mademoiselle
© The jokers

MADEMOISELLE, l’après Old Boy de Park Chan-wook – Critique

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Mondialement connu pour le génialissime Old Boy (Grand prix à Cannes en 2004), Park Chan-wook a depuis, entre autres, réalisé la production américaine Stoker (2013). Bien que situé dans un espace-temps complètement différent, MADEMOISELLE (en anglais The handmaiden ou en coréen Ah-ga-ssi) est au croisement de ces deux films.

En pleine occupation des troupes nippones sur le sol coréen, une jeune femme habile en arnaque est enrôlée par un autre escroc pour remplacer une servante dans une riche demeure bourgeoise d’un Coréen qui a obtenu la nationalité japonaise, passionné par les livres érotiques rares. Ce « bibliomaniaque » retient prisonnier sa nièce, avec laquelle il projette de se marier pour récupérer la fortune qu’elle a hérité de sa tante. L’escroc demande à l’arnaqueuse de se rapprocher de cette « Mademoiselle », afin de pouvoir la ravir (et sa fortune avec) à son vieux dégueulasse d’oncle qui s’est noircie la langue à force de tourner ses livres cochons.

L’essentiel du film va donc se dérouler entre les cloisons en papier mâché et les grilles de ce manoir britannico-japonais. Comme dans Stoker, on retrouve l’obsession du réalisateur pour enfouir des secrets familiaux sous les belles pierres. Sans tomber dans le thème incestueux de Old boy, on est toutefois tenté de reconnaître, dans les relations qu’entretiennent les personnages, les déclinaisons de mythes grecs. Oedype et son complexe ne sont jamais très loin, bien que ce soit davantage la figure de Narcisse, amoureux de son reflet, qui surgit finalement à la fin du film.

Composé en trois parties qui reviennent chacune sur les mêmes événements sous un angle différent, le point de vue oscille entre celui de la servante et celui de « Mademoiselle. » Les retournements se multiplient, mais sont vites désamorcés par des phases – assez longues – d’explications. Dans Old boy ou Stoker, le poids du passé donnait sa dimension tragique à un récit déjà complexe. Toute l’intelligence d’Old boy était de nous faire découvrir ce passé au fur et à mesure que le personnage principal remontait la trace de son tortionnaire, jusqu’à une révélation « choc » aussi inattendue que logique une fois le puzzle complet. Stoker avait quant à lui une structure composée d’une narration présente entrecoupée de flashbacks et de flashforwards qui pouvait dérouter. Revenir dans le passé est toujours délicat dans un scénario, car l’implication du spectateur se fait en général en fonction de ce qu’il peut deviner de la suite des événements. Stoker donnait l’impression de mettre le suspense sur « pause » le temps d’expliquer un détail, avant de replonger le spectateur dans une ambiance anxiogène.

Un joli conte érotique et cruel, dont la complexité croissante évacue l’émotion.

Park Chan-wook s’enfonce un peu plus dans cette structure narrative. Plutôt que de hanter les personnages de MADEMOISELLE, le passé n’a qu’une valeur explicative. Il donne aux personnages une suite de causes et d’effets qui rendent inévitable le retournement auquel on vient d’assister. Si MADEMOISELLE a bien le sens tragique de Old boy, les personnages n’ont donc jamais à faire face à un quelconque dilemme. Le spectateur ne s’identifie à aucun personnage, puisqu’ils jouent tous double-jeu sans qu’il ne le sache, et finit par ne plus s’impliquer dans le film. On se contente de regarder passivement ce qui se produit, et de noter mentalement les faits, au cas où ils auraient de l’importance pour la suite.

Cette vision très cérébrale de raconter une histoire (Woody Allen ne fait pas autre chose) m’avait déjà conduit à moins apprécier Stoker que Old boy. Mais l’avant-dernier film de Park Chan-wook avait pour lui une intelligence formelle ahurissante, qu’on peut résumer en un raccord du film : passer des cheveux peignés de Nicole Kidman aux hautes herbes de la demeure familiale, dans une transition parfaite, à mettre sur le même plan que celui de Lawrence d’Arabie entre l’allumette et le soleil.

