendo, là où le son apporte de nouveaux indices ou des dialogues incisifs. »

Autour de la paire de gants, Alfred Hitchcock construit un récit où se mélangent culpabilité, tromperie et survie. L’objet comme preuve. L’objet comme mensonge. L’objet comme lieu de pouvoir. Ainsi, Tracy et Frank Weber détiennent tous les deux une partie bien matérielle de la vérité. Mais face à elle, existent deux poids et deux mesures : le policier et le le voleur, où l’homme de loi ne peut que gagner le duel.

Avec CHANTAGE, Alfred Hitchcock pousse à l’extrême la perversité de l’espèce humaine quand il s’agit de sauver sa peau ou son honneur. Telle une psychose au ton sarcastique, il place l’adultère et la tentation comme point de départ des drames, où la femme bascule si facilement dans les faiblesses : récurrence dans la filmographie hitchcockienne qui ne cache pas son anxiété masculine et ses propres contradictions envers les femmes. La tromperie, qui pourrait amener au drame conjugal, devient la base du couple qui a pour seule solution le secret et la confiance. Alfred Hitchcock fonde un cinéma à rebondissements, aussi bien dans les actions que dans les réactions humaines, qui ne semblent être modulées que par le fort intérêt personnel au delà de la raison et de la logique.

Juliette Durand

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