L'attente
© Bellissima Films

[CRITIQUE] L’ATTENTE

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Mise en scène
9
Photographie
9
Cadre
9
Casting
8
Scénario
6
Musique
7
Note des lecteurs3 Notes
7.8
8
Note du rédacteur

Dès les premiers instants le réalisateur Piero Messina nous éblouit par la qualité esthétique de son film. Dans l’obscurité, la caméra descend lentement et fait apparaître une statue du Christ qui s’illumine. Ce travail de lumière devient vite essentiel dans l’approche de Messina car il lui permet de travailler la psychologie même de ses personnages. Avant de réaliser L’ATTENTE, son premier long-métrage (après plusieurs courts et documentaires), Messina a pu se former au côté de Paolo Sorrentino, sur This Must Be The Place (2011, non crédité) et La Grande Bellezza (2013) où il officiait comme assistant réalisateur. On n’en reste pas moins touché par la délicatesse du jeune homme. Lui, qui dit être parti d’un souvenir d’enfance, réalise là une œuvre personnelle et honnête, mais surtout intelligente dans sa réalisation.

Dans les grands salons d’une ancienne villa marquée par le temps, Anna, touchée par un deuil soudain, passe ses journées dans la solitude. La campagne sicilienne, sauvage et d’une grande beauté, entoure la maison et l’isole tandis que le brouillard se lève lentement sur les flancs de l’Etna. Seuls les pas de Pietro, l’homme à tout faire, rompent le silence. A l’improviste arrive Jeanne, la petite amie de Giuseppe, le fils d’Anna, qu’il a invitée à venir passer quelques jours en Sicile. Anna ignorait l’existence de Jeanne et Giuseppe est absent. Il va revenir bientôt, très bientôt….. c’est ce que dit Anna à Jeanne. Les jours passent, les deux femmes apprennent lentement à se connaître et attendent ensemble le jour de Pâques, où Giuseppe rentrera pour la procession.

Photo du film L'ATTENTE
En image, la composition de plan parfaitement réfléchie par Piero Messina © Bellissima Films

Nous découvrons dans un premier temps Juliette Binoche, méconnaissable dans cette longue robe noire, immobile, les larmes coulant le long de sa joue, le visage marqué, semblable à un portrait de la Renaissance mais porté vers le tragique. Son personnage, Anna, est isolé dans cette grande maison vide où la lumière disparaît au fur et à mesure, tandis que Pietro (Giorgio Colangeli, très attachant) recouvre en silence les miroirs de rideaux noirs, signe d’un deuil. Voilà Anna seule désormais, allongée sur son lit, légèrement décadrée. Il n’y a plus de vie dans cette demeure et Piero Messina sait parfaitement comment l’induire. Se limitant à des plans sans mouvement, caméra posée, comme une succession d’images mortes, Messina fait le tour des lieux avec un sens du cadre remarquable, où ressort l’ordre et une symétrie froide, trop parfaite. Mais soudain, une sonnerie de téléphone. Un élément extérieur qui vient bouleverser ce calme étouffant et redonner vie à Anna et à ce qui l’entoure. Cet élément, c’est Jeanne. Lou De Lâage, qui l’interprète, représente la jeunesse pleine de vie et une forme de modernité. On comprend ainsi avec elle que le réalisateur a décidé de s’adapter à ses personnages. Car sa réalisation change de manière drastique. Une arrivée à l’aéroport sur fond de musique pop/trip-hop, des mouvements de caméra à la limite du superficiel (volontaire évidemment) et nous découvrons à la manière d’un clip vidéo – voire même d’un générique de série – ce deuxième personnage.

« Messina filme avec délicatesse le corps de Lou de Laâge qui, à la manière du film, n’a pas besoin de tomber dans la séduction pour nous séduire. »

Ainsi dans L’ATTENTE, Piero Messina met en opposition la vie et la mort, la jeunesse insouciante et l’âge plus avancé porté par ses désillusions, mais surtout une forme dépassée face à la modernité. On pense là à la modernité du cinéma, ce dernier désormais trop souvent effrayé face aux silences, face à l’absence de mouvements, face aux rythmes lents… Ce que (re)produit parfaitement le réalisateur dans ces premières minutes de L’ATTENTE. Car plus les personnages d’Anna et Jeanne évolueront, apprendront à se connaître, et donc à aller d’une certaine manière de l’avant, plus le réalisateur nous amène vers une réalisation plus classique. Cette opposition entre deux époques se retrouve d’ailleurs dans les détails du décor : le poster du groupe de rap des années 1990 Wu-Tang Clan au milieu de la chambre presque antique de Giuseppe, typique de ces vieilles maisons de campagne isolées du monde. Pas besoin d’en dire trop pour que nous nous représentions cette demeure à l’écart d’un petit village de Sicile. Un lieu qui rend impossible de se situer dans le temps puisque viennent se mélanger des éléments de « modernité » à d’autres plus archaïques : cuisine au gaz et à l’ancienne et vieille télévision noir et blanc pour les accessoires, tradition presque ancestrale de porter le deuil et vision tout autant du divorce pour la part scénaristique. Mais ce lieu permet surtout au réalisateur de délivrer des décors somptueux. Une nature fascinante où les rayons chauds du soleil de Sicile viennent frapper l’eau d’un lac dans lequel Jeanne n’hésitera pas à plonger ; entrant lentement, dos à la caméra, face au soleil, l’un des nombreux exemples de plan splendide qu’arrive à obtenir le réalisateur.

