[critique] L’Homme Sans Passé

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Un ouvrier soudeur débarque dans la grande ville d’Helsinki avec l’espoir de décrocher un emploi. Ses plans de carrière se trouvent compromis quand au détour d’un square, il croise trois malfrats qui le volent et le frappent, le laissant inconscient et dans un sale état. Miraculé, il se réveille sans aucun souvenir de son identité.

Note de l’Auteur

[rating:9/10]

Date de sortie : 6 novembre 2002
Réalisé par Aki Kaurismäki
Film finlandais/allemand/français
Avec Kati Outinen, Markku Peltola, Sakari Kuosmanen
Durée : 1h37min
Titre original : Mies vailla menneisyyttä
Bande-Annonce :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=yP59ZLGY3bQ[/youtube]

Deuxième partie de la trilogie ‘sociale’ réalisée par Aki Kaurismäki, Homme sans Passé, chimérique et fantastique, aborde de nouveau le thème du chômage complété par celui des sans-abri. La trame du film est d’une simplicité biblique : une histoire de résurrection qui donne à un homme la possibilité de vivre une seconde vie. La foi, l’espoir (l’anecdote de la plantation des pommes de terre !) et l’amour du prochain revêtent un aspect onirique rarement vu dans la vie (ou dans le cinéma) d’aujourd’hui. Cette modeste histoire de gens encore capables de compassion prend les dimensions d’un grand moment de cinéma : il y a dans ses thèmes une beauté limpide que la réalisation éclaire avec une troublante richesse.

La conscience de la mort et de l’inflexibilité du hasard est profondément inscrite dans le film dès la première séquence, magnifique, où le personnage principal, laconiquement dénommé M, prend le train. Il descend à la gare d’Helsinki et se fait assommer dans un parc voisin. La scène de l’hôpital et de la guérison du patient alors qu’il a été déclaré mort, ouvre la voie à de nombreuses interprétations : tout n’est peut-être qu’un rêve aux portes de la mort. Mais la vie continue, y compris celle du héros. Aki Kaurismäki, s’il use de citations, n’a jamais pratiqué le pastiche ou la copie. Ici encore, il a construit au moyen de ses citations une stratégie passionnante qui allie une profonde originalité à une vaste et généreuse connaissance de la tradition et au respect de ses prédécesseurs les plus talentueux (il aime citer parmi ses influences majeures : Godard, Becker, Dreyer, Truffaut, Ozu…).

Les lois qui règnent ici sont celles d’un état limite. Les personnages sont réels mais fictifs, ne serait-ce que par leur ‘situation de classes’. Ces gens aliénés, marginalisés, surgissent comme d’un autre temps, à leur manière inimitable, pleins de force archaïque et de dignité. Les relations humaines et les amitiés sont traitées avec un humour acéré : Juahni Niemela, en père de famille établi dans le village de conteneurs, rêve de bière mai s se satisfait d’une seule bouteille ; Sakari Kuosminen cache un cœur d’or sous son apparente avidité. La finesse de la peinture des personnages, la précision millimétrique de l’image et l’exactitude du positionnement social créent une impression proche de la fable brechtienne, sans une once de sèche austérité.

Le film montre deux utopies du monde tel qu’il pourrait être. La première communauté est celle du village de conteneurs, des déshérités qui sont le sel de la terre car ils ont une conception réaliste de l’existence. La seconde est l’Armée du Salut, dont la représentation dévie légèrement de la réalité, comme souvent chez Kaurismäki : les salutistes ont leur groupe de rock. Et pourquoi pas ? On peut chercher le sens de la vie et vouloir vivre avec son temps. Les conflits des deux communautés ne sont ni niés ni contournés. Les pauvres, comme dans les films de Buñuel, sont aussi compliqués que les autres-seuls les fonctionnaires sont unidimensionnels. Toutes les nuances de la mesquinerie sont montrées, et c’est bien pour cela que le sentiment d’appartenance et les échanges entre les deux communautés fonctionnent. Tous les épisodes et les événements ont des ramifications-symbole de la complexité de l’être humain.

Le film est aussi marqué d’un autre sceau kaurismäkien : la réflexion éthique. On relèvera à cet égard une séquence marquante, porteuse d’une leçon : Esko Nikkari, figure familière de l’univers de Kaurismäki depuis ‘Crime et Châtiment’, joue un homme d’affaires acculé, spolié par sa banque. Quand il se sert, il ne prend que ce dont on l’a dépossédé et demande à M de distribuer la somme à ses créanciers. Puis il se tue. Sa dette d’honneur est acquittée.
Quelle meilleure conclusion que de vous livrer l’attendu du jury œcuménique du Festival de Cannes en 2002. ‘Ce film, illuminé par la tendresse et l’humour, est une parabole sur la renaissance d’une personne et la naissance d’une communauté. Plongé dans une pauvreté radicale, un homme sans passé rencontre la solidarité et se construit courageusement dans la dignité. L’esthétique d’AKi Kaurismäki fait vivre un moment de grâce.’

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  1. Si tu as aime, je ne peux que te conseiller ses autres ‘bijoux’: Au Loin s’en Vont les Nuages, Les Lumieres du Faubourg, Crime et Chatiment (adaptation du roman de Dostoievski), et les Leningrad Cowboys (le premier des deux!)…

  2. Encore une agréable découverte grâce à toi. Ca m’a fait pensé un peu à ce que font Delépine et Kervern, cette façon de mettre en scène les petites gens avec humour (noir) et situation décalée.