l'artificiel
Une mise en abyme amusante : Deadpool, personnage de cinéma, se dessinant en personnage de comics. Deadpool (Tim Miller, 2016)

Cinéma Fantastique : Discours de l’artificiel 2/3

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Deuxième partie de notre dossier sur les manifestations et utilisations de l’artificiel au cinéma, dans la continuité de l’Évasion Impossible.

Nous traiterons ainsi des différentes manifestations de l’artificiel, en trois parties :
– L’ÉCRAN EST UN MASQUE COUSU DANS LE RÉCIT
– LA CONSCIENCE DE L’ARTIFICIALITÉ
– L’ARTIFICIEL, LE RÉEL, LE CINÉMA

ÊTRE DU CINÉMA, SE COMPRENDRE CINÉMA

Si la fiction peut paraître intelligible pour certains personnages, c’est surtout parce que les trajectoires existentielles de ces derniers sont guidées, voire régies selon l’importance donnée à un destin préétabli, par le regards que portent les cinéastes sur elles. Dès lors, il n’est plus seulement question pour ces personnages de prendre conscience d’une part d’artificialité présente dans leur environnement, mais plus largement de comprendre que cet environnement tout entier constitue le cadre d’une œuvre de fiction. Par ailleurs, c’est sur cette prise de conscience que repose l’effet extradiégétique (qui sort de l’univers du récit) où un personnage « brise le quatrième mur » et s’adresse au public assistant à son histoire, à la manière de Deadpool par exemple. On peut considérer ce procédé comme le prolongement logique du principe déjà rependu en littérature, lorsque la fonction de protagoniste se confond avec celle de narrateur. Plus d’un roman joue ainsi sur une ambiguïté entre éléments autobiographiques et récits romancés, prenant aux deux domaines ce qui s’avère le plus intéressant dans la réalité comme dans l’imaginaire.

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Une mise en abyme amusante : Deadpool, personnage de cinéma, se dessinant en personnage de comics. Deadpool (Tim Miller, 2016)

Comme nous avons pu le voir dans le dossier Evasion Impossible avec les exemples de L’Antre de la folie ou de Dellamorte Dellamore, la prise de conscience de leur artificialité peut être un traumatisme vertigineux pour certains personnages, considérant que leur existence se résume alors à une impasse métaphysique, puisqu’il leur est impossible de négocier avec les ambitions de leur créateur et gouverneur, sévissant depuis un autre niveau de réalité. Cependant il peut arriver que des protagonistes affrontent ce vertige et accueillent cette découverte comme une ouverture vers une dimension supplémentaire de leur existence, et non comme la simple restriction de leur libre arbitre. Étudions de plus près le cas particulier de Jack Slater, action hero archétypal de Last Action Hero. Dans la seconde partie du film de John McTiernan, Jack traverse un écran de cinéma et se retrouve dans le niveau de réalité des spectateurs de la franchise dont il est le héros. En découvrant les lois physiques de cette réalité ( comme le fait qu’une voiture n’explose pas au premier impact de balle venu, ou qu’un colosse de sa trempe peut être blessé et souffrir comme le commun des mortel), Slater réalise par la même occasion les conventions peu réalistes qui régissent son univers de fiction (sa quasi-invulnérabilité, son incapacité à dire des grossièretés, et le surdosage d’effets pyrotechniques).

Cinema fantastique: discours de l'artificiel - Last action hero
Last action hero de John McTiernan, avec Arnold Schwarzenegger

McTiernan n’épargne pas son personnage et le soumet à des épreuves psychologiques dont une scène mémorable où Jack se retrouve face à l’acteur qui l’interprète, Arnold Schwarzenegger. Pourtant, à la fin de Last Action Hero, Slater regagne son univers fictionnel en se sentant enrichi et renforcé par cette expérience qu’il a vécu aux côtés de Danny, un de ses fans. De son côté de l’écran, Jack adresse des clins d’œil à l’adolescent et conçoit que s’il reprend sa place d’inspecteur de police aux méthodes expéditives, son rôle est au final de divertir et d’amuser les spectateurs d’un autre monde. Bien entendu, le cas de Last action hero ne peut se résumer au retour vers la fiction, par le biais du monde réel, puisque de facto, Slater ne s’aventure pas dans notre monde réel. Vous pouvez faire l’expérience chez vous et vous constaterez que Slater ne traversera jamais l’écran de votre téléviseur. L’écran qu’il traverse dans le film, le propulse dans le monde de Danny, un New York cradoc aux antipodes du Los Angeles ensoleillé, décor des films Jack Slater. Le monde de Danny a beau sembler plus réaliste et moins manichéen que celui d’où s’évade Jack, il n’en demeure pas moins un univers de fiction, placé à un autre niveau de réalité dans le récit.

Si on devait placer le monde de Danny sur une échelle d’artificialité et de réalisme, il se situe donc entre le niveau des films d’actions de Jack Slater et le niveau de notre monde réel. Et comme Danny, nous sommes à une place de spectateurs et nous assistons émus à la trajectoire de Jack qui à la fin du récit, ne ressent pas la solitude qu’il pourrait légitimement éprouver étant donné sa condition existentielle particulière. Au contraire, Jack, en acceptant sa part d’artificialité, a compris qu’il appartenait à un référentiel cinématographique, et plus largement culturel, dont le spectateur se fait le complice; un lien émouvant et rare s’est ainsi créé entre le protagoniste et le public, par-delà les écrans qui séparent les différents niveaux de réalité. Un lien qui permet à Jack le personnage et Danny le spectateur de concevoir le cinéma de la même manière, et de comprendre tous deux sa langue, sa grammaire, son vocabulaire, pour s’en amuser ensemble. Un lien linguistique en somme.

