Hallucinations Collectives 2019 : bilan et critiques

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Pour la douzième édition de son festival, l’équipe des Hallucinations Collectives a choisi pour thème « Unexploited ». Des films sur le modèle de la blaxploitation, mais qui arrivent à sortir des stéréotypes, de la parodie et font une vraie place à des personnages noirs construits dans le cinéma US.

Le festival propose aussi une thématique Roman porno, du soft porn burlesque et décalé. Comme chaque année, une carte blanche est accordée à des réalisateurs-trices, on peut voir des pépites tombées dans l’oubli grâce aux rétrospective du Cabinet de curiosités et enfin (re)découvrir des talents et voir en avant première les longs-métrages en compétition ainsi que les courts.
Cet article non-exhaustif revient sur une partie de la programmation proposée lors du Festival.

Mardi 16 Avril : ouverture

Freaks

Freaks – 2018 Adam Stein, Zach Lipovsky (Long-métrage en compétition)
Vous ne refuserez plus de glaces à vos enfants : Chloé a neuf ans et veut connaître le monde, connaître les plaisirs qu’ont les enfants à l’extérieur. C’est sans compter sur son père ultra protecteur qui la maintient captive car quelque chose semble la menacer.

A mi-chemin entre Légion, X-Men, Umbrella Academy et ce que pourrait être les Nouveaux mutants, Freaks incarne parfaitement la tendance du cinéma de super-héros actuelle. Une vision moins glorifiante et moins bouffonne que Marvel ou DC.
Le film commence de façon énigmatique, laissant planer le doute sur la menace extérieure.
Il est assez dommage que le jeu souvent agaçant du personnage principal et la scène finale – hautement kitch – viennent nous sortir du film.
On a la sensation de voir un film à petit budget avec de très bonnes idées mais gâché par des jeux assez cabotins et une subtilité de dialogues/scénario assez douteuse.
Freaks ravira les amateurs de films de super-héros ou super-pouvoirs qui en ont marre des grosses machines.

Mercredi 17 avril

Next Of Kin

Next of Kin – 1982 Tony Williams (Rétrospective, Cabinet de curiosités)
Montclare, rendez-vous de l’horreur : A la mort de sa mère, Linda hérite de la pension familiale pour personnes âgées : Montclare. Ce retour dans son ancien village et des événements étranges vont la plonger dans le passé de sa mère.

Un bon film d’horreur n’est pas un film qui vous faire sursauter toutes les cinq minutes ou qui utilise des figures inhumaines et déformées. Un bon film d’horreur est un film qui n’a pas peur de prendre son temps et qui sait ménager le suspense.
Faire croire que la menace peut venir, et , vient de partout; arriver au point de rupture où finalement il n’y a parfois rien. Pour nous faire croire à la folie du personnage auquel on est censé s’identifier. Avec Next of kin, nous sombrons dans une douce et lente folie aux côtés de Linda.
Ce qu’on peut reprocher au film, c’est son intrigue totalement bancale, décousue et au final assez secondaire.
Malgré cela et malgré le côté cheap de son époque et de ses moyens – le film est totalement rattrapé par une mise en scène d’une qualité rare. Des plans assez incroyables, qui ne sont pas sans rappeler Kubrick. Une fluidité qui nous est donné grâce à l’utilisation continue de la steadycam.
Un montage très lancinant qui étire l’intrigue jusqu’à sa résolution.
Face à de nombreux passages, il peut aussi y avoir une réaction d’étonnement amusé. Quand le cheap rencontre la beauté et la violence d’un plan et qu’on ne comprend plus ce qu’on doit réellement ressentir vis à vis de ce film.
Next of kin est un réel ovni, alliant le meilleur du cinéma d’horreur et fantastique, un classicisme et une virtuosité de plans, et enfin une patte très 80’s.

Lords Of Chaos

Lords of Chaos – 2018 Jonas Ǻkerlund (Long-métrage en compétition)
La résistible ascension de Mayhem : Dans les années 1990 la Norvège découvre avec perte et fracas le groupe Mayhem. Ce film raconte son histoire.

