[critique] Everyone Else

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Pendant leurs vacances en Sardaigne, Chris et Gitty rencontrent un autre couple qui va remettre en cause leurs certitudes…

Note de l’Auteur

[rating:9/10]

Date de sortie : 8 décembre 2010
Réalisé par Maren Ade
Film allemand
Avec Birgit Minichmayr, Lars Eidinger, Hans-Jochen Wagner
Durée : 1h59min
Titre original : Alle Anderen
Bande-Annonce :

Oubliez La Vie Des Autres, Good Bye Lenin! et 4 Minutes ; le cinéma allemand qui fait vibrer la corde du renouveau n’est pas là, il était présent sur la croisette cette année avec Unter Dir Die Stadt de Christoph Hochhäusler et il est de nouveau présent cet automne avec la plus belle réussite allemande de l’année 2009, Everyone Else.

Le film de Maren Ade est sous bien des angles plus complexe qu’il n’en a l’air ; allant au delà d’une simple histoire d’amour contrarié, c’est une traversée dans les affres de la vie amoureuse, un précis sur ce moment de la relation ou le couple se construit et se prépare pour l’avenir.

Alors qu’apparaissent les questions portant sur le futur de leur relation (emménagement commun, enfants…), Gitti et Chris doivent apprendre à faire communément face aux problèmes de chacun. Le film, tirant son titre de la volonté de Gitti de s’éloigner de ce qu’on attend d’elle, et de Chris de s’y plier, nous emmène dans le quotidien d’un couple allemand moderne. Mais, entre Gitti et Chris, les problèmes de rapports de force ne jouent plus un rôle prépondérant ; ce sera tantôt elle et tantôt lui qui mèneront les scènes, qui dirigeront la relation. L’indépendance n’est plus une denrée rare à acquérir pour Maren Ade, elle est gagnée d’avance, et devient même en quelque sorte le centre des problèmes de communication du couple. Car si le cinéma allemand contemporain se répète quelque peu, c’est dans ses mises en scènes successives de couples, ou familles que les problèmes de communication séparent irrémédiablement (Nachmittag d’Angela Schanelec ; Montag de Ulrich Köhler ; L’Imposteur de Christoph Hochhäusler). Cette problématique centrale du cinéma germanique des années 2000 doit aussi se comprendre à une plus grande échelle sociologique —ces réalisateurs n’en faisant la représentation qu’au plus petit dénominateur commun : le couple, la famille (qu’on ne se lasse pas de mettre à mal en Allemagne depuis les années 70)— ; dans l’Allemagne d’aujourd’hui, la structure familiale est de nouveau remise en question. Après le choc des années 70, le terrorisme et la dénonciation d’un état encore sclérosé par la seconde guerre mondiale et le nazisme, l’Allemagne des années 2000 tente de reposer de nouvelles bases de compréhension de son identité. Retournant vers des lieux et des thématiques propres à sa construction comme la forêt (Montag ; Milchwald de Christoph Hochhäusler), les contes (Milchwald), l’alliance d’un urbanisme maîtrisé, et d’une nature proche (Nachmittag ; Sehnsucht de Valeska Grisebach ; Montag et Bungalow de Ulrich Köhler), le cinéma allemand fait le bilan de sa première « nouvelle vague » qui en 1978 frappait un grand coup avec L’Allemagne En Automne, tirant par là même la sonnette d’alarme d’un pays qui ne se réfléchissait plus suffisamment, aussi bien historiquement, qu’ontologiquement.

Après Contrôle D’Identité (Christian Petzold, 1999), le cinéma allemand tourne la page du terrorisme pour toutefois lui en emprunter des thématiques qu’il réutilise et actualise. Le silence qui entourait le passé nazi en 1970, entoure désormais les jeunes allemands en quête d’identité, ne parvenant pas à trouver leurs places dans la société. A cette image, Maren Ade fait de ses personnages, des figures portées par le doute que leur a offert l’illusoire possibilité de tout pouvoir faire. Chris doute ainsi de ses capacités d’architectes et rejette Gitti qui tente de construire avec lui une relation durable. L’être, après avoir été communautarisé, est aujourd’hui individualisé à l’extrême et dans l’incapacité de recevoir l’autre dans sa sphère personnelle. Savoir faire siennes les interrogations de l’être aimé et surtout pouvoir accepter son aide afin de résoudre nos propres conflits, voilà ce qui apparaît alors comme le véritable fil rouge de ce film remarquablement maîtrisé par Maren Ade, et pour lequel la réalisatrice obtint le grand prix du jury au Festival de Berlin 2009 — prix que vint compléter le couronnement de Birgit Minichmayr comme meilleure actrice.

