[critique] L’Île

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Un monastère orthodoxe sur une île du nord de la Russie. Un moine perturbe la vie de sa congrégation par son comportement étrange. En effet, selon la rumeur, l’homme posséderait le pouvoir de guérir les malades, d’exorciser les démons et de prédire l’avenir… C’est en tout cas ce que croient les étrangers qui se rendent sur l’île. Mais le moine, qui souffre d’avoir commis une terrible faute dans sa jeunesse, se considère indigne de l’intérêt qu’il suscite.

Note de l’Auteur

[rating:9/10]

Date de sortie : 9 janvier 2008
Réalisé par Pavel Lounguine
Film russe
Avec Pyotr Mamonov, Viktor Sukhorukov, Dmitriy Dyuzhev
Durée : 1h52min
Titre original :Ostrov
Bande-Annonce :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=jTpSSQdVegc&feature=related[/youtube]

Lecteur, tu es chaleureusement convié à partager l’antre mystique d’un réalisateur slave qui ne fait rien comme les autres…ou presque. L’Île est un film particulier, une retraite intérieure sous la voûte céleste de la sainteté, un vibrant hommage à l’anachorète Andreï Roublev, une aventure humaine au cœur de la vie monastique, une plongée dans l’univers de l’orthodoxie, une envoûtante odyssée à travers les peintures bleu-argenté du septentrion russe, une exégèse de notre livre commun : la Vie.

Echafaudé comme un triptyque (culpabilité, purgatoire, rédemption), L’Île raconte le destin d’un saint, charbonnier de son état, Anatoli. Dès les premiers plans, Lounguine nous immerge avec une puissance rare dans l’idiosyncrasie de son personnage. Le décor obscur de la deuxième guerre mondiale, une fois l’acte moral accompli (ce meurtre est le premier hommage à Roublev), célèbre la dimension slave de l’enracinement dans cette terre spartiate, le corps du héros aux oripeaux couverts de houille se confondant jusque dans les blocs de pierre noirâtres, le visage déjà contrit par le remords de son geste.

Cette scène d’ouverture contient toute l’essence du film, ce temple que vous pénétrez à pas de loup pour ne pas rompre la solennité de l’instant – Lecteur, tu te glisses subrepticement dans la Géhenne, théâtre emphatique de la vie et de la mort.

Trente ans plus tard, Anatoli, ce saint fou, presque païen, arpente son île, le regard perdu dans l’horizon de la Mer Blanche ; du tréfonds de sa réserve, il maugrée dans la pénombre de l’âtre rougeoyant, ne sort que pour ramasser la suie qui servira à chauffer le monastère. Avec sa dégaine de clochard empâté, sa pelle et sa brouette comme uniques compagnes de vie, Anatoli incarne une mysticité orthodoxe quasi-ancestrale, se terre hors du cercle intime de la vie pour s’affranchir de sa condition d’Homme, dans l’espoir de toucher à cette piété salvatrice.

Cet hirsute symbolise cet héritage de la littérature russe, ce fou démoniaque des Frères Karamasov, ou ce Tchitchikov des Âmes Mortes, naviguant dans les eaux tumultueuses de cette Russie provinciale de petites gens, une Russie bigote et superstitieuse, immuable dans ses croyances, engoncée dans ses mythes. Par-delà le culte, Lounguine oublie cependant de poser les questions, obnubilé peut-être par son personnage, créature coupable, et néglige d’aborder un thème essentiel à notre existence : l’amour.

Si L’Île se désintéresse du discours, la photographie, sous la coupelle d’Andreï Jegalov, exalte la beauté formelle de ces paysages rocailleux, sauvages et velouteux. D’une joliesse stupéfiante, ces toiles insulaires offrent à notre contemplation narcissique une palette gris-argenté magnifiée de tons blanchâtres aux exhalaisons bleutées.

Ces nuances contrastent d’ailleurs avec les personnages, comme cette éphémère irruption du féminin (Nastia) qu’Anatoli exorcisera de son empreinte, à l’aide de quelques prières, la figure enfouie dans la neige, sans cris ni stigmates. Anatoli se réconcilie avec sa conscience, il sauve une vie, celle-là même qu’il avait ôtée trente ans auparavant. Pyotr Mamonov Lecteur, le mimétisme avec l’Anatoli Solonistsyne d’Andreï Roublev est étrange – incarne avec cette profonde humilité un être tourmenté, anéanti par la culpabilité, sous cette feinte emprise de la folie dont jaillira une forme de sainteté.

‘Le mystère divin et le mystère humain ne sont qu’un mystère ; en Dieu se garde la mystique de l’homme et dans l’homme le secret de Dieu.’ N. Berdiaev. Le mysticisme, chez Lounguine, est mis en scène comme une chape de plomb qu’écrase de toute sa puissance le divin, au contraire d’un Tarkovski, qui préfère la délicatesse et la légèreté, l’espérance en toile de fond.

Lounguine construit ses films comme un bâtisseur de cathédrales, restons admiratifs devant l’ampleur des mouvements de son regard et la puissance qui s’en dégage, et laissons-nous emporter avec lui dans cette odyssée enivrante…

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