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[CRITIQUE] THE WITCH

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the witch
THE WITCH
• Sortie : 15 juin 2016
• Réalisation : Robert Eggers
• Acteurs principaux : Anya Taylor Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie
• Durée : 1h48min
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Joyau sombre de la sélection officielle du 23ème festival international du film fantastique de Gérardmer, THE WITCH a remporté le prix du jury Syfy (en partenariat avec Canalsat) dont j’avais l’honneur de participer pour le Blog du Cinéma, en compagnie d’homologues de Rockyrama, Oblikon, Bulles de Culture et Café Powell. Pour retrouver l’analyse complète de la sélection officielle dont faisait partie THE WITCH , cliquez ici.

Au 17ème siècle en Amérique du Nord, les colons anglais récemment débarqués doivent réinventer la civilisation, sur des bases utopiques tirées d’une relecture des Évangiles. Un homme parmi eux refusent les lois que cette communauté veut lui imposer. Il prend comme une bénédiction la punition d’être exilé à la frontière du village. L’homme taciturne installe sa famille dans une clairière à la lisière d’une forêt austère, ce qui enclenchera une série d’évènements tous plus terribles les uns que les autres. Bientôt, l’évidence s’impose : c’est forcément une sorcière qui se jouent d’eux. Mais qui est-elle ?

THE WITCH a divisé les festivaliers comme les trois autres films qui frayaient en dehors des limites strictes du genre fantastique (Évolution, February et Bone Tomahawk), mais il est indéniable qu’il s’agit d’un excellent film. La méprise tient peut-être des attentes des spectateurs d’un festival fantastique, qui réclament pour certains une bonne dose de frayeur (bouh ! il y avait un fantôme derrière vous…) alors que THE WITCH repose presque exclusivement sur le suspense (il y a peut-être une créature étrange derrière vous…).

Photo du film THE WITCH

Pour ma part je considère que le fantastique se distingue de l’horreur, par l’ambiguïté entretenue entre le surnaturel et le quotidien. Des premières nouvelles de Maupassant jusqu’à Shining de Kubrick, la limite entre ce que nous considérons comme réel et imaginaire est questionnée voire déplacée. THE WITCH est le seul film de la sélection à répondre à cette définition car, à l’inverse des 9 autres films, il produit un effet direct sur le spectateur propre aux grands classiques du fantastique. Pour un premier film, Robert Eggers réussit à nous communiquer son enthousiasme sans tomber dans le second degré d’une bonne partie de la production culturelle contemporaine. De manière primale, on a peur pour le personnage principal, mais cette angoisse naît de l’empathie qu’on tisse avec lui au fur et à mesure de ses confrontations avec les autres, et non par référence à un univers fantastique codifié dont on pourrait attendre une relecture « méta » (ce qui impliquerait qu’on sache tout sur les films de sorcières).

La mécanique du récit de THE WITCH se rapproche d’ailleurs beaucoup plus du drame historique et familial que du pure thriller fantastique. La sorcellerie est une arme pour régler ses comptes en famille, un jeu de dupes dont sont prisonniers les colons du fait de leurs croyances religieuses : dans un monde gouverné par Dieu, le Mal n’est envisageable que par l’entremise du Diable, et la culpabilité est une affaire de malédiction. J’ai cru durant le spectacle à l’existence certaine de la sorcière, d’autant que la photographie exceptionnelle de THE WITCH permet une profondeur de champ qui fait basculer le film dans l’hyperréalisme. Plus on partage la vie en apparence simple de cette famille de paysans, et plus le fantastique s’y immisce comme une certitude. Il y a bien une créature maléfique qui rôde et qui veut du mal à cette famille (et par extension à nous dans la salle).