Le film démarre tel un Bohemian Rhapsody en folie, ce qui d’abord semblait être assez mauvais signe en terme de montage. Finalement le réalisateur a su gérer les moments de respiration et ne nous fait pas supporter un montage digne d’un film d’action.
On suit l’évolution du groupe Mayhem, de son meneur, de leurs ambitions et de la descente aux enfers littérale des différents membres du groupes.
Le film, est un thriller qui nous parle de « la vérité » et des « mensonges » de ce groupe. Mensonges qui nous sont racontés à une vitesse affolante, pour ralentir le rythme sur ce qui devient la terrible et sombre « vérité ». Si ce n’est pas encore des mensonges ? Jusqu’où cela a pu aller pour des histoires d’égo ou de ventes de disques.
On sent aussi totalement le background clip du réalisateur avec des moments de fulgurance qui nous ramène à l’état mental du meneur. Ce personnage central qui raconte son histoire et auquel, malgré son côté mythomane, on finit par s’attacher.
En bref un film intéressant pour public averti (!), avec une bonne dynamique.

Jeudi 18 avril

Xtro

Xtro – 1982 Harry Bromley Davenport (Rétrospective, Cabinet de curiosités)
« Come to dady » : Sam joue avec son jeune fils Tony dans le cottage familial. Quand Sam disparaît subitement dans un flash de lumière, sa femme et son fils essayent de se reconstruire. Trois ans plus tard, Sam refait son apparition mais n’est pas tout à fait le même et est bien décidé à retrouver Tony.

Série B des 80’s, Xtro est une espèce de mélange de burlesque, d’horreur, de sci-fi et on ne sait quoi encore.
La proposition est intéressante, les effets spéciaux sont fendards et pas trop mal fait, mais le film n’est jamais assez vraiment drôle ou vraiment horrifique pour qu’on s’accroche vraiment. Il est même parfois très malaisant.
Un film donc à voir pour l’expérience, et parce que ça fait toujours du bien une petite série B.

Tous Les Dieux Du Ciel

Tous les Dieux du ciel – 2018 Quarxx (Long-métrage en compétition)
Notre Père, qui est aux cieux : Simon vit avec sa sœur Estelle. Estelle est tout pour lui, il prend soin d’elle dans la demeure familiale. Cette dernière est alitée et dans un état végétatif suite à un malheureux accident. Simon attend le jour où des êtres supérieurs viendront les sortir de cette vie morne et d’une société qui les vide de leur raison d’être.

Le film est – comme son réalisateur – assez prétentieux de manière générale. Ce qu’on peut noter d’intéressant, c’est le mélange qu’il a fait de son court-métrage initial avec le long ici présent qui en est la prolongation ou l’évolution.
Aussi l’actrice Mélanie Gaydos, connue en tant que modèle, donne tout son sens et son essence au film. Certains moments nous rappelle ce que le cinéma de genre français fait de mieux : Son cynisme grinçant, son absurdité … Il nous met face à nos propres peurs, à notre propre inutilité, en nous faisant suivre un personnage principal désabusé qui pour échapper à une réalité déprimante, écrasante, sombre dans la paranoïa.
Malheureusement on sent l’égo de son réalisateur peser sur le film, ce qui n’en fait pas un mauvais film au contraire, mais peut être agaçant quant à la finalité du propos. Y compris à cause d’un épilogue beaucoup trop long qui aurait pu se résumer en une scène.

Vendredi 19 avril

Ganja & Hess

Ganja & Hess – 1973 William Gunn (Rétrospective, Unexploited)
Pour le meilleur et pour le pire : Le docteur Hess, anthropologue afro-américain, est frappé par la malédiction de l’immortalité après avoir été blessé par une dague sacrée. Cette malédiction entraîne une addiction pour le sang qui l’amènera à rencontre son amante Ganja.

Quelque chose d’assez fascinant s’opère lorsqu’on regarde Ganja & Hess. C’est un mélange de film de vampire, de film sur l’addiction, sur le questionnement de son statut, de la religion mais c’est avant tout une œuvre d’art.
Une œuvre d’art filmographique inclassable comme on en voit rarement et qui vous transporte le temps de deux heures, qui passent à une allure hallucinante. Entre film d’horreur et film expérimental, baignant dans la religion, le sexe et un vampirisme symbolique, Ganja & Hess est un film à voir.

Samedi 20 avril

Compétition de court-métrages.

Maw

Maw – 2018 Jasper Vrancken
Richard est sexuellement attiré par le fait d’être dévoré par une bête sauvage et tente de mettre son fantasme à exécution.

