youssef chahine

Coffret Youssef Chahine : Gare Centrale, La Terre, Le Moineau, Le Retour de l’Enfant Prodigue – Critique

Nous souhaitons recueillir votre avis sur votre façon de nous lire. Merci de prendre 2 minutes de votre temps en cliquant ici !


Moins d’un an après les événements de la place Tahrir, quatre œuvres (inédites en DVD) du plus célèbre des cinéastes égyptiens paraissent dans un coffret de qualité.

Les films réunis dans ce coffret appartiennent à la période 1958-1976 du cinéaste, et c’est une initiative audacieuse et bienvenue de pouvoir enfin les découvrir dans ces conditions. Du troublant Gare centrale au chantant (mais sombre) Retour de l’enfant prodigue, le propos est nuancé, et pourra capter quiconque connaît déjà le cinéma de Chahine, aussi bien que celui qui voudra le découvrir. Qu’aurait dit Youssef Chahine devant les événements du désormais consacré « printemps arabe » ? Nul n’est devin, mais une chose est certaine : c’est d’abord vers les petites gens, et non au sommet de l’Etat, que se serait porté son regard.

En cette période automnale, Pyramide Vidéo a le bon goût de sortir sur le marché de la vente – non Lecteur, je ne me suis pas métamorphosé en bouffeur impénitent d’Avatar – un coffret consacré à l’un des plus grands cinéastes du continent africain, Youssef Chahine. Le palimpseste se déplie par moult gestes attentionnés, pour notre plus grand bonheur se découvrent quatre disques dont on ne peut évaluer la valeur marchande. Le support DVD répare, au moins ad honorem, une injustice de la plus extraordinaire espèce en éditant ‘Gare centrale’. Fi de ces circonspections mercantiles, saluons comme il se doit l’entreprise ébauchée par ces aficionados d’un cinéma estampillé ‘intimiste’ – Lecteur, l’estampillage n’est point la forme dissolue d’un cachet de poste faisant foi. L’opuscule – éloigné du style publicitaire vantant les derniers trésors financés par la Warner Bros – de 28 pages délicatement fourré dans l’étui atteste de l’attention allouée à la besogne. En Guest star, la maison d’édition s’offre aussi le luxe d’inviter Thierry Jousse – l’antithèse de ce qu’est Jean-Pierre Pernaut à l’information – pour préfacer chaque film.

‘Gare centrale’, parmi le quatuor, occupe une position charnière dans la carrière de Chahine, car il aborde, sans aucune forme de tabou, des thèmes jusque là occultés par la ‘kichitude’ cinématographique égyptienne de l’époque. Le regard acquiert une dimension tridimensionnelle dans la logorrhée chahinienne, en confrontation avec le miroir, le sujet occupe une position centrale, et diffuse une vision périphérique, son influence agit en permanence. On retrouvera ce mimétisme du jeu des miroirs dans ‘Le moineau’.

La fable sociale est exprimée d’une façon assez foncière, lorsque l’on voit naître à l’écran les revendications des employés du chemin de fer, s’érigeant d’un même élan contre la mainmise patronale. Le premier syndicat en Egypte est créé quelques jours après la sortie de ‘Gare centrale’. Comme dans la plupart des films de Chahine, le discours foisonne, les plans, peuplés le plus souvent de personnages qui s’ébrouent dans un tohu-bohu parfois inaccessible. Le contraste devient perturbant lorsque le message que veut faire passer Chahine s’opère dans une longue plage de silence. Les 10 dernières minutes du film ‘Le moineau’ sont parmi celles les plus silencieuses dans le cinéma de Chahine, mais sont, ipso facto, les plus communicatives. L’objectif scrute les lieux vidés de leur substrat humain, une place dépeuplée, une rue déserte, une cour abandonnée, la mécanique psychologique du spectateur se met en branle, le conduit au doute et l’incite à prendre du recul lorsqu’apparaît le dernier plan.

youssef chahine

Braquer sa caméra –Lecteur, nous sommes en 1958, au cœur du Nassérisme, dans une République où la place de la femme est encore balbutiante – sur les formes du corps détrempé d’Hanouma dans ‘Gare centrale’ est un acte à part entière, acte indivisible qui préfigurera l’engagement du cinéaste, depuis ses espoirs fondés sur la compréhension d’une nouvelle politique républicaine, jusqu’aux désillusions profondes qu’il met en scène dans ‘Le retour de l’enfant prodigue’.

