LE PASSÉ

LE PASSÉ – Critique

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En 2011, nous avons pu voir le plus grand succès du cinéma iranien à l’heure actuelle : Une Séparation de ce même Asghar Farhadi. Fort de son succès, le film est reparti avec César, Oscars, Golden Globes, Ours et tant d’autres récompenses. Voilà que Asghar Farhadi revient cette année, en compétition au Festival de Cannes, avec un film qu’il a tourné hors de l’Iran.

Cette fois, il vient tourner dans la banlieue parisienne. A ses côtés, au casting, un seul iranien dans un rôle principal. Ensuite il y a Berenice Bejo, française, et Tahar Rahim, belge.

Avec ce film, Asghar Farhadi continue son exploration des décadences au sein d’une famille. Dès la première scène, on peut voir Berenice Bejo dans un aéroport, attendre Ali Mossaffa. Dès qu’ils se voient, il y a une vitre entre eux deux. Cette vitre qui les sépare sera un fort symbole pour tout le reste du récit. Car les deux personnages se parlent d’un côté et de l’autre de la vitre, mais le spectateur n’entend rien. Tout est dans le non-dit, dans la séparation. C’est le même schéma que dans Une Séparation, ça reste une histoire très anecdotique. D’où le côté profondément humaniste de l’histoire et de la mise en scène.

Les erreurs (cette fois-ci du passé) refont surface et vont ainsi déterminer le futur des personnages. Des erreurs cachées, tout est sous forme de secret. Des secrets bien gardés puisque chaque personnage prendra des décisions sur la vie des autres, et les conséquences allant avec. C’est alors de cette façon que le cinéaste iranien se demande si notre passé doit être assumé pour pleinement vivre notre présent, et si ce malheureux passé aura une quelconque influence sur notre avenir. Là où celui-ci est un peu plus abouti que le précédent, c’est que Farhadi n’hésite plus à aller chercher les vérités et les secrets les plus enfouis pour faire ressortir un petit côté sauvage chez ses personnages.

Avec une mise en scène immersive et légère, Farhadi nous demande, avec son exploration des déchirures familiales, quand est-il trop tard ?

Le grand point fort de ce film se situe dans la narration des évènements. Asghar Farhadi ne va jamais prendre son spectateur pour un idiot, il sait à quel point le spectateur peut vite comprendre les secrets s’ils sont trop dévoilés. Ainsi, Asghar Farhadi crée une sensation telle qu’après chaque émotion, nous avons le droit à une scène d’apaisement, in situ embarquée dans la tension. Aux grands mots les grands moyens : Asghar Farhadi orchestre de manière très précise les détails de ses plans. Allant à faire passer plusieurs émotions via ses personnages, et en nous propulsant dans un thriller réjouissant.

Le spectateur est alors placé au même rang que les personnages du film. On ne sait pas réellement ce qui se trame, on ne connaît rien du passé des personnages. Et ce n’est pas pour autant que chaque personnage nous est clairement présenté. La force du film, c’est qu’en pouvant penser qu’il est long (2h20), c’est parce qu’il s’attarde à chacun de ses personnages. De séquence en séquence, les personnages principaux et les personnages secondaires alternent leurs positions. Seul petit bémol par rapport à cela, certains n’apprécieront peut-être pas les nombreux rebondissements de l’histoire.

Ainsi, Asghar Farhadi ne peut jamais voir son film tourner en rond ni s’essouffler dans la facilité académique d’une chronique familiale. Et le cinéaste prouve une nouvelle fois l’étendue de son talent avec sa mise en scène simple mais rudement efficace. A coups d’ellipses et de légers mouvements de caméras, le film parvient toujours à nous procurer des sensations et émotions particulières. Même les gros plans ou les plans rapprochés sont d’une finesse, d’une justesse et d’une expressivité incroyable. Cela n’empêche pas que l’ensemble peut paraître ordinaire, car au fond, ça l’est.

Un déchirement familial et une distance entre les secrets de chacun qui se voit également dans la mise en scène des acteurs. En aucun cas Asghar Farhadi se fait un chorégraphe des échanges et des attitudes entre les énervements des personnages. Il est plutôt toujours dans l’idée de cette vitre qui sépare les esprits de ses personnages. Et cette vitre pendra de l’ampleur quand elle deviendra une distance physique. A noter les nombreuses scènes où les personnages sont à un bout et l’autre d’une pièce, toujours séparés par une table ou quelque chose d’autre (à relever également les nombreuses vitres qui composent l’intérieur de la maison).

Et quand une vérité éclate, les vitres se cassent. Et les personnages reviennent physiquement sur leurs pas. Le tout dans un emboitement et un déboitement de ces secrets et de ces vérités : une mécanique scénaristique où l’écriture nous apparait puissante et fascinante de réflexion. Chaque détail a son importance : il suffit de se remémorer le pansement du petit Fouad, la pharmacie de Marie (les médicaments soignent des problèmes), la blanchisserie de Samir (encore l’idée de nettoyer les tâches).

Et si on peut voit un film d’une si bonne justesse, c’est qu’on sent des acteurs qui sont déjà passés par là. Comme Tahar Rahim, vu en 2012 dans A perdre la raison de Joachim Lafosse (avec aussi Emilie Dequenne). A ses côtés, Ali Mossaffa a des airs et des attitudes qui peuvent nous faire repenser à Wim Willaert dans Offline (sortie nationale au mois de Juin). Puis une Berenice Bejo qui s’affirme de plus en plus, et qui a surement trouvé l’un des meilleurs rôles de sa filmographie internationale.

Ce qui peut surprendre le spectateur, c’est la photographie du film. Bien que le récit soit assez sombre et dramatique en lui-même, Asghar Farhadi ne nous présente pas une famille au bord de la chute. Le cinéaste ne fait qu’explorer la situation afin de déterrer les secrets. Ainsi, la lumière du film nous offre une famille ordinaire et des instants harmonieux. Et enfin, chaque plan, chaque photographie du film nous ressort pensée et repensée inlassablement par Asghar Farhadi, devenu un maître. Au point que, surement, le dernier plan vous laisse extatique.

Finalement, Le Passé est un film qui fait encore grandir son réalisateur Asghar Farhadi. Il va de plus en plus loin dans son exploration des déchirures familiales, en s’interrogeant sur le passé des gens. Avec une mise en scène immersive et légère, Farhadi nous demande avec son exploration des déchirures familiales quand est-il trop tard. En effet, est-ce que nos erreurs du passé avec les secrets qui vont avec auront des conséquences sur notre futur et peut-on vivre avec ? Jamais dans le trop plein d’émotions, Asghar Farhadi sait que le spectateur est intelligent, et joue avec ça pour mieux construire son récit si anecdotiquement passionnant.

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