the last girl

[CRITIQUE] THE LAST GIRL – CELLE QUI A TOUS LES DONS

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THE LAST GIRL est un film anglais réalisé par Colm McCarthy, un réalisateur issu de la télévision (Dr Who, Sherlock). Il raconte l’histoire de Melanie (Sennia Nanua), une enfant à la fois contaminée et immunisée du virus fongique ayant transformé la race humaine en cannibales décérébrés. Après l’attaque de la base militaire qui la détenait prisonnière pour mener des expériences sur elle et ses quelques semblables, Melanie, accompagnée d’un petit groupe d’humains, traversera une Angleterre dévastée à la recherche d’un moyen de sauver l’humanité menacée.

En voici la bande annonce.

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Vous aurez évidemment reconnu dans le pitch ou la BA, les gimmicks du film de zombies. Toutefois, plutôt que d’y voir un relatif classicisme, on préfère relever à partir de THE LAST GIRL, tout un héritage dont nous allons tenter de tracer les grandes lignes, entre ses œuvres les plus populaires. De Zombie à Last of Us, en passant par The Walking DeadResident Evil ou 28 jours plus tard.

Si le zombie à l’origine, se parait de croyances plutôt religieuses, culture haïtienne & vaudou, sa popularisation au cinéma par George Romero (à partir de 1968 et The Night of the living dead) caractérisa semble t-il de façon définitive, le zombie. Résurrection, cannibalisme, contagion. Romero par la suite, déclina maintes et maintes fois ses propres principes fondateurs pour explorer via la figure du zombie, différentes facettes de la société américaine. Le symbole le plus frappant restera certainement la métaphore du consommateur décérébré, notamment dans Zombie. En parallèle de ce discours plutôt politique, des œuvres mémorables telles qu’Evil Dead ou Braindead tendirent vers l’aspect « possession » et grand-guignolesque du concept. Divertissement et subversion, séries B/Z et cinéma très indépendant, deux facettes majeures du zombie-movie durant le siècle dernier.

Vers la fin des années 90, une première évolution significative redonna, via un media relativement en marge, ses lettres de noblesse à un genre en déliquescence: le jeu vidéo Resident Evil (1996). Dans celui-ci, l’histoire et les personnages n’avaient en soi, pas grand intérêt… En outre, il y avait une certaine réappropriation de la figure du zombie, via une pirouette scénaristique mettant en avant un virus contagieux au delà de l’humain, ainsi qu’une mise en scène novatrice jouant sur l’évolution du virus et du zombie lui-même, de plus en plus agressif et véloce au cours de la partie. L’un dans l’autre, il y avait une lente montée en puissance du rythme, un aspect spectaculaire de par le jusqu’au bout-isme appliqué aux évolutions du virus, sans oublier cette piste de lecture pas si inconséquente observant des Humains tout-puissants manipuler des entités destructrices incontrôlables. Un jeu vidéo et deux de ses suites (en 1998 et 1999) qui marquèrent l’imaginaire collectif autant que l’industrie du jeu vidéo – ce qui donne à notre sens, un indice certain sur « l’originalité » des motifs visuels mais aussi thématiques de 28 jours plus tard de Danny Boyle (2002), puis de L’armée des morts de Zack Snyder (2004), les deux fameux films qui relancèrent le zombie-movie au début du siècle.

Resident Evil (image tirée du remake sorti sur Game Cube)

Le premier donna ainsi de nouveaux codes cinématographiques au zombie – plus agressif, plus véloce -, ainsi qu’une nouvelle piste en termes de morale et de philosophie: la véritable nature de l’Homme se révèle lorsqu’il est mis face à face avec sa propre survie… qui du zombie ou de l’homme, est donc le plus dangereux ?
Quant à L’armée des morts, bien que remake officieux du Zombie de Romero, il capitalisa plutôt sur les nouveaux codes cinématographiques introduits par 28 jours plus tard, en remettant toutefois la mise en scène de l’action au gout du jour, grâce au fameux combo empathie VS suspense ainsi qu’à l’inventivité jamais prise en défaut de Snyder.