Court-métrage intéressant sur les désirs inavouables, le rattachement à ce qui est considéré comme la normalité pour ne pas se sentir en marge, finalement le lâché prise et l’acceptation de ses fantasmes.

Blue

Blue – 2018 Samantha Severin
Une femme est payée par des hommes pour se faire observer à la webcam.

Énième court (ou long) de « femme-fantasme » mystérieuse observée à l’identité trouble. Sans grand intérêt, si ce n’est pour appuyer la paradoxe du voyeurisme du spectateur.

The Boogeywoman

The Boogeywoman – 2018 Erica Scoggins
Une sortie entre jeunes interrompue par la Boogeywoman qui dévore l’âme des garçons.

The Boogeywoman est intrigant, est pertinent, même si la fin est un peu décevante. L’ambiance 80’s sans être poussive, comme elle peut l’être aujourd’hui, nous donne une accroche, on peut facilement se retrouver en ces jeunes et leurs déboires hormonaux.

The Sermon

The Sermon – 2018 Dean Puckett
Dans un village de mormons, les sermons et le puritanisme font loi.

Un court-métrage fort, sur la dureté de l’application de certaines croyances ainsi que la violence et la haine qui en résulte. Impeccable du début jusqu’à la fin, The Sermon est le court le plus solide et intéressant de la compétition.

Coyote

Coyote – 2018 Lorenz Wunderle
Un coyote voit sa famille tuée sous ses yeux.

Court d’animation hallucinant et halluciné – on part de la mort d’une famille coyote pour dériver vers la Création du monde, tout ça avec un fond de croyances Navajos. Très intéressant et beau esthétiquement.

Limbo

Limbo – 2018 Daniel Viqueria
Un homme perd le sens de la réalité et s’en prend à sa famille.

Certainement le film le plus faible de la compétition. Il mêle des concepts et idées de mises en scène intrigantes mais est trop dans les poncifs des codes esthétiques et sonores du cinéma d’horreur.

Nursery Rhymes

Nursery Rhymes – 2018 Thomas Noakes
Un jeune homme torse nu chante dans la campagne.

Un plan séquence de 5 minutes pendant lequel tout peut arriver et qui arrive à faire monter une tension assez rare en découvrant la scène petit à petit.

Kids

Kids – 2019 Michael Frei
Comment le mouvement d’un grain de sable peut entraîner une chute infinie.

Un second court d’animation assez étrange qui rappelle les motifs de Keith Harring.
On peut penser à différentes thématiques : la masse humaine qui provoque en masse des changements, la surpopulation, des naissances d’êtres qui semblent sortir d’un anus, telles des déjections humaines. Ce court nous rappelle que le nombre créé le mouvement. Parfois perpétuel et répétitif, inutile, infini.

In Fabric

In Fabric – 2018 Peter Strickland (Long-métrage en compétition)
Vous ne verrez plus vos vêtement de la même manière : Une robe tueuse, une boutique de vêtements énigmatique, des protagonistes en marge. Et on recommence.

In Fabric est un objet étrange de contemplation. Situé entre un épisode de la quatrième dimension et un roman Dostoïevskien, son ton absurde et fascinant transporte.
On suit chacun à leur tour (malgré un premier fragment assez long) des personnages propriétaires d’une robe, jusqu’à leur asservissement total à celle ci.
Ces protagonistes sont, somme toute, très banals mais semblent pourtant être une épine dans le pied d’une société aseptisée et lobotomisée.
Si In Frabic peut laisser sur sa faim, il n’en reste pas moins un film énigmatique intéressant et prometteur.

Dimanche 21 avril

Carne

La Bouche de Jean-Pierre

Carne – 1991 Gaspard Noé / La bouche de Jean-Pierre – 1997 Lucile Hadzihalilovic
De la bonne chaire fraîche – Carne : Un boucher chevalin élève depuis toujours sa fille seule et vit dans la peur de la voir grandir – La bouche de Jean-Pierre : A la suite de la tentative de suicide de sa mère, la jeune Mimi va habiter chez sa tante et son compagnon Jean-Pierre.

Double séance pour deux visions de plusieurs sujets : L’enfance, la perte de l’innocence, l’abus de pouvoir/sexuel sur l’autre, la peur de l’étranger.
Le diptyque prend parfaitement le contre pied de l’idée selon laquelle le menace devrait venir d’ailleurs, de l’autre. Bien souvent, elle est tapis chez soi, dans les agissements et le comportement de ses proches.
Les deux histoires qui se passent toutes les deux dans des milieux modestes, sont violentes de banalité et installent un malaise certain.

