l'angle mort
© 2019 Rouge Distribution

L’ANGLE MORT, un fantastique conte urbain – Critique

Nous souhaitons recueillir votre avis sur votre façon de nous lire. Merci de prendre 2 minutes de votre temps en cliquant ici !


Peut-on disparaître de sa propre vie ? C’est la question que posent Pierre Trividic & Patrick Mario Bernard dans leur dernier film à travers une relecture du mythe de l’homme invisible.

Dominick possède un don, celui de se rendre invisible. Mais depuis quelques temps cette incroyable capacité commence à défaillir, bouleversant sa vie et ses habitudes. Un peu à la manière de Border, sorti en début d’année, le fantastique que convoquent Pierre Trividic & Patrick Mario Bernard s’inscrit dans une réalité naturaliste. En le faisant surgir dans un quotidien banal et ordinaire, le genre sert de figure de style poétique pour dépeindre, de manière impressionniste, une réalité sociale et contemporaine. Un geste cinéphilique qui séduit de plus en plus le cinéma d’auteur européen.

Dominick vit d’un petit boulot dans un magasin de guitare, instrument pour lequel il nourrit une passion contrariée dont il fuit la pratique. Ses relations sociales se délitent progressivement. Il ne parvient pas à entretenir de lien avec les autres, à commencer par sa copine, interprétée par Isabelle Carré, qu’il néglige et repousse inconsciemment. Dominick se désengage d’une vie dont il ne se sent plus appartenir. Dans ce film la question de l’invisibilité renvoie à la présence au monde. Une idée exprimée dès le titre du film, L’ANGLE MORT, qui sous-entend un positionnement dans l’espace. L’invisibilité n’est pas tant pensée comme une dématérialisation que comme une disparition dans l’espace au moyen d’un trouble de la perspective.

C’est en cela que le film résonne de manière sociale, le personnage disparaît dans les recoins de sa vie. Dans une présence qui se dérobe aux yeux des autres, Dominick déambule le long des trottoirs d’une ville déserte mais peuplée d’autres invisibles, comme lui. Le dysfonctionnement de sa capacité extraordinaire répond à son dysfonctionnement affectif. Son incapacité à se lier aux autres l’efface peu à peu de sa présence au monde.

Photo du film L'ANGLE MORT
Isabelle Carré © 2019 Rouge Distribution

L’originalité du film est d’avoir traité cette capacité particulière non pas comme un pouvoir de super-héro mais plutôt comme un don un peu inutile, relativement honteux, voire assez proche d’un handicap. Les réalisateurs vont jusqu’à poser la question de son utilité et surtout interroger la manière dont il pourrait déterminer la vie de leur personnage. Et même dans les choix esthétiques que prennent Pierre Trividic & Patrick Mario Bernard pour la mise en image du processus de disparition, on retrouve des motifs remplis de symbolique.

Pour disparaître totalement aux yeux de ceux qui l’entourent, Dominick doit enlever ses vêtements. Ils se retrouve donc complètement nu lors de ses explorations invisibles. Les réalisateurs font le choix de montrer au spectateur leur personnage qui évolue nu au milieu des gens qui, eux, ne le voient pas. Pierre Trividic & Patrick Mario Bernard composent une dualité plastique passionnante dans un rapport entre la vulnérabilité du corps nu face à la rudesse d’un décor urbain, froid, cloisonné, anxiogène et abrupte.

Mais Dominick rencontre Elham, une jeune professeure de guitare aveugle incarnée par Golshifteh Farahani. Les réalisateurs poussent encore plus loin les motifs de dualité en juxtaposant un homme invisible à une femme qui ne voit pas. La réflexion autour du don/handicap est prolongée. Là où Dominick perçoit sa capacité à disparaître comme un infirmité, Elham considère sa cécité comme un don qui lui permet de percevoir la véritable nature des choses. Elle est en quelque sorte l’antagoniste de Dominick, son négatif, peut être son remède. Lorsque les autres autour ne discernent plus rien, elle est la dernière à ressentir sa présence invisible.

Photo du film L'ANGLE MORT
Golshifteh Farahani © 2019 Rouge Distribution

La place de ce film à la marge des compétitions cannoises laisse songeur. Alors même que le film de Pierre Trividic & Patrick Mario Bernard suscite des questionnements passionnants à travers une mise en scène pleine de sens, il est curieux de le voir cantonné à l’obscure compétition de l’ACID. Il serait peut-être temps de mieux définir ce que veut dire cinéma indépendant en France.

S’agit-il d’un cinéma affranchi des injonctions artistiques liées au marché du film ? Est-ce seulement dû à une incapacité à le classer dans une catégorie de films calibrés pour l’exploitation ? Est-ce seulement des considérations liées à la difficulté de financement du projet ? Est-ce justement ce positionnement esthétique et narratif qui provoque automatiquement une difficulté de financement, ostracisant de fait le film dans la catégorie indé ? Est-ce un peu toutes ces choses à la fois ?

Quand on observe ce qu’on appelle le cinéma indépendant aux États-Unis avec des représentants tels que les frères Safdie ou plus récemment le Sorry to Bother You de Boots Riley, il devient urgent de se poser des questions sur les moyens que l’industrie met en oeuvre pour garantir la vitalité d’un véritable cinéma indépendant en France.

Hadrien Salducci

[button color= »white » size= »normal » alignment= »center » rel= »nofollow » openin= »samewindow » url= »#comments »]Votre avis ?[/button]

Note des lecteurs0 Note
Titre original : L'angle mort
Réalisation : Pierre Trividic & Patrick Mario Bernard
Scénario : Pierre Trividic & Patrick Mario Bernard
Acteurs principaux : Jean-Christophe Folly, Isabelle Carré, Golshifteh Farahani, Claudia tango, Sami Ameziane
Date de sortie : 16 octobre 2019
Durée : 1h44min
3
fantastique

Nos dernières bandes-annonces

Rédacteur

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Note finale