Le choix des œuvres pour ce coffret n’est certainement pas lié au simple fait du hasard. ‘Gare centrale’, avec ses réminiscences néo-réalistes, transgresse les tabous d’une société culturellement et socialement hiérarchisée – les anecdotes de tournage, et le contexte sociétal, sont très bien relatés dans le bonus accompagnant le film. Ce plan de l’oscillation des rails n’est rien d’autre que le pantomime d’un rapport charnel, incarnant toute l’ingéniosité de Chahine.

Ce plan de l’oscillation des rails n’est rien d’autre que le pantomime d’un rapport charnel, incarnant toute l’ingéniosité de Chahine.

‘La terre’ navigue entre deux périodes contrastées, et propose un retour aux sources, dans un style rural caractéristique du cinéma soviétique des années trente, à l’instar d’un Alexandre Dovjenko, qui a dédié sa vie de cinéaste à la communauté paysanne. ‘Le moineau’, œuvre au caractère confus, confronte l’histoire individuelle à l’histoire collective, au travers de trajectoires multiples, sans apporter une véritable réponse à la défaite égyptienne dans la Guerre des 6 Jours. Le silence qui suit le discours de Nasser annonçant sa démission, ces plans de morne plaine, évoquent un Waterloo des temps modernes, celui des consciences. ‘Le retour de l’enfant prodigue’ est la parabole du désenchantement, probablement l’un de ses opus les plus ténébreux. Chahine s’y complait à jouer avec les symboles, les croyances et les mythes.

‘’Il suffit d’observer la misère dans laquelle vivent la plupart des familles pour réaliser que, dans toutes les autocraties, c’est le peuple qui paye le prix fort. Les autorités menacent les populations au nom de la discipline pour étouffer toute liberté. Et c’est cette pagaille qui gère tout le Moyen-Orient.’’ De cet extrait d’annotation pour son dernier film ‘Le chaos’ (2007), Youssef Chahine consigne une réflexion politique, visionnaire dans le contexte actuel, qu’il avait déjà inscrit en 1958 dans ‘Gare centrale’, lorsque son objectif s’est posé sur la condition de ces cairotes, exilés sur leur propre terre, d’où résonne encore la vigueur du cri de détresse de Kenaoui ‘Ne m’abandonne pas…’ .

Retrouvez sur Cinetrafic d’autres films arabes sur la catégorie Film arabe ou découvrez la catégorie Film à voir.

Critique publiée le 20 octobre 2011.

Note des lecteurs0 Note

Date de sortie : 5 octobre 2011 • Réalisé par Youssef Chahine • Films égyptiens • Avec Youssef Chahine, Ali El Scherif, Mahmoud El-Meliguy • Durée : 1h14min (Gare Centrale) - 2h10min (La Terre) - 1h42min (Le Moineau) - 2h00min (Le Retour de l'Enfant Prodigue) • Titres originaux : Bab al-Hadid (Gare Centrale) - Al-Ard (La Terre) - El asfour (Le Moineau) - Awdet el ebn el dal (Le Retour de l’Enfant Prodigue) • Sorties : 1958 (Gare Centrale) - 1969 (La Terre) - 1972 (Le Moineau) - 1976 (Le Retour de l’Enfant Prodigue) • Bonus : Préfaces de Thierry Jousse - 4 documentaires (1h30) • Editeur : Pyramide Vidéo • Crédit films : © Misr International Films

4

Nos dernières bandes-annonces

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Note finale