We

We – 2018 Rene Eller (Long-métrage en compétition)
We are young, we run green : Un été mouvementé passé avec une bande de huit jeunes dans un village des Flandres.

We fait parti de ces pépites flamandes et néerlandaises que l’on aime voir. Celle ci ressemble à ce qu’un Greg Araki et Gus Van Sant auraient pu réaliser à propos de cette jeunesse.
Le film fait aussi écho à Lords of chaos, avec sa jeunesse qui veut déconstruire les codes, méprise totalement les générations précédentes, les conventions, les traditions. Qui en voulant trop s’amuser et aller contre ces modèles, plongera dans des travers dangereux.
Le film en quatre parties, raconte le point de vue de quatre membres de la bandes, et nous fait goûter aux plaisirs de l’insouciance, la langueur de l’été avant d’en arriver aux drames.

Top of the Heat

Top of Heat – 1972 Christopher St. John (Rétrospective, Unexploited)
Man on the moon : La plongée dans la folie de George Lattimer, un des rares agents de couleur de la police de Washington.

Ce film est la quintessence de la thématique Unexploited : Cet homme que l’on suit quotidiennement est en pleine crise sociale et raciale. Le poids des privilèges blanc auxquels il n’a pas le droit pèse sur lui et sa famille pour l’éloigner toujours plus du rêve américain.
Mal-traité par sa femme, ses paires, des inconnus, des criminels parce qu’il est noir et parce qu’il est flic, il perd totalement pied.
Top of heat mêle des scènes du quotidien morne d’un policier en quête de reconnaissance et des plans oniriques, transpositions de ses échappées fantasmagoriques. Sa seule échappatoire quand même son amante ne le suit plus.

Lundi 22 avril

Luz

Luz – 2018 Tilman Singer (Long-métrage en compétition)
Elle a le diable au corps : Un conductrice rentre dans un commissariat, hébétée et amochée après un accident et rencontre deux policiers. En parallèle un psychiatre/psychothérapeute apprend son existence et est appelé à la rescousse par ces derniers.

Gros coup de cœur de ce festival et de cette compétition : Luz est réellement l’incarnation filmique des Hallucination Collectives. On se retrouve avec nos protagonistes quelque part dans les limbes, entre possession et folie. La bande originale composée pour le film est fantastique est souligne l’esthétique crasseuse et la boucle infernale hypnotisante dans laquelle le film nous plonge. Il y a une moiteur dérangeante et palpable qui nous pénètre et ne nous lâche pas. Et on en redemande.
Le 16 mm donne un grain incroyablement beau et dérangeant. Les acteurs, dont Jan Bluthardt – souvent décrit comme la réincarnation de Klaus Kinski – sont formidables et justes.
S’il y a un film à retenir du festival, c’est bien celui là.

Golden Glove

Golden Glove – 2019 Fatih Akin (Clôture)
L’alcoolisme vous va si bien : Fritz, alcoolique et célibataire endurci recherche la compagnie de femmes afin de soulager ses pulsions. Malheureusement il a l’a fâcheuse tendance de les violenter voire de les tuer avant les cacher en morceaux chez lui ou dans des parcs.

Inspiré de l’histoire vraie, du tueur en série Fritz Honka, ce film nous montre un homme complexé et malade rencontrant des gens détruits par la société.
L’humour très noir du film ravira sûrement de nombreuses personnes, mais le film au final est surtout répugnant et n’est même pas intéressant dans sa construction.
Assez dommage, car sans tomber dans les travers du biopic trop classique, il aurait pu être digne d’intérêt. S’il avait moins été réalisé dans le but de se moquer de tous ses personnages pitoyables, au-delà de son protagoniste.

En conclusion, comme chaque année les Hallucinations Collectives nous propose une programmation dérangeante, fascinante, exaltante. Qu’on aime ou pas ce que l’ont voit, que cela nous ravit ou au contraire nous répugne, on vient pour ce cinéma. Un cinéma qui ose tout et ne ménage pas son spectateur.

Retrouvez toute la programmation des Hallucinations Collectives sur leur site : www.hallucinations-collectives.com

Gwen Ruby

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