oh lucy !

[CRITIQUE] OH LUCY !

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Premier long-métrage de la réalisatrice Japonaise Atsuko Hirayanagi, OH LUCY ! est une comédie dramatique plutôt drôle sur fond de road movie initiatique pas toujours réussi.

Setsuko (Shinobu Terajima) mène une vie morne et solitaire à Tokyo. Poussée par sa nièce, Mika, à prendre des cours d’anglais, elle fait la connaissance de John (Josh Hartnett), un professeur extravagant dont elle tombe sous le charme. Affublée lors des ateliers d’une perruque blonde bouclée et renommée pour l’occasion Lucy, la quadragénaire va peu à peu entrer dans un personnage qui la libère et la fascine. John et Mika s’enfuient aux Etats-Unis, tandis qu’en plein réveil existentiel, Setsuko décide de les suivre sous le soleil californien bien décidée à conquérir le cœur du bel américain.

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Shinobu Terajima interprète le rôle de Setsuko.

Et même si elle affirme ne pas avoir voulu écrire une critique de la société japonaise, Atsuko Hirayanagi aborde la culture nipponne dans ce qu’elle a de plus cruel. Le film s’ouvre sur un plan large frontal d’une marée de Tokyoïtes entassés sur un quai de métro. Aussitôt lancé le film nous oriente vers la déshumanisation des individus réduits à leur simple fonction de masse informe. Le tableau continue d’être dressé avec les scènes de bureau où les employés sont isolés les uns des autres, enfermés derrière leur poste de travail sans plus aucune interaction possible. Les rapports entre les individus ne sont permis qu’à travers des mises en scènes, des simulacres de connexions sociales (à l’image de la scène du pot de départ ou encore celle du karaoké). Les émotions sont toujours feintes ou exagérées à la manière de mauvais acteurs de théâtre kabuki. Par ailleurs la réalisatrice utilise à merveille le registre comique pour contrebalancer la lourdeur de son propos. L’humour permettant de faire ressortir avec brio l’absurdité des relations sociales.

Les errances du personnage dans les rues surchargées de Tokyo sont remarquablement filmées. Les cadres sont continuellement saturés, l’horizon irrémédiablement obstrué jusque dans l’intimité de l’appartement de Setsuko, ne lui laissant plus aucun espace pour évoluer. De ce quotidien oppressant il ne semble se dessiner qu’une seule issue possible, le suicide. Le motif du métro qui surgit emportant avec lui les tokyoïtes désespérés devient presque une figure allégorique angoissante. La simple annonce d’un retard de train prend alors une toute autre signification, laissant entrevoir sans mot dire l’ampleur de la détresse du personnage.

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Shinobu Terajima (Setsuko)

La rencontre avec John, faux professeur d’anglais fantasque, agit comme un électrochoc. En devenant Lucy, Setsuko se réveille de sa léthargie. Ce costume qui fait d’elle une femme pleine d’assurance, désinhibée et en prise avec ses émotions lui plait et la fascine. L’intelligence de Atsuko Hirayanagi est d’utiliser la langue, non plus comme un simple moyen de communication, mais comme objet de désir à part entière. Ce qui importe ici dans les mots, les expressions toutes faites, ce n’est plus le sens mais l’imaginaire auquel ils renvoient. Satsuke peut ainsi devenir pour un temps cette californienne cool et décontractée qui tient Josh Hartnett dans ses bras. Le film est construit autour de ce rapport aux costumes que portent les individus pour se créer un avatar public. Mika en soubrette pour son travail de serveuse qui récite son texte telle une figurante, John en faux professeur fourbe qui une fois retourné aux Etats-Unis ressemble davantage à un chômeur fauché ou encore Komori qui prend les traits d’un Tom faussement enthousiaste. Tout l’enjeu de la deuxième partie consistera à faire tomber ces masques afin de se reconnecter aux véritables émotions.

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Josh Hartnett interprète le rôle de John.

Oui mais voilà,  cette deuxième partie manque sa cible en se perdant dans un récit de l’intime confus voire convenu. Tout d’abord il faut savoir que Oh Lucy ! était à l’origine un court-métrage de fin d’étude présenté à Cannes en 2014 et notamment lauréat du Prix du Jury à Sundance en 2015. Forte de ce succès, Atsuko Hirayanagi reprend sa trame de départ au Japon et écrit la suite se déroulant aux Etats-Unis. Malheureusement elle n’est pas à la hauteur de sa première partie et un effet patchwork se fait ressentir. Setsuko sensée se révéler et s’ouvrir se fait vampiriser par la galerie de personnages qui se déploie en prenant une importance démesurée. En voulant étoffer l’intrigue le film bascule dans la farce intimiste ennuyeuse et prévisible. La réalisatrice s’éloigne de son personnage et perd le spectateur dans une suite de sketchs à la cohérence parfois douteuse. Toutes les bonnes idées du début s’évanouissent dans une mise en scène rigide, monotone et ronronnante. On ne retrouve même plus la perruque blonde et l’imper grisâtre qui façonnaient pourtant un personnage de cinéma fascinant. Seule l’idée de la désillusion est intéressante. Coincée dans des motels minables et errant aux abords des grandes avenues impersonnelles, Setsuko prend conscience que l’Amérique ne correspond pas aux attentes qu’elle y avait projeté. John se révélant tout aussi triste et désenchanté qu’elle ne l’est.

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Kaho Minami (Ayako) et Josh Hartnett (John)

La grande force du film réside néanmoins dans la maîtrise de l’humour qui lui confère un rythme plaisant tout en affinant le regard que porte la réalisatrice sur son sujet. Atsuko Hirayanagi parvient à jongler méticuleusement entre rire et émotion, souvent au sein d’une même scène, et il est captivant d’observer les glissements qu’elle met en place. Le plus grand regret concerne un formalisme peut être trop écrasant qui empêche la Japonaise d’entrer dans un réel lâcher prise que le film promet mais n’atteint jamais vraiment.

Hadrien Salducci

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Titre original : Oh Lucy !
Réalisation : Atsuko Hirayanagi
Scénario : Atsuko Hirayanagi, Boris Frumin
Acteurs principaux : Shinobu Terajima, Josh Hartnett, Koji Yakusho
Date de sortie : 31 Janvier 2018
Durée : 1h35min
2.5
Moyen

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