[interview] Fred Cavayé – A Bout Portant

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Une petite semaine avant la sortie d’A Bout Portant, le dernier film de Fred Cavayé, la production, dans un élan de générosité princière, a organisé une projection pour les blogueurs, leurs potes, et les potes de leurs potes. L’ambiance était chaleureuse et, par le froid glacial qu’il faisait à l’extérieur de la salle, on en avait bien besoin. Avant la projection, le réalisateur nous fait un petit speech pour rappeler qu’il est breton, qu’on lui dit souvent que les thrillers français sont « tout pourris » est qu’il a l’intention de changer les choses. Une heure et demie plus tard et après avoir (un peu) harcelé l’attaché de presse, le Blog du Cinéma obtient une interview avec lui pour développer tout ça.

Avant même que je puisse en placer une, je suis interrompu à la suite par 3 groupes de fans qui viennent lui dire à quel point ils ont aimé son film et à quel point il est génial. Un d’eux poussera même la flatterie jusqu’à lui annoncer qu’il considère qu’A Bout Portant est LE Heat français. Fred Cavayé sourit, prend le temps de répondre à chacun d’eux, et a même le bon goût de s’excuser auprès de moi.
On pourra penser ce qu’on veut d’A Bout Portant, mais Fred Cavayé est en tout cas un type sympa, disponible et ouvert, qui parle franchement et respecte son interlocuteur. Pendant la vingtaine de minutes que dure l’interview, on parle du travail de réalisateur, de ses acteurs, de thriller, de ses projets d’avenir… et d’Alain Delon.

[ATTENTION : cette interview contient des spoilers]

Ton film fait seulement 1h24, et toute l’action est compressée dans une période super courte… le temps, c’est une obsession chez toi ?
A mort. Il y a trop de films qui durent 1 heure 40 et où on se fait chier pendant 10 minutes. Dans Taken, la scène d’exposition dure 35 minutes. Je me suis dit « moi je vais faire 5 ». Le couple s’embrasse 30 secondes, et on va se dire qu’ils s’aiment. C’est un avantage, parce que les gens qui ont besoin de mettre des choses dans le personnage pour avancer vont y mettre des trucs persos. Tu vois, dans Pour Elle, t’as un père et un fils qui se parlent pas, et j’explique pas pourquoi. Les mecs qui ont lu ça dans les boîtes de prod, ils ont dit « mais il est dingue, on n’écrit pas comme ça un scénario, faut raconter le passif d’une histoire B…» J’ai dit bullshit ! Moi je le fais pas : un père et un fils se parlent plus, et on va pas dire pourquoi. C’est un avantage, parce qu’au moment où ils doivent se quitter, les gens qui voient le film mettent leur propre rapport avec leur père. Et ils chialent parce qu’ils ont l’impression que c’est eux qui quittent leur père. Je schématise, mais tu vois… quand tu lis un bouquin, tu te fais toi-même la tête du héros, et il y a plein de trucs que tu dois imaginer. Faut arriver à faire ça dans les films, et le spectateur est beaucoup plus impliqué et prend beaucoup plus de plaisir.

Donc en fait, les films d’action, c’est de la littérature ?
Non, c’est le contraire. Pour moi, les dialogues dans les films sont de la littérature, donc je dialogue quasiment pas. Le cinéma, c’est de l’image, je veux que les comédiens racontent les trucs. Roschdy Zem dit 3 mots, et les gens me disent « putain qu’est-ce qu’il est formidable ». Tu vois, la littérature a un gros avantage par rapport au cinéma, c’est que tu peux te faire toi-même les couleurs des choses, t’as l’impression que c’est toi qui écris. Moi j’écris des films où le spectateur doit être un peu scénariste.

Mais en même temps tu prends quand même le temps d’expliquer pas mal de choses. Au niveau de la dynamique narrative, par exemple : le film aurait tout aussi bien marché si t’avais pas raconté ce qu’il y a sur la clé USB, à la Ronin, et ça t’aurait permis de dégager encore un peu de temps morts.
Ouais, pourquoi pas. C’est une idée, mais après c’était compliqué. Le problème c’est que, dans les thrillers, plus tu caches de trucs, plus faut les expliquer. A un moment faut que les deux mecs s’assoient comme on est là, et qu’il y en ait un qui dise à l’autre « bon maintenant, tu vas voir… », et ça faut éviter. J’ai été obligé de passer par là, et j’ai mis un flashback pour éviter les dialogues, mais fallait pas que je cache trop de trucs. Ca peut être une piste hein… techniquement, c’est intéressant.

Du coup, la recherche du rythme et du récit par l’image, ça passe par la réalisation, le cadrage et les lumières aussi… Y a un petit passage au début qui évoque un peu une ambiance à la Blade Runner, c’est un hasard ?
C’est un beau compliment pour mon chef-opérateur ! Il s’appelle Alain Duplantier, c’est un génie. Dans toutes les scènes d’action, par exemple dans l’escalator, Gilles se fait pas doubler, c’est super… Quand tu vois ça, y a un mec qui le filme et qui fait la même chose, mais avec une caméra ! On n’y pense pas, c’est tellement bien foutu que tu penses pas à ce mec-là… Alain Duplantier est un dingue, et il fait des trucs que peu de cadreurs accepteraient de faire.