Photo du film THE WITCH

Pourtant, en repensant au film, je ne crois pas qu’on puisse trancher aussi radicalement. Certes, l’iconographie de la sorcellerie nous est montré frontalement, et aussi crument que le quotidien de la famille. Cependant, jamais on ne saura de quel point de vue ces images sont perçues (hallucination d’un personnage, prémonition, rêves, témoignage direct, etc.). THE WITCH est un très grand film sur la suggestion, car il réussit à persuader le spectateur et les personnages que la seule explication logique au malheur, et la seule issue du film pour résoudre sa tension initiale, réside dans la sorcellerie.

On peut dans un premier temps être convaincu que le propos de THE WITCH revient à dénoncer le fanatisme religieux qui pousse littéralement à conclure un pacte avec le Diable. Pourtant, un autre thème plus mineur prend de plus en plus d’importance au fur et à mesure du film, grâce à la performance d’actrice de Anya Taylor Joy et à la complexité de son personnage (Thomasin, l’aînée de la famille).

« La photographie exceptionnelle de The Witch permet une profondeur de champ qui fait basculer le film dans l’hyperréalisme. »

Responsable des principales taches ménagères dont se délègue sa mère, mais aussi de la garde de ses frères et sœurs en bas-âge, la jeune fille doit également gérer une puberté au sein d’une famille puritaine et se retrouve très facilement bouc-émissaire de la moindre erreur commise par un des autres membres de cette micro-communauté. Entre mère-courage et adolescente empêchée, Thomasin porte toute la famille sur ses frêles épaules. Pourtant, ses parents la considèrent comme un fardeau du fait de la dot dont ils devront s’acquérir le jour de son mariage. Dans ce jeu de pouvoirs, les accusations en sorcellerie servent donc de catalyseur à une tension uniquement psychologique. Certes, ces procès d’intention ne seraient pas possibles sans la croyance viscérale de l’existence de tels pouvoirs. D’où l’ingéniosité de nous montrer la sorcellerie, d’abord dans un sous-bois lointain, puis de plus en plus proche de la maison de cette famille au triste destin.

Photo du film THE WITCH

Si le thème religieux constitue le contexte de l’œuvre, le propos principal selon moi est de s’interroger sur les conditions de la domination féminine, uniquement possible grâce au concours d’autres femmes (les mères) et à un repoussoir maléfique. Dans le contexte de cette époque, une femme dégagée de ces contraintes, affranchie du joug de sa famille, ne peut être autre chose qu’un monstre à bannir. Paradoxalement, du point de vue de la jeune femme sous pression, la sorcellerie se révèle peut-être la seule porte de sortie pour éviter de sombrer dans la folie de ce carcan familial et religieux.

THE WITCH permet une lecture moderne de la condition de la femme dans les sociétés occidentales. L’accusation en sorcellerie s’y déploya au 17ème siècle comme celle d’hystérie au 19ème : un bon moyen d’attacher la femme à la notion de Mal consubstantiel. Que ce soit au sujet de la maternité ou de la sexualité, le problème chez cette micro-communauté est de juguler la vitalité débordante d’une jeune femme qui a très légitimement le besoin de s’émanciper.

L’essentiel des dialogues et images fantastiques de THE WITCH ont été inspiré par des sources historiques : des témoignages d’époque jusqu’au procès des sorcières de Salem. Robert Eggers a tiré de ce matériau historique un film polysémique sans pour autant perdre en suspense. THE WITCH ne doit pas s’envisager comme le récit anecdotique sur une communauté bien circonscrite (les colons anglais en Amérique au 17ème siècle) mais au contraire comme un laboratoire cinématographique qui parle directement à notre époque. Vers la fin des années 1970, l’anthropologue Jeanne Favret-Saada décrivait les accusations en sorcellerie dans une communauté du bocage de la Mayenne sous une forme assez proche de ce qui est montré dans THE WITCH

Le final du film, d’un brio technique et esthétique à couper le souffle, renvoie encore le public face à ses propres croyances. Qu’il choisisse ou non de prêter foi à la sorcellerie, le spectateur est invité à méditer sur l’impact de l’imaginaire dans sa vie intime. N’y avait-il pas d’autre choix que de croire à la sorcellerie ?