Là encore, ces deux films ont redéfini une charte visuelle et thématique qui s’est étendue bien au delà du cinéma! Dans la mouvance du film de Danny Boyle, le comics The Walking Dead (2003) examinait par exemple la déchéance de l’humanité face à sa propre extinction, via quelques individus emblématiques. Le zombie, statique mais dangereux comme chez Romero, y est finalement assez périphérique; ce que l’on en retenait, c’est que la violence graphique n’y avait d’égal que les questions morales et la violence psychologique qu’elles induisaient, celles-ci s’exprimant frontalement via de nombreuses thématiques du domaine de l’intime et du sociétal. Son adaptation TV à partir de 2010 est ainsi assez paradoxale, spectaculaire par ses effets spéciaux et son gore relativement gratuit, mais explorant en profondeur (voire répétition), la psyché de plus en plus torturée de ses protagonistes. Quant à son adaptation vidéoludique, sortie en 2013, la liberté totale qu’avait le joueur quant aux nombreuses décisions anti-manichéennes typiques de la licence, associée aux talents d’écriture et de narration ainsi qu’à la puissante sensibilité du studio Telltale, en firent l’un des meilleurs jeux vidéos de l’année – juste en dessous d’un certain The Last of Us… Nous y reviendrons.

Pour rester dans le domaine du jeu vidéo, c’est dans Resident Evil 4 (2005) que se vit le plus intensément l’influence de 28 jours plus tard et L’armée des morts, à travers une évolution notable de la mise en scène (action discontinue, cadrages et mouvements de caméra angoissants, mise en scène explosive, gameplay aussi varié que calibré); le jeu fut si novateur à l’époque, qu’il « créa » quasiment à lui seul le genre du TPS*, et par extension donna le la à toute l’industrie vidéoludique, et ce jusqu’à aujourd’hui.

De son coté, le cinéma fit lui aussi, à partir de 2002, évoluer le film de zombie. Parfois et pour le mieux, il s’agissait de mise en scène – lorsque le savoir-faire d’un réalisateur venait pousser dans ses retranchements les gimmicks du film de zombie (on pense à 28 semaines plus tard) ou lorsque cinémas de genre (zombies-movies + found footage) et gameplay du jeu vidéo fusionnaient, comme dans [REC°] … Mais plus généralement cette évolution vint du fait que le minimalisme évocateur des premiers films de zombies, celui de la technique, de la mise en scène ou du scénario, fit peu à peu place à la grandiloquence du numérique et des spécificités décuplées du zombie, grâce à la technologie; le zombie évolua avec le cinéma lui même, et sa gestion des effets spéciaux. On assista alors à une hollywoodisation du zombie-movie, du [vidéoludique] Je suis une légende avec Will Smith, à World War Z avec Brad Pitt: toujours plus de spectacle et de bankabilité, de moins en moins de profondeur. Le zombie perdit tellement de sa saveur qu’il en devient un accessoire plutôt qu’une matière, comme en attestent les récents teen-movie-dystopiques exploitant le concept, Le Labyrinthe et Hunger Games. Il faut revenir ainsi au cinéma indépendant pour retrouver un minimum de subversion, du plus léger (Bienvenue à Zombieland) au plus significatif (Pontypool).

De même, dans le domaine du jeu vidéo, la traque de l’homme par le zombie devint de plus en plus la chasse au zombie par l’homme, à grands renforts de moyens (pyro)techniques, cf Dead Rising, Resident Evil 5&6, ou autres Left 4 Dead. Exception faite encore, du fabuleux premier Dead Space qui lui, reprenait à la lettre les ingrédients des premiers Resident Evil ,avec une mise en scène ultra-moderne.

Petit cas à part: le film La Route (2009), un post apo plutôt qu’un film de zombie, mais qui pourtant reste une référence majeure en termes d’ambiance, de narration environnementale, ou de construction de personnages – qu’il s’agisse de cinéma ou de jeu vidéo.

Puis, arrive en 2013 le jeu vidéo qui mit tout le monde d’accord en recyclant absolument toutes les bases sus-mentionnées: THE LAST OF US, par le studio Naughty Dog.

