LA FEMME LA PLUS ASSASSINÉE DU MONDE, rideau rouge – Critique

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Éventrée, écartelée, déchiquetée, etc. LA FEMME LA PLUS ASSASSINÉE DU MONDE a fait les beaux jours du Grand Guignol. Elle ressuscite 80 ans plus tard sur Netflix.

Certains l’on oublié, d’autres ne l’ont jamais su, mais le gore n’est pas une invention du cinéma. Des années 1900 aux années 1930, le public parisien allait déjà se repaître d’effusions de sang et de hurlements féminins au théâtre du Grand Guignol. C’est dans cet établissement logé au fond d’une sombre impasse que Paula Maxa est devenu une vedette au point de mériter le titre de FEMME LA PLUS ASSASSINÉE DU MONDE. On pourrait ainsi visionner le film de Frank Ribière en double-programme avec Golem, Le Tueur de Londres, sorti en VOD en début d’année. Ce dernier évoquait l’apogée du cabaret populaire dans le Londres victorien, le film de Ribière prend place au crépuscule du Grand Guignol en 1932. Quand on prend conscience de ce contexte, on regarde avec d’autant plus d’émotion, la magnifique séquence où sont montées en parallèle une séance de cinéma et une représentation théâtrale. Dans la salle de cinéma, Paula Maxa se retrouve face à Fay Wray, elle aussi screaming queen, mais officiant non pas sur les planches, mais sur les écrans géants du cinéma parlant. Les deux médias cohabitent et dans les deux cas, les salles sont pleines, mais plus pour très longtemps.
Photo du film LA FEMME LA PLUS ASSASSINÉE DU MONDE

Paula Maxa personnifie l’humeur crépusculaire du récit, incarnée par le magnifique Anna Mouglalis et sa voix atypique, où le suave d’Eva Green se mêle à la rugosité de Jeanne Moreau. Perdue entre sa véritable histoire et les moments où elle est en représentation, Maxa laisse transparaître la gravité derrière la désinvolture. A l’image de son personnage principal, le film repose sur l’idée vertigineuse que tout est artifice. Si tout est artifice, rien n’est vraiment inquiétant, me direz-vous ? Eh bien non, si rien n’est véritable, rien ne mérite franchement notre confiance de spectateur, et le sentiment d’insécurité est, de ce fait, constant. Qu’il s’agisse de la pointe d’un couteau ou des intentions de divers personnages, on ne peut jurer de rien pendant une majeure partie de l’intrigue. Intrigue dans laquelle on entre par le biais d’un journaliste, là encore en hommage aux récits horrifiques de l’époque, comme Masques de cire ou Docteur X (justement le film auquel assiste Paula Maxa). L’atmosphère angoissante ne manque donc pas de charme, l’hommage à tout un pan de la culture populaire menacé d’oubli ne peut que susciter notre sympathie, mais pour ce qui est de l’intrigue qui doit lier ces deux aspects, LA FEMME LA PLUS ASSASSINÉE DU MONDE souffre hélas d’une narration des plus laborieuses.

Le projet de Frank Ribière ne pouvait pas se résumer à la peinture d’une époque entre romantisme noir et art nouveau. Pour retranscrire l’âme du Grand Guignol, il fallait que le film épouse lui-même la forme d’un thriller horrifique, et pour cela le récit se devait d’alterner les éléments d’une intrigue concernant un serial killer, et les révélations progressives autour du traumatisme originel de Paula Maxa. Ajoutons à ça les ambitions d’André Antoine, le directeur du théâtre, créant de plus en plus de tension avec la comédienne, ainsi que la présence d’un comité de censeurs qui entend bien faire fermer le sulfureux établissement. L’ennui, c’est que là où on aurait aimé que les intrigues s’entremêlent habillement, leur juxtaposition grossière empêche au film de paraître cohérent et abouti. On est séduit par le personnage de Maxa autant que par l’aura ténébreuse d’Anna Mouglalis, et du coup on oublie fréquemment les autres éléments de l’intrigue qui, lorsqu’ils réapparaissent à l’écran, semblent du coup assez mal amenés.

Photo du film LA FEMME LA PLUS ASSASSINÉE DU MONDE

La réalisation est d’ailleurs à l’image de cet assemblage protéiforme. Dans les premières minutes, on perçoit la promesse d’une mise en scène moderne et dynamique, qui pourtant ne sera pas tenue avec constance par la suite. Cependant, s’il trahit les cahotements du scénario, le travail de Ribière ne manque pas pour autant d’élégance, bénéficiant d’une photographie soignée et de belles idées de mouvement, notamment dans la scène où Paula se confie à Jean, et que la caméra se déplace de manière circulaire pour retranscrire le traumatisme qui tourne en boucle dans l’esprit de la comédienne. Anna Mouglalis et Niels Schneider sont immobiles sur un lit, pas besoin de flashback ou de musique pour exprimer la violence du souvenir, tout passe par la réalisation.

Symptomatique de ces ingrédients mal métabolisés, la musique confiée à Keren Ann, semble expérimenter diverses pistes, au détriment là encore de l’impression de cohérence. S’il serait hardi de qualifier cette bande-originale de dissonante, on peut au moins dire qu’elle est détonante surtout quand elle tente de créer du dynamisme avec une orchestration à la guitare électrique et à la batterie. On peut concevoir qu’il s’agit de résurgences plus ou moins éparses du parti pris moderne annoncé dans les premières minutes du film. Le problème, ça n’est pas le parti pris en lui-même, mais plutôt à quels moments il intervient et jure avec l’atmosphère mélancolique proposée à d’autres moments.

On retiendra de LA FEMME LA PLUS ASSASSINÉE DU MONDE la relation de confiance qui unit Paula Maxa à Paul Ratineau, le responsable des effets spéciaux du Grand Guignol. Franck Ribière rend ainsi un double-hommage à la comédienne et à l’artisan du gore, et se place en amoureux du cinéma de genre. Le problème, c’est qu’il agit tantôt en amant fougueux, trop fougueux, tantôt en séducteur prudent. Trop prudent.

Arkham

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Titre original : La Femme La Plus Assassinée Du Monde
Réalisation : Franck Ribière
Scénario : James Charkow, Vérane Frédiani, David Murdoch et Franck Ribière
Acteurs principaux : Anna Mouglalis, Niels Schneider et Michel Fau
Date de sortie : le 7 septembre 2018 sur Netflix
Durée : 1h42min
2.5

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