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ON REFAIT LA SCÈNE N°21 : La scène finale de Her

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HER est un film écrit et réalisé par Spike Jonze, sorti en 2013. Son scénario (Oscar du meilleur scénario original) aborde avec intelligence de nombreux thèmes de société tels que la solitude, la place des technologies dans nos vies ou l’importance des relations humaines. Chacun peut ainsi se retrouver dans les personnages du film et en tirer des enseignements sur sa propre vie.

Cette analyse de la scène finale de HER nous permettra de revenir sur certains moments-clés du film, et sur les thèmes qui y sont abordés.

[Spoilers sur l’intrigue du film]

D’abord, un petit rappel de l’intrigue de HER et du contexte de la scène. L’histoire se déroule dans un futur proche. Théodore Twombly (Joaquin Phoenix) est récemment séparé de sa femme Catherine (Rooney Mara), se sent seul et ne trouve pas sa place dans la société. Il tombe amoureux de Samantha, un « OS » : une intelligence artificielle ultra développée (la voix de Scarlett Johansson). Leur relation se développe et donne enfin un sens à la vie de Théodore. Cependant, ce dernier apprend à la fin du film que Samantha parle en réalité à des milliers de personnes simultanément. Elle a également des relations amoureuses avec des centaines d’entre elles, ce qui brise le cœur de Théodore.

La scène finale commence après le départ de Samantha dans « un espace au-delà du monde physique » (sic) ; Théodore est de nouveau seul. Ce dernier rend visite à Amy (Amy Adams), sa voisine et amie très proche, elle aussi laissée de côté par son amie OS. Les deux se retrouvent autour de leur solitude sur le toit de leur immeuble. Dans le dernier plan du film, Amy pose tendrement sa tête sur l’épaule de Théodore.

Avant tout, HER est un film sur la solitude. Sa scène finale représente l’aboutissement du long chemin qu’a suivi Théodore pour en sortir. Comparons par exemple le premier plan du film (première photo ci-dessous) avec le dernier (deuxième photo):

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Premier plan de Her
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Dernier plan de Her

Le film commence sur le visage de Théodore, en plan très rapproché. Théodore écrit une lettre d’amour pour un de ses clients face à son écran. La très faible profondeur de champ (le flou derrière lui) le présente comme totalement isolé du monde extérieur. A l’inverse, la dernière image du film nous montre Théodore filmé en plan très large, face à la ville, accompagné d’Amy qui pose sa tête sur son épaule. En plus d’être un véritable tableau, ce plan est riche en significations: Théodore s’est ouvert au monde et aux autres. Il est sorti de la solitude qui était la sienne. Il a retrouvé la paix et la joie intérieure qui lui manquaient. Intéressons-nous donc plus en détail à cette transformation et à ce que veut nous enseigner Spike Jonze à travers la scène finale de son film.

Le premier élément majeur de cette scène est la lettre que Théodore écrit à son ex-femme Catherine, dans laquelle il rend hommage aux moments partagés avec elle. C’est la première fois que nous voyons Théodore écrire une lettre dont il est réellement l’expéditeur et où il exprime ses propres sentiments. Avec cette lettre, Théodore laisse enfin partir les regrets de la période de sa vie partagée avec Catherine. Il tourne le dos à ce passé qui le hante. Le problème de Théodore était l’idéalisation de Catherine et de sa relation avec elle : « tu voulais que je sois cette épouse parfaite, toujours joyeuse, lumineuse, optimiste et aimante » lui explique Catherine pendant le film. Les flash-backs qui nous montrent tout au long du film les souvenirs heureux de sa vie avec Catherine sont ceux d’une vie idéalisée, éloignée de la réalité. Cette obsession pour Catherine est l’origine de sa solitude : toutes les autres relations qu’il essayait d’entreprendre devenaient creuses et incomplètes.

