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« ELLE » : le conte sadomaso très poli

[CRITIQUE] ELLE

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ELLE commence sur une image trauma imprimée par l’œil cruel d’un animal de compagnie. Michèle (Isabelle Huppert), victime du viol que nous observons, impuissants, adoptera par la suite la même indifférence à son agression. Plus « immoral », elle en viendra à en jouir. Le nouveau film de Paul Verhoeven est réjouissant par le ton qu’il impose à un récit intrigant aux interprétations multiples sur les motivations de ses personnages. Au-delà de la relation sadomasochiste que Michèle va entretenir avec son violeur, le scénario multiplie les occasions d’illustrer les mécanismes de défense des femmes victimes d’une société profondément machiste. Plutôt que de se positionner en victime face au désir lubrique et à la violence instinctive des hommes qui les entourent, les femmes de ELLE en tirent leur force, et finissent à chaque fois par prendre l’ascendant sur la menace masculine. Pour illustrer ce thème, on peut prendre comme exemple la société de jeux-vidéos fondée par Michèle et sa meilleure amie. Elles encouragent leur équipe masculine de développeurs à exacerber les pulsions violentes et sexuelles que provoquent le jeu sur lequel ils travaillent. Plutôt que de renier l’agressivité des hommes dont elles ont été victimes, les femmes de ELLE la canalise, la dirige.
Initié par le producteur Saïd Ben Saïd, le projet d’adapter le roman de Philippe Djian « Oh… » en demandant à Paul Verhoeven d’en assurer la mise en scène se révèle un pari gagnant. Le scénario de David Birke est un divertissement solide en même temps qu’une exploration subtile des rapports hommes/femmes par le prisme d’un conte sadomasochiste drôle, cruel et réflexif. On attendait cependant de Paul Verhoeven autre chose qu’une mise en scène qui se contente de montrer le déroulement de cette histoire.

Photo du film ELLE

Le réflexe d’avoir confié ELLE à Paul Verhoeven est parfaitement justifié lorsqu’on connaît ses manifestes satyriques Starship Troopers et Showgirls. Le second explorait déjà une forme de féminisme à rebrousse-poil des conventions morales et puritaines de notre société. Showgirls prenait le parti d’un désir masculin comme d’un levier d’émancipation pour les femmes qui savent l’utiliser. A cet égard, ELLE et Showgirls sont assez similaires dans leur approche thématique. Mais Showgirls ayant été un four critique et commercial à sa sortie (puis un succès en VHS, vendu comme un film érotique et non plus une parodie satyrique), Paul Verhoeven a sans doute eu peur de creuser sa veine expérimentale, sa passion du grotesque et son goût pour l’excessif.

ELLE est donc formellement un film très lisse du point de vue de la réalisation. Pire, Verhoeven a décidé de reconduire un dispositif qu’il avait expérimenté sur son film fauché Tricked : deux caméras proches l’une de l’autre enregistrent la même scène dans deux valeurs de plans différentes (un plan moyen et un gros plan par exemple). Ce dispositif s’il permet de gagner du temps au tournage (moins de prises) a conduit le réalisateur à des choix de montage assez troublants. Le film est bourré de raccords dans l’axe totalement gratuits. Pour un réalisateur comme Verhoeven, on s’attendrait à ce que chaque plan ait une signification. Passer d’un plan moyen à un gros plan dans la même scène sans que cela soit justifié par l’action, une prise de parole ou un geste apparaît alors comme la résultante du dispositif choisi par le réalisateur. On devine alors qu’un tel raccord vient de la nécessité de coller le début de la scène avec la fin, le jeu de l’acteur ayant été jugé insuffisant au montage pour garder une seule prise (qui équivaudrait à une seule valeur de plan).

« ELLE est un conte sadomasochiste drôle, cruel et réflexif. »

Paradoxalement, Paul Verhoeven séduit grâce à sa magnifique direction d’acteurs. Isabelle Huppert livre une performance remarquable, ainsi que Virginie Efira, Charles Berling ou Laurent Lafitte. Le dispositif de Verhoeven se révèle donc à la fois très efficace pour soutenir le jeu des comédiens et contribuer au rythme soutenu du récit, mais donne aussi une allure de téléfilm à ELLE par les choix formels qui en découlent. On n’a pas été forcément convaincu non plus par le travail sur la lumière de Stéphane Fontaine (Un prophète, De rouille et d’os, entre autres) qui renforce cette impression de spectacle télévisuel. On sent bien que l’ambition est de mettre la mise en scène en retrait, au bénéfice de l’histoire, mais le résultat est loin d’accentuer le parti pris réaliste de la direction d’acteurs. ELLE est au final un conte drôle qui passerait sans problème en première partie de soirée sur une chaîne grand publique. La subversion de l’histoire semble avoir été gommée au profit du divertissement télévisuel, comme si les grands trublions que sont Paul Verhoeven et Philippe Djian s’étaient enlisés dans l’inertie du système de production du cinéma français. Totalement dépendantes des chaînes de télévision main stream (qui financent un film à hauteur de son potentiel d’audience), les sociétés françaises de production cinématographique semblent s’être mises au pas du politiquement correct. Avec Verhoeven, ELLE avait tout pour être un brûlot magistral sur la condition féminine, la machine du cinéma français en a fait un gentil divertissement familial. La satyre a été réduite à l’anecdote.

Thomas Coispel

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