On peut considérer la démarche de John McTiernan pleine d’autodérision envers un cinéma d’action dont il a lui-même écrit les plus belles heures, selon le paradigme classicisme – modernisme – postmodernisme. Face à l’approche classique qui assoit des valeurs, et à l’approche moderne qui les renversent, Last Action Hero serait alors à étiqueter dans la catégorie postmoderne, où toutes ces valeurs antérieures sont dépassées, pulvérisées, ou simplement détournées et considérées avec distance et dérision dans le meilleur des cas. Ici l’approche est fertile et laisse une place à la tendresse et à l’empathie, mais dans d’autres cas comme La Cabane dans les bois de Drew Goddard, le ton est plus féroce.

Nous suivons ici une bande d’étudiants qui évolue dans ce qui semble être à première vue, un agglomérat de clichés tenant lieu d’univers de film d’épouvante. Ajoutons à cela le fait qu’à mesure que l’intrigue progresse, chaque individu du groupe s’installe dans un stéréotype émanant lui aussi de décennies de cinéma d’exploitation horrifique. Ces personnages, les survivants du moins, découvriront qu’ils sont regardés à leur insu par les techniciens d’une régie et qu’ils sont les protagonistes d’un récit servant de rituel sacrificiel par le biais de la fiction. Le principe d »actes rituels justifie ainsi l’accumulation ostensible de codes du cinéma d’horreur, puisque qui dit cérémonial, dit de fait comportement de représentation.

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La Cabane dans les bois (Drew Goddard, 2012)

Drew Goddard a donc choisi de bâtir son film sur une crête étroite pour servir son concept éminemment postmoderne. Une crête d’éléments esthétiques comme narratifs à l’artificialité flagrante, qui menace à tout moment de faire basculer La Cabane dans les bois dans le grotesque ou la posture de cinéaste « petit malin » dont la distanciation avec le genre détourné peut passer pour une attitude désabusée. Néanmoins, les réflexions sur l’usure des codes fictionnels et des types de récits prévisibles s’avèrent des thèmes assez fertiles pour Goddard, lui permettant au passage d’émettre une question pertinente : Si les personnages ne sont que des agrégats de codes et de clichés cinématographiques, donc d’éléments d’écriture on ne peut plus artificiels, peuvent-ils au final exprimer une personnalité propre ?

C’est bien là la question sous-jacente du postmodernisme, qui réfléchit à sa propre utilité et sa propre créativité lorsqu’il investit des codes et des valeurs antérieures, pour sa tailler une personnalité dans un patchwork de références. Les précédents exemples concernaient les relations entre des personnages et leur public, mais il se peut également qu’une œuvre dans sa globalité vienne converser ouvertement avec ses spectateurs, assumant ainsi d’être une fiction située dans un contexte culturel et artistique.

C’est sur ce principe même que repose le concept de l’anthologie American Horror Story, pensée par ces créateurs Brad Falchuk et Ryan Murphy comme un précipité d’ingrédients identifiables du genre de l’épouvante et de l’horreur. Si, lors de la première saison, la série installait une histoire et des enjeux émotionnels lisibles, en prenant le cadre simple et efficace d’une maison hantée et d’une cellule familiale en crise ; on constate sa progression jusqu’à la cinquième saison vers un exercice stylistique de plus en plus assumé et de plus en plus baroque. Par son assemblage de séquences subdivisant l’exercice vers différents genres, sous-genres voire références ponctuelles (références culturelles, esthétiques ou historiques dépassant le cinéma d’horreur), la série s’émancipe progressivement d’un besoin de fluidité du récit pour préférer une expression maniériste, délectable pour ceux qui regardent le style avant de considérer le fond de l’histoire. Le parti-pris de la cinquième saison est signé dès que le décor est posé : comme dans la première saison, l’intrigue (ou plutôt le tissage d’intrigues diverses) prend place à Los Angeles. Mais cette fois la place forte ne sera pas une maison de banlieue, mais un hôtel art déco de Hollywood, formalisant déjà le maniérisme qui se déploiera bientôt à l’écran.

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American Horror Story : Hotel (Brad Falchuk et Ryan Murphy, 2015)

Hollywood apparaît comme la terre promise du cinéma, et plus largement de ce qui doit être vu, admiré, contemplé pour exister, à l’instar de l’anthologie qui met constamment en abîme sa place dans l’histoire du genre horrifique. De référentiel, le jeu se dirige alors vers l’archi-référentiel ; puisqu’il n’est plus simplement question pour le spectateur aficionado de trouver les références, il doit également comprendre l’emplacement de ces références dans le récit, pour en percevoir l’intention émotionnelle de chacune, de l’effroyable au sublime en passant par le grotesque. Avec, postmodernisme oblige, la possibilité que ces trois registres se confondent dans une même scène, ce qui est à prendre en compte puisque l’utilisation de divers tons et registres participent au caractère polymorphe de l’ensemble.

Ce traitement d’un récit, vampirisé par la suresthétisation qui l’accompagne, pose là également une question quant à l’artificialité évidente d’un tel procédé artistique. L’assemblage, voire le sampling pour reprendre un terme musical, des codes d’un genre cinématographique représente avant tout une formule, un schéma sans chair. Cette formule nécessite donc en contrepartie un récit abouti, lisible et cohérent pour faire corps. Si on dépasse le besoin du récit à se placer comme le visage identifiable de l’œuvre, on risque de limiter notre conception d’un projet tel que American Horror Story, à ce sampling de codes, dont on peut s’amuser à cocher la liste. De facto, un discours esthétique aussi présent que celui-là se pose en célébration de l’artificiel et sort notre esprit du récit pour nous renvoyer à notre place de spectateur complice et attentif.

Arkham

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