C’est la raison pour laquelle il est tombé amoureux de Samantha, véritable projection de l’image fantasmée qu’il avait de Catherine. Samantha a été conçue pour s’adapter à lui, l’écouter, le réconforter, réorganiser sa vie. Tout en l’isolant du monde, elle est devenue son amour le plus passionnel, car centré autour de lui. Samantha représentait les désirs de Théodore, souvent opposés à ses véritables besoins (ouverture aux autres et reconnexion avec le monde). Mais plus Samantha gagnait en intelligence, plus leur amour s’effritait. Jusqu’à laisser Théodore de nouveau dans la solitude. En réalité, si sa relation amoureuse avec Samantha était vouée à l’échec, elle a eu l’effet d’une thérapie pour Théodore. Samantha lui a fait comprendre comment aimer à nouveau en prenant conscience de la nécessité de ne plus vivre dans le passé : « le passé n’est qu’une histoire qu’on se raconte à soi-même». La lettre de Théodore en témoigne.

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Souvenir de la vie de Théodore, avec son ex-femme Catherine

L’autre élément majeur de cette scène est symbolisé par le somptueux dernier plan sur Théodore et Amy dont nous avons parlé un peu plus haut : rien ne pourra jamais remplacer la présence physique dans les relations humaines (mention spéciale ici au directeur de la photographie Hoyte van Hoytema).

Il manquait quelque chose à Théodore dans sa relation avec Samantha. Les flash-backs des souvenirs de Théodore sur sa vie de couple avec Catherine insistent sur le contact de leurs peaux, leurs poils qui se hérissent ou encore sur l’enfant qui leur est né : ils insistent sur le contact humain. Samantha a beau pouvoir changer Théodore, elle ne peut pas vieillir avec lui, ni fonder une famille. Elle ne peut pas partager son intimité. C’est cette intimité qui manque à Théodore : pouvoir communiquer avec un simple geste, lire les expressions de l’autre ou bien sentir la chaleur de son toucher. Dans la dernière image du film, Amy a été capable de faire ce que Samantha n’a pu faire : partager d’une certaine manière l’intimité de Théodore, être véritablement présente avec lui. Et réciproquement.

Dans son scénario, Spike Jonze ne précise pas explicitement si Théodore et Amy s’aiment. Chacun pourra se faire sa propre idée. Cependant, il insiste sur l’importance de leur présence l’un pour l’autre. Le plus grand crime de Théodore est peut être d’avoir été aveuglé par son propre malheur et d’avoir ignoré la solitude d’Amy. Spike Jonze veut nous dire que la solitude de Théodore est partagée par tout le monde. Dans une de ses conférences, Jonze affirme que « dans ce monde où nous semblons avoir tout ce dont nous avons besoin (…) et où la technologie rend nos vies de plus en plus faciles, il y a toujours cette solitude inhérente, cette isolation, cette déconnexion». Et le meilleur moyen de la surpasser est de la partager. A 2mn40s de l’extrait ci-dessus, Théodore est face à la ville, la caméra le filme en gros plan, seul, et la profondeur de champ est très faible comme d’habitude. Cependant, Théodore s’assoit et Amy entre progressivement dans le plan. La même image est répétée avec Amy, qui se situe dans la zone de netteté et Théodore, qui se situe près d’elle en arrière-plan (voir image ci-dessous). Théodore et Amy sont « seuls ensemble ». Leur compagnie est la meilleure chose qui leur soit arrivée récemment. Ces derniers plans, avec l’image finale, nous démontrent que les interactions humaines ne seront jamais remplaçables par toute forme de technologie.

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Amy et Théodore

« La vie est trop courte, et tant que je suis là, je veux m’accorder des moments de joie. On se fout du reste ». Ces mots, prononcés par le personnage d’Amy au milieu du film, résument toute l’essence du message de HER : nous avons tendance à nous isoler du monde et cela mène irrémédiablement à la souffrance et à la peine. Ce sont les authentiques connexions avec notre entourage qui mènent à ces « moments de joie ».