Le jeu prenait ainsi le parti de travailler ses personnages et son environnement autant que l’action et sa mise en place, tout en revenant à la base du jeu vidéo à la Resident Evil: le survival (compter ses balles et ajuster ses tirs, fuir dès que possible). Cela générait un rythme très particulier, aussi contemplatif qu’intense, tant dans l’action que dans l’émotion. The Last of Us reposait sur un gameplay de type infiltration-action étonnant par sa finesse autant que sa simplicité, un gameplay générateur de tension et d’émotions. Techniquement, le jeu était une claque graphique, pour selon qu’il date de la 6ème génération de consoles (ère PS3 / Xbox 360). Pas seulement une question de technique, mais aussi de soin du détail, au service d’une direction artistique ayant réfléchi et intégré à 100% chacun des aspects. Des costumes aux nombreux décors, en passant par le design des zombies. The Last of Us c’est aussi un jeu-somme, d’instants et d’interactions (entre les protagonistes Ellie et Joel, entre eux deux et les autres personnages, entre nous joueurs et eux tous), un soin du détail phénoménal façonnant un univers riche et dense, ainsi qu’une histoire exprimant dans l’ensemble, un certain nihilisme très à contre-courant des canons du jeu-vidéo AAA**, voire même du cinéma.

Il n’y avait absolument rien d’original dans The Last of Us, mais un certain génie de la réorganisation d’influences et de gimmicks au service d’une sensibilité unique, par le biais de la mise en scène et du gameplay, de la narration, de l’histoire, de l’émotion et de l’interactivité. Un peu comme ce que fait Tarantino depuis Kill Bill. En résulte une oeuvre totale, à même de marquer l’imaginaire indélébilement, au même titre que les œuvres dont nous parlons depuis le début de l’article.

the last girl

Ce qui est intéressant, est de voir l’influence que CE jeu vidéo a pu avoir sur le cinéma. Il ne s’agit pas que de motifs visuels pour le coup, mais plutôt d’une façon d’aborder les histoires, les univers, et les personnages.

Je remarquais par exemple à propos de The Rover (David Michôd, 2014), que sa narration environnementale extrêmement subtile mais aussi très significative, de même que le nihilisme hardcore de son protagoniste, empruntaient énormément à The Last of Us. Plus récemment, Le Labyrinthe 2 y renvoyait lui aussi, par sa narration environnementale ou par quelques idées visuelles comme celle des deux immeubles écrasés l’un contre l’autre (un ouroboros artistique cela dit). Encore plus palpable: Logan, avec son duo Wolverine X23 singeant celui que formait Ellie et Joel, ainsi que son ton intimiste au sein d’un univers pourtant extrêmemnt riche (celui des X-men tout de même)

[bctt tweet= »«The Girl with all the gifts, une oeuvre maîtrisée mais sans personnalité propre» » username= »LeBlogDuCinema »]

Avec THE LAST GIRL, on à l’impression de revoir presque à l’identique le cas de The Last of us. Dans ses motifs scénaristiques et émotionnels :
=> justification scientifique de l’apocalypse zombie par un champignon détruisant les facultés cérébrales, => utilisation du symbole de l’enfance (de l’innocence ?) comme remède à l’épidémie,
=> investissement de l’environnement urbain en déliquescence par des personnages « fouillant le décor » à la recherche d’indices sur ce qu’il s’y est passé,
=> conclusion nihiliste où sentiments et empathie envers les personnages viennent chambouler les notions de happy end…
Mais également dans le fond, en tant qu’oeuvre globalement maîtrisée (dans certaines scènes virtuoses, par sa photographie, sa direction d’acteurs, sa mise en scène ou simplement dans sa gestion des moyens de production limités) reposant sur une quantité conséquente d’influences… La différence étant peut-être qu’il manque clairement à THE GIRL WITH ALL THE GIFTS  ce supplément d’âme et de personnalité lui permettant d’être plus qu’une somme d’influences – à l’image de The Last of Us.

Georgeslechameau

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The girl with all the gifts : photo
The girl with all the gifts
* TPS = Third Person Shooter = jeu de tir à la troisième personne; le joueur est donc visible à l’écran
** les jeux AAA sont des œuvres dont les moyens de production/distribution/communication sont proportionnellement équivalents à ceux des blockbusters du cinéma.
L’article a été écrit le 18 janvier 2017 a l’occasion de la présentation du film au festival du film fantastique de Gérardmer. Il a ensuite été mis à jour avec la sortie de Logan.

 

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Titre original : The Girl With All The Gifts
Réalisation : Colm McCarthy
Scénario : Mike Carey
Acteurs principaux : Sennia Nanua, Gemma Arterton, Glenn Close Paddy Considine
Date de sortie : 28 juin 2017
Durée : 1h52min
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