Si Park Chan-wook est surtout apprécié des cinéphiles pour sa mise en scène, MADEMOISELLE montre dans ce domaine quelques atours, mais s’efface timidement pour privilégier l’avancée du récit. Parmi les fulgurances du film, on retiendra l’examen dentaire qui se transforme en acte érotique, point de bascule de la fascination sexuelle qu’entretiendront servante et maîtresse jusqu’à la fin. MADEMOISELLE n’est ni plat ni ennuyeux, mais contrairement à la plupart des films, est grandement desservi par la multiplication de ses péripéties. Un film centré uniquement autour du premier acte aurait assuré au réalisateur un espace plus ample pour approfondir cette tension entre désir érotique (le corps et l’affection de l’autre femme) et envie rationnelle (l’argent).

MADEMOISELLE est un joli conte érotique et cruel, dotée d’une superbe photographie et de moments de mise en scène merveilleux. Malheureusement, la complexité croissante du récit évacue progressivement l’émotion et la possibilité à Park Chan-wook de s’exprimer en tant qu’auteur, et pas seulement en tant que conteur.

Surnage tout de même l’impression d’avoir assisté à un portrait psychologique réussi de deux femmes en miroir l’une de l’autre. Le dernier plan, les partageant nues dans le même cadre avec une parfaite symétrie, abolie les frontières sociales ou économiques qui préexistaient à leur rencontre. Les significations que l’on pourrait tirer de ce plan sont infinies, mais sa portée est amoindrie par ce qui le précède, l’inutile complexité d’un récit aux fondements somme toute très universels : l’argent et le sexe.

Thomas Coispel

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MADEMOISELLE (Ah-ga-ssi)
• Sortie :1 novembre 2016
• Réalisation : Park Chan-wook
• Acteurs principaux : Kim Min-Hee, Kim Tae-Ri, Jung-Woo Ha
• Durée : 2h25min
Note des lecteurs5 Notes
3.6
Note du rédacteur

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Rédacteur depuis le 20.06.2015

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Note finale

  1. L’amour dans le film, qu’il soit hétéro ou autre, n’a rien à voir avec la morale. Le film pose les bases pour une réflexion sur l’image que chaque personnage peut se faire de ce sentiment, avec des jeux de miroirs et de reflets, y compris en se fourvoyant, en mentant et en se mentant, en se croyant tour à tour invulnérable ou romantique et sincère, sadique ou empathique. Ce film ne cherche pas à convaincre le spectateur du bien-fondé de tel ou tel sentiment ou non sentiment, il montre le doute, il n’est sûr de rien. Si sa structure peut être qualifiée de classique, son contenu est beaucoup plus profond que ne laisse penser sa magnifique esthétique. C’est d’ailleurs une continuité dans l’oeuvre de Park Chan-Wook que de ne pas juger.
    Quant aux enfermements contre leur gré et autres sévices appliqués à des personnes dites normales, ils sont tout à fait crédibles dans le contexte historique et plus largement dans les sociétés contemporaines, même s’il est de bon ton de ne pas en parler et qu’officiellement il s’agit d’une atteinte à la liberté. C’est triste, mais ça existe, et pas seulement pour raisons d’argent. Au final, ce film n’a rien à vendre, il scrute, montre, et questionne et c’est en cela qu’il est admirable.

  2. Mademoiselle (2016)
    Film coréen qui se déroule dans les années 30, lors de l’occupation japonaise de la Corée.

    3 héros, 3 manipulateurs et 3 victimes potentielles.
    Qui sera gagnant, qui sera perdant ?

    C’est quasiment la même histoire, racontées en 3 parties, de 3 points de vue. Mais à chaque fois on nous donne des éléments supplémentaires pour nous aider à reconstituer le puzzle.
    Le procédé n’est pas nouveau. Et il a pour inconvénient de perturber le spectateur, qui s’était mis dans la tête le premier canevas plausible. De plus cela allonge le film par ses répétitions. 144 minutes !
    Enfin ce n’est rien de plus que la déclinaison de l’éternelle béquille de scénario : X (y ou Z) n’est pas forcément ce que l’on voit. Lassant !

    Cela dit c’est aussi l’occasion de voir et revoir de jolies personnes, sous tous les angles. Le film est truffée de belles prises de vue coquines. Plus série rose que porno, mais fortement assombri par une tendance à exhibitionnisme pervers et à la violence sadique. C’est grotesque pour le vieux pervers qui joue étonnement mal. C’est mignon pour les deux jeunes femmes qui jouent plutôt bien. C’est dérangeant quand il s’agit d’une enfant.

    Pas crédible pour un sous, l’enfermement contre son gré de X ou Y pour des raisons sordides de captations de fortune. C’est une convention de cinéma invraisemblable que l’on puisse si facilement enfermer les gens normaux dans des asiles contre leur gré. Avec cette ficelle, que plus ils clament leur normalité, plus les psychiatres les prennent pour des fous. Quand est-ce qu’on va se débarrasser de cet artifice si naïf ?