Il est presque embarrassant de voir un film de Maren Ade. Comme c’était déjà le cas pour son premier succès Der Wald Von Lauter Bäumen, on se sent voyeur d’assister à ces moments de malaises créés bien malgré eux par les héros. La caméra, au plus près du quotidien, instaure dès les premières séquences une redoutable intimité entre les spectateurs et les personnages, ne leur épargnant aucun moment de honte.

Ce qui permet pourtant au cinéma de Maren Ade de ne pas tomber dans l’étalage dramatique de vies brisées est son écriture fine et sa réalisation pudique, montrant tout sans pour autant jamais juger. La caméra au plus près des héros en mouvements fragmentent les corps et les séquences, rendant chaque geste signifiant et signifié d’un malaise qui comme la rouille attaque l’acier de la relation. Difficile de dire qui de Gitti ou de Chris à tort ; toutes les cartes sont étalées devant le spectateur et Maren Ade ne s’autorise aucun Deus ex-Machina psychologique pour éclaircir son dénouement. Les maux familiaux, les faiblesses, tout cela est laissé au passé, ou à peine perceptible dans l’espace qui se crée entre des plans magiquement simples. Ce qui importe alors c’est le présent, le moment vécu et son impact direct sur les personnages. Il est pour le jeune cinéma allemand des sentiments qui n’existent qu’à un moment « T » d’une histoire, qui elle appartient à la vie. Ces sentiments puissants, révèlent l’Homme dans toute son individualité, le distingue et le rapproche des autres, le tourmente. Ce sont ces « Kaïros » là qui intéressent les jeunes cinéastes allemands, ces sentiments, ces fugaces secondes terriblement vectorielles pour une vie ; « et tout le reste est Littérature ».

L’artifice semble alors absent de ce cinéma qui en toute simplicité, révèle les situations les plus complexes.
Portés par des histoires relativement dramatiquement faibles, cette « jeune » génération de cinéastes allemands, regroupée sous le sigle « nouvelle vague berlinoise », place les personnages au centre de leurs films, laissant leurs corps écrire le récit, leurs silences les caractériser et leurs dialogues ne révéler d’eux que d’infimes parcelles de leurs pensées. Il existe alors un paradoxe intéressant pour le spectateur qui est amené au plus près du personnage, mais reste pourtant incapable de se faire omniscient. Il est l’homme qui de sa fenêtre regarde ses voisins se disputer, témoin passif d’une scène inscrite dans le temps et l’espace et ne se prolongeant que si les acteurs nous y invitent.

À l’image de ces brèves rencontres que nous faisons, ces jeunes réalisateurs allemands n’hésitent pas non plus à faire apparaître et disparaître de leurs films, des personnages, dont les incidences sur les comportements des héros ne sont jamais clairs. Le film s’évertue alors à seulement rendre visible pour le spectateur ce qu’il regardait jusqu’à présent sans voir. À l’instar du court métrage réalisé par Angela Schanelec pour le projet Fragments D’Allemagne en 2008, où la réalisatrice présentait des courtes séquences de son pays au réveil, cette nouvelle vague dessine au fil des années, un portrait de l’Allemagne tout en finesse, s’attachant à des destins écorchés, poussés par des passions sous-marines qui ne surgissent qu’un instant pour submergé des héros impuissants. Et si de ce courant, Schanelec est la plus radical, Petzold le plus reconnu, et Hochhaüsler le plus techniquement accompli, il ne serait pas impossible que Maren Ade soit la plus brillante.

Guillaume Fabre-Luce

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