Matthieu Barthe

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  1. Cette analyse est intéressante, mais présente plusieurs erreurs :
    – La rupture avec Catherine n’est pas récente. Elle date d’il y a presque un an, comme nous l’apprend Samantha.
    – Theodore n’a aucun problème avec sa place dans la société. Il a un travail où il excelle, son travail est reconnu. Il ne souffre même pas de solitude (j’y reviendrai). Son vrai et seul problème est de ne pas être capable de faire le deuil de son mariage.
    – Non, ce n’est pas un film sur la solitude. L’importance du thème du corps, de la présence, par exemple, y est beaucoup plus traité que la solitude (revoyez le film et vous verrez que dans ce monde décrit, personne n’est seul, à presque aucun moment, chacun est en contact avec l’autre — on n’a jamais été moins seul qu’aujourd’hui). Le corps, en revanche, donc la présence, est consistant dans de nombreuses discussions. Tout simplement parce qu’il n’y a plus de solitude aujourd’hui, ça n’existe pratiquement plus.
    – Non, Theodore ne s’est pas ouvert au monde. Il est dit dès le départ, par la voix de Amy, que Theodore est quelqu’un de sociable, de drôle, d’enjoué. À la fin, il a seulement repris le cours de sa vie.
    – Non, Theodore n’idéalise en rien sa relation avec Catherine. Comme il l’explique dans le film, ils ont simplement évolué (tout comme Samantha va évoluer) et c’est très difficile de rester ensemble quand on évolue différemment. Mais il ne se leurre en rien sur son couple. Les bons moments restent les bons moments. Vouloir que sa compagne soit l’épouse parfaite, ça n’est pas à proprement parler une idéalisation (ou l’amour est idéalisation). D’autant que c’est seulement ce que prétend Catherine, une jeune femme qui a toujours vécu dans le culte de l’idéal, et qui en souffre. On entend plus dans ces propos la paranoïa de Catherine qu’un problème de Theodore qui se montre beaucoup trop empathique et ouvert aux autres pour qu’on puisse croire une seule seconde au bien fondé de cette accusation.
    – Non, Samantha n’isole en rien Theodore du monde… C’est tout le contraire : elle le fait sortir, elle le reconnecte au contraire avec l’humanité (la fête foraine, le pique-nique, le bar avec Amy, la client asiatique de la supérette, etc.)
    – Non, ça n’est pas leur enfant, qu’on voit dans le film. Ce qui est filmé, c’est leur désir d’enfant. Mais le nouveau-né que Catherine porte dans ses bras n’est pas le leur (cf. le début de la scène).
    – Je ne pense pas que ce soit un problème d’intimité… Theodore parvient à partager quelque chose de très fort avec Samantha par la voix (qui est aussi un corps, on l’oublie un peu trop dans les commentaires sur ce film…). La seule qui ait un problème avec son absence de corps, c’est Samantha. Pas une fois dans le film Theodore dit ni ne suggère qu’il en souffre.
    – Si, dans son scénario (dans le film), Spike Jonze précise explicitement les sentiments entre Theodore et Amy. C’est Samantha qui l’interroge sur leur relation et Theodore répond qu’ils sont sortis ensemble à la fac, pendant… une minute. Comprendre : ça ne matche pas entre eux, au niveau de l’amour. Ce sont « juste » de très bons amis. Pourquoi diable personne n’entend cette réplique ?……… Mieux que ça, Spike Jonze, dans sa mise en scène au laser, ne laisse aucun doute sur l’absence de tension sexuelle entre les deux amis. Il s’amuse même à faire la « scène des coussins » qui permet souvent, dans la vie, de se rapprocher de l’autre, de le « toucher », et l’avorte aussitôt pour bien montrer qu’ils n’ont aucune intention d’aller plus loin.

    Merci de votre attention.

  2. Ayant vu le film il y a quelques années et l’ayant conseillé récemment, l’analyse du film et extrêmement pertinente et criante d’actualité.
    Merci pour cette analyse et par la même occasion découvert ce blog !