Thomas Coispel

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Phaenix
Phaenix
Invité.e
7 juillet 2016 12 h 43 min

Merci pour votre analyse (surtout l’aspect anthropologique que je trouve très bien) !
Sur la pomme, je rajouterai qu’elle peut être d’autant plus vue comme le fruit de la connaissance, celle d’Adam et Eve, que c’est une discussion et un motif récurrents chez Caleb. De plus, après l’avoir mangée (ou en tout cas avoir rendu visite à la sorcière), il acquiert des connaissances : dans le futur (il parle des serviteurs de la sorcière, de leur venue imminente), et dans le présent (« il faut lui couper la tête », une façon de se débarrasser des sorcières).
J’adore l’ambiguïté du film et sa reprise de motifs présents dans les contes et le folklore (utiliser la graisse de bébé pour voler, le bouc, le sabbat…), ainsi que l’ambiance, la lumière et certaines scènes qui rappelaient les gravures de Goya.
Pendant un moment je pensais que les jumeaux étaient les sorciers, car ils parlent au bouc et chantent une chanson étrange qui pourrait plus parler du Diable que de l’animal.
En résumé, c’était un excellent film^^

Colette Du Net
Colette Du Net
Invité.e
2 juillet 2016 21 h 23 min

Merci pour cette excellente analyse à laquelle je renvoie depuis mon blog. Je n’aurais pas dit mieux – et du coup, je ne l’ai pas écrit!

Harmonie
Harmonie
Invité.e
Répondre à  Thomas
13 octobre 2021 17 h 15 min

Je retrouve tout ce que me racontait ma grand mère qui accusait sa voisine d’envouter son mari victime d’un accident… Et davantage quand elle pactisait avec le curé de la paroisse ! Merci !

nawel
nawel
Invité.e
1 juillet 2016 4 h 01 min

Bonjour,
vous parlez de ce film comme d’une accusation de la condition de la femme dans la societe occidentale (en partie), mais est ce que l’image de la sorciere (dans le folklore occidental en tout cas) ne porte pas deja cette symbolique ? (grossierement, la femme qui peut soigner et tuer, qui s’affranchit de son role de mere et n’a pas besoin de ses semblables pour vivre.)
En contre argument, on pourrait aussi dire que lorsque le pere (qui est le seul qui ne parle ni aux possedes ni au bouc) meurt, les femmes, livrees a elles meme, s’entretuent. En allant plus loin, on peut presque dire que lorsqu’on donne du pouvoir a une femme, elle devient capable de sacrifier un nouveau ne.
En y repensant, ce film va beaucoup plus loin. Prenez l’histoire du frere possede et la reference au petit chaperon rouge. Le jeune homme ne cherche pas la grand mere mais le loup, pour le tuer (c’est suppose). Il va alors tomber au hasard (contrairement au conte original) sur une cabane. Il ne tombe alors pas sur le loup deguise en grand mere, mais sur une femme qui porte un chaperon rouge et qui se trouve etre une vieille femme (la grand mere, la sorciere, ou les deux). Lorsque qu’il est « sauve », il ne recrache pas le morceau de pomme mais la pomme en entier, et il a avale le morceau.
Ce point de vue peut se lire comme une inversion des codes a partir du moment ou le pere prend la decision de s’exiler, A partir de ce moment, il prenda des decisions en cachettes ou demandera l’avis de sa femme. Sa fille le lui reproche d’ailleurs. Il mourra embroche par le bouc, qui s’avere etre le diable. Le patriarcat aboli, c’est le declic a la folie des femmes. Ce film peut etre vu comme profondement moralisateur.
Qu’en pensez vous ?

Harmonie
Harmonie
Invité.e
Répondre à  nawel
13 octobre 2021 17 h 16 min

Je pense que le Père se fait embrocher par ses propres pensées projectives qui lui reviennent comme un boomerang. C’est la loi de cause à effet, c’est tout.

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