    D’autres situations sont également un peu trop tarabiscotées, longues ou maladroites. L’ensemble tient plus du conte que de l’histoire vraie. Même si on plante un décor historique d’amour / haine Corée / Japon.

    Une sorte de morale facile fait triompher au final le seul amour supposé véritable. Lequel ? L’amour hétéro, l’amour lesbien ? Ce dernier est assez convaincant quand il s’agit de belles « créatures », comme nos héroïnes. Ces situations sont capables de faire fantasmer de nombreuses femmes et de nombreux hommes. Et donc une majorité de spectateurs.

    Au total, un joli film par ses prises de vue et ses acteurs, mais qui est très « fabriqué » et « vendeur ». Cela ne m’étonne pas qu’on puisse tomber facilement dans le panneau.

  3. Film génial. Vos réserves sur la complexité du scénario sont excessives pour moi. Et l’image est exceptionnellement belle. Entre autres le cerisier blanc dans le magnifique jardin…. Votre critique semble écrite pour Télérama ! Au fond la perversité cruelle vous dérange, non ?

    1. La perversité n’est-elle pas toujours cruelle ? Elle ne me dérange pas plus que la violence ou la sexualité au cinéma… l’objet de ma critique est de pointer qu’il s’agit d’un dénominateur presque universel. Pas besoin d’une histoire de 2h47 si c’est pour en revenir à quelque chose d’aussi basique. Ce serait comme si après les 1500 pages de Guerre et Paix, Tolstoï concluait par « la guerre c’est mal ». Un propos un peu simpliste pour la complexité qui la précédé… Je caricature évidemment, mais c’est pour mieux correspondre à votre caricature de la « critique Télérama » ;-) Comme toujours, toutes les sensibilités sont valables, le Blog du Cinéma ne prétend pas apporter LA vérité, mais un regard très subjectif sur une oeuvre personnelle (ici Mademoiselle) remis dans la perspective de la filmographie de son auteur (Park Chan-wook). Je ne vois pas en quoi ce point de vue n’est pas légitime à vos yeux, à moins que vous n’acceptiez pas qu’autrui pense différemment. Si j’écris « pour Télérama », sous prétexte que c’est un point de vue « intello et cinéphile », alors votre avis trouverait tout à fait sa place dans Télé Z !

      1. Je voulais être un peu provocateur avec Télérama (je suis un abonné depuis toujours). J’ai bien réussi d’après le Télé Z (jamais lu leurs critiques) que vous me renvoyez.

        Non, ce n’est pas le coté « intello et cinéphile » que je pointais, mais le coté catho.
        Vous avez du noter qu’avec Télérama, lorsqu’un film est borderline ou out line question morale, les critiques sont souvent en demi teinte, du genre, c’est bien mais y’a ça qui cloche… Rarement de TTT pour ces films. Comme vous ici. Je parle du « c’est bien mais », pas du coté catho, ne vous emballez pas encore une fois.

        Oui, vous avez le loisir de pensez ce que vous voulez, je ne me permettrais même pas de vous l’y autoriser tellement c’est évident. Et votre jugement est légitime, forcément !
        Et réciproquement.

        Donc Mademoiselle. De Park Chan-wook.
        Pour moi le cinéma c’est d’abord des images qui m’emmènent vers des émotions puissantes, une écriture filmique avant d’être un scénar et encore moins un message. Je me laisse pénétrer dans l’univers du réalisateur et je déguste ce que j’y vois et ressens. Je mesure aussi les trésors de volonté, de force et de patience qu’il faut mettre en oeuvre pour diriger un film.

        Ici j’ai kiffé les plans sublimes, très nombreux, en particulier dans la nature, les inserts dans le « château », la Corée colonisée, ses codes raffinés, les scènes érotiques entre les filles. Le montage est parfait, les changements de plans jouissifs. Du travail d’orfèvre. C’est ce que j’attends.

        Le seul bémol que je fais est sur le maquillage du personnage de l’oncle Kozuki. Ça sentait tellement l’artifice et cela contrastait avec les autres caractères qui, eux, sont nickels.

        La musique de Cho Young-wuk est, comme dans les autres films de Park Chan-wook, caressante, subtile et très efficace, elle souligne l’action et ses lenteurs sans être envahissante.

        PS : Pour Stoker, là aussi, vous êtes bien sévère.
        Mais ne recommençons pas. Allez-en paix !