La porte du paradis
© Carlotta Films

[critique] La porte du paradis

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Mise en scène
8
Scénario
6.3
Casting
6.9
Photographie
6.9
Musique
7
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0
7.7
Note du rédacteur

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a porte du paradis fut celle de l’enfer pour Michael Cimino. Après le succès de The Deer Hunter, le studio United Artists, en toute confiance, lui laisse exercer pleinement son indépendance artistique pour réaliser son prochain long métrage. Malgré les 44 millions de dollars de production et le talent du réalisateur, c’est la faillite pour l’entreprise et un long passage à vide pour le cinéaste : le succès n’est pas au rendez-vous; c’est un échec cuisant au box-office et dans la presse. Pourtant 30 ans plus tard, Heaven’s Gate ressort dans une longue version intégrale et se laisse enfin apprécier à sa juste valeur. Une reconnaissance si tardive, pourquoi ?

Le film évoque le poids du temps qui passe et des traces qu’il laisse : des rêves anéantis, ceux d’un groupe d’immigrants arrivé au Wisconsin vers les années 1870 et éliminé par les propriétaires des terrains. Tiré de faits réels, ce précurseur du western moderne raconte l’orchestration de ce massacre et traite de la difficulté à partager un territoire.

La porte du paradis se compose de trois parties. D’abord une introduction joyeuse qui rend compte de l’insouciance des personnages confiants en l’avenir lors d’une remise de diplômes festive : l’Amérique, c’est le futur.
S’en suit, vingt ans plus tard, le parcours de James Averill (Kris Kristofferson) dans un petit comté du Wisconsin. Il y rencontrera Nate Champion (Christopher Walken et sa classe internationale), introduit de façon mémorable pour mieux nous laisser découvrir le personnage, et Ella Watson (Isabelle Huppert), une fille de joie qui fait valser le cœur des deux hommes. Le récit s’articulera autour de ce triangle amoureux dans une longue deuxième partie qui décrit l’entente et le climat social de cette petite communauté vouée à sombrer, malgré elle, dans la violence. C’est en quelque sorte une lente prise de conscience, alternant moments de plaisir et désenchantements.
Puis vient la dernière partie, la plus « western » du film : le massacre des émigrants. Une fusillade qui rompt avec l’absence de violence de trois heures de visionnage. Spectaculaire visuellement.
La désillusion qu’ont ressentie les immigrants s’exprimera à travers celle du personnage de Kris Kristofferson lors d’une dernière scène magistrale dont le silence contraste avec l’assourdissante bataille du film. Un dernier regard lâché par James Averill comme si le passé l’avait rattrapé. Un goût qui n’a plus la saveur d’antan, l’illusion est perdue, l’Amérique n’est plus ce qu’elle était.

© Carlotta Films
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Michael Cimino remplace le massacre habituel des Indiens des westerns de l’époque classique par celui des immigrants, audace peut-être en partie à l’origine du rejet de cette grosse production. Oeuvre manichéenne, le film montre habilement, sans tomber dans un pathos plombant, le désenchantement d’une nouvelle communauté qui essaie de survivre. Un beau témoignage qui rend compte d’un épisode tragique de l’histoire américaine, lorsque les vertus de la solidarité échouent face à la force du pouvoir, de l’argent.

”Un peu trop longue, l’oeuvre maudite de Michael Cimino se révèle un grand film au sujet fort et authentique, ponctué de moments épiques.”

Le sujet est sombre mais l’ambiance du film douce et légère, le plus souvent grâce à cette magnifique maîtrise de la lumière qui nous baigne de rayons apaisants dès le début du film. Peu à peu, cette luminosité va danser à travers la poussière et la fumée qui montent crescendo pour finir dans un torrent de nuages qui atténuent la violence de l’assaut final. Une sorte de mélancolie émane de cette oeuvre sensible : le film exhale le parfum romanesque de cette histoire d’amour qui lie les personnages principaux. Une romance renforcée par la beauté de paysages sublimés dans des plans mémorables. Le film laisse le souvenir d’un tableau aux couleurs pastels et l’on notera une jolie accentuation des bleus du ciel. Sur la forme, cela rappelle un peu John Ford ou le récent « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford ». Le tout appuyé par une musique jamais agressive, aux sonorités italiennes par moments. Joli compo de la part de David Mansfield qui joue des cordes et reprend des thèmes célèbres comme celui du Danube Bleu.

Michael Cimino accomplit avec brio cette fresque historique dense et réaliste, la production lui ayant permis des décors et costumes convaincants, renforçant l’immersion historique du film. Le cinéaste met son talent à capter la foule qui pourrait résumer le film de manière symbolique en trois scènes, toujours inscrites dans un mouvement circulaire : le jeu universitaire, le bal (qui se tient d’ailleurs au Heaven’s Gate) et la guerre. Ce sont des moments de film inoubliables livrés par des plans séquences discrets et efficaces.
Le réalisateur laisse quelques portraits marquants de ces groupes migratoires. Par exemple lors de ce premier exode des émigrants en route pour la terre promise : une scène fourmillant de détails et impressionnant de beauté.

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Néanmoins, si le réalisateur excelle pour maîtriser durablement un nombre impressionnant de figurants, il retient moins l’attention lors de certains faces à faces plus intimes. En fait le film pêche un peu sur sa deuxième partie, la faute à sa durée et à des longueurs pesantes qui auraient pu être allégées au montage. L’interprétation est pourtant de qualité. 3h40, fallait s’y attendre aussi… Mais le film aurait sûrement gagné en intensité et n’aurait pas fait fuir les moins courageux.

La porte du paradis retrouve enfin sa jeunesse dans une nouvelle version qui fait office de rédemption. Sortie trop tôt et injustement boudée, cette œuvre lyrique, western au grand coeur, évoque la douleur perpétuelle du conflit des hommes, la difficulté de cohabiter et les gouffres engendrés par la soif de pouvoir. Une poésie qui permet de prendre conscience doucement du temps qui passe. Un peu trop longue, l’oeuvre maudite de Michael Cimino se révèle un grand film au sujet fort et authentique, ponctué de moments épiques.
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Titre original : Heaven’s Gate
Réalisation : Michael Cimino
Scénario : Michael Cimino
Acteurs principaux : Kris Kristofferson, Isabelle Huppert, Christopher Walken, John Hurt
Pays d’origine : Amérique
Sortie : 22 Mai 1981
Durée : 3h36mn
Distributeur : Carlotta Films
Synopsis : Deux anciens élèves de Harvard se retrouvent en 1890 dans le Wyoming. Averill est shérif fédéral tandis que Billy Irvine, rongé par l’alcool, est membre d’une association de gros éleveurs en lutte contre les petits immigrants venus pour la plupart d’Europe centrale. Averill s’oppose à l’intervention de l’association sur le district et tente de convaincre son amie Ella, une prostituée d’origine française, de quitter le pays.

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[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=m0IMp23meVc[/youtube]

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