Photo du film L'ATTENTE
© Bellissima Films

Cependant au-delà du travail remarquable de l’image, du placement toujours le plus judicieux du cadre, il y a cette approche de Messina qui joue constamment sur le non-dit. C’est ainsi qu’il parvient à faire tenir L’ATTENTE sur la durée avec un scénario pouvant s’écrouler à tout instant. Ces non-dits entre Anna et Jeanne permettent à la première de croire en ses propres mensonges et de se fourvoyer et à la deuxième de fermer les yeux sur la vérité évidente et de se convaincre de l’impossible. Jeanne continue d’attendre Giuseppe, partie régler des affaires suite à la mort du frère d’Anna. Du moins d’après les dires de cette dernière. Giuseppe ne répond pas au téléphone. La situation est étrange, mais Jeanne persiste à lui parler sur sa boîte vocale. Il finira par la rejoindre, c’est évident. De son côté, Anna, a besoin de la présence de Jeanne pour renaître, retrouver goût à la vie, être active, mais aussi être soutenue dans son espoir. Restant ensemble, elles vont se convaincre mutuellement de cet espoir possible, car « la réalité est trop proche sans doute pour être visible ». Entre les deux personnages, les rapports sont traités avec une grande finesse. Après la froideur de leur rencontre, se développe une vrai complicité. Tout passe alors par les regards que les deux femmes se portent l’une sur l’autre, sur l’image qu’elles se renvoient. Piero Messina nous livre des moments de grâce, comme nous le disions, même avec une réalisation plus « classique ». En atteste la danse lancinante et charmeuse de Jeanne sur une chanson de Leonard Cohen, devant un jeune homme rencontré depuis peu, mais sous le regard d’Anna. Une séquence sublime et envoûtante durant laquelle seul le spectateur parvient à comprendre la signification de ces regards. Anna lui souhaite de partir avec cet autre homme qui la rendra peut-être heureuse, la voir se libérer. Jeanne y voit un reproche et ne peut s’empêcher de culpabiliser, se faisant elle-même les reproches qu’Anna ne lui dira jamais. Car bien sûr, pour les deux femmes, il y a constamment cette attente qui est présente. L’attente du retour de Giuseppe. L’attente du miracle comme le chante si bien à cet instant Leonard Cohen : « Waiting For The Miracle ». Un attente qui empêche d’agir raisonnablement.

[toggler title= »Pour le plaisir, la danse de Lou de Laâge sur Waiting For The Miracle de Leonard Cohen » ]

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Photo du film L'ATTENTE
© Bellissima Films

En dépit d’un final, à l’inverse de l’ensemble, un peu trop appuyé (rappelons toute l’intelligence du non-dit et des silences), L’ATTENTE est porté par la beauté et la sensibilité de son réalisateur. Piero Messina réussit là un premier long-métrage très personnel. Il nous révèle ses talents pour filmer les choses, les lieux et surtout les actrices. Capable de transformer Juliette Binoche, il n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de capter le charme de Lou de Laâge. En plus de sa justesse dans le jeu et sa capacité à émouvoir, l’actrice est ici sublimée. Messina filme avec délicatesse le corps de la jeune fille qui, à la manière du film, n’a pas besoin de tomber dans la séduction pour nous séduire.

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16 décembre 2015 - L'attente (Copier)[/column]

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Titre original : L’Attesa
Réalisation : Piero Messina
Scénario : Giacomo Bendotti, Ilaria Macchia, Andrea Paolo Massara, Piero Messina
Acteurs principaux : Juliette Binoche, Lou de Laâge, Giorgio Colangeli
Pays d’origine : France, Italie
Sortie : 16 décembre 2015
Durée : 1h40
Distributeur : Bellissima Films
Synopsis : Dans les grands salons d’une ancienne villa marquée par le temps, Anna, touchée par un deuil soudain, passe ses journées dans la solitude. La campagne sicilienne, sauvage et d’une grande beauté, entoure la maison et l’isole tandis que le brouillard se lève lentement sur les flancs de l’Etna. Seuls les pas de Pietro, l’homme à tout faire, rompent le silence. A l’improviste arrive Jeanne, la petite amie de Giuseppe, le fils d’Anna, qu’il a invitée à venir passer quelques jours en Sicile. Anna ignorait l’existence de Jeanne et Giuseppe est absent. Il va revenir bientôt, très bientôt…

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