Toi compris ?
Nan. Tu sais, un réalisateur est quelqu’un qui a un ego surdimensionné. Ce que je vais te dire, les réalisateurs le disent rarement : faire un film c’est savoir utiliser pleinement le talent des autres. Moi je vais bosser avec des gens qui vont sublimer les idées que je peux avoir, ou proposer un truc qui va plus loin, et moi je rebondis et je monte encore plus haut. Je prends toujours l’exemple de Karajan, le plus grand chef d’orchestre du monde. Si tu lui mets un minable au piano, et un mec qui sait pas jouer du violon, ça va être tout pourri. Un metteur en scène c’est pareil. Je ne sais pas composer de musique, donc je vais aller chercher un mec qui est le meilleur pour les films d’action parmi les gens avec qui tu peux bosser en France.

Pareil pour le casting, tu ne prends que ce qu’il y a de mieux ?
Je vais te dire : pour espérer faire un film moyen, faut essayer d’avoir la perfection dans tout. Le casting c’est le nerf de la guerre, ce qui donne chair au film. Il faut que tous les comédiens soient bons, même le mec qui ouvre une porte et dit « Hé Bill, McCoy est là ». Si il fait ça comme je viens de te le faire, c’est tout pourri, t’y crois plus. Les dialogues c’est de la musique, et ça s’écoute comme de la musique. Si la musique colle pas…

Vincent Lindon, il chante faux ? A la base, c’est lui qui devait avoir le rôle principal d’A bout portant, non ?
Je me suis rendu compte qu’il faut jamais penser au casting avant d’écrire le film. Au départ je voulais faire le film avec Roschdy Zem dans le rôle de Samuel, l’infirmier, et Vincent Lindon dans le rôle du gangster. Ca n’aurait pas du tout été le même film, et ça n’aurait pas été la bonne idée. Très vite Vincent et moi on l’a su.

Il a vu que le rôle était pas pour lui ?
Ouais, bien sûr. Il m’a dit « moi je suis plus l’autre, l’aide-soignant, mais le problème c’est qu’on va refaire Pour Elle ». C’est ça, on va refaire Vincent Lindon qui essaye de sauver sa femme. Donc on s’est dit « on se retrouve sur un film après ».

Donc on retrouvera Vincent Lindon dans ton prochain film ?
Peut-être. Là je vais faire un thriller qui se passe au Canada, dans la forêt. C’est un type qui rêvait depuis l’enfance d’être bûcheron comme son père. Son père a été tué dans la forêt par quelque chose qui est naturel ou surnaturel, on sait pas, mais c’est pas un accident. Il se retrouve vingt-cinq ans après à aller travailler là où son père est mort, ils sont 10 et ils meurent un par un, tués par la même chose. On saura à la fin qui tue.

C’est du fantastique, de l’horreur, un truc comme ça ?
Tu verras à la fin ! Les américains font ça très bien dans des films comme Les Autres, Le Sixième sens ou Incassable, tu sais pas si c’est fantastique ou pas. On fait plus ça en France, on faisait ça dans les années 50. Tu vois, Marchal a rouvert la porte au thriller, et on peut faire des films policiers. Moi je voudrais, pas rouvrir la porte, j’ai pas cette prétention-là, mais aller sur un type de thriller qu’on fait plus ici, et qui ne soit pas forcément sur fond de film policier.

Don, a priori, tes influences elles seraient plutôt américaines ?
Bien sûr, c’est les films que j’ai vu à la télé quand j’étais môme. Le Samouraï, Le Choix des armes, mais maintenant elles sont surtout dans des films comme Jason Bourne, c’est ça la référence actuelle quand tu fais des scènes d’action urbaine. Quand je fais un film avec monsieur tout le monde, forcément y a aussi La mort aux trousses, de Hitchcock. Après c’est un mélange de plein de trucs… Je dis souvent que mes influences sont entre Claude Sautet et Jason Bourne. C’est aussi large que ça.

Ouais enfin ton personnage est un type normal, alors que Jason Bourne est pratiquement surhumain.
Ouais, bien sûr ! Moi ce que j’aime, c’est que le spectateur ressente physiquement les choses, et qu’on s’identifie.

Et on peut pas s’identifier si le personnage est super fort, c’est ça ?
Ouais voilà. Gilles, tout le monde s’identifie à lui : toutes les nanas ont envie que ça soit leur mec, et tous les mecs aimeraient être comme ça et faire autant pour leur gonzesse. Avec ce film, je voulais de faire un truc presque interactif, tu vois comme un jeu vidéo. C’est-à-dire que à un moment t’es… t’es Lara Croft. Bah Gilles Lellouche est Lara Croft !

Justement. Dans tes deux films, les femmes ont des rôles ultra-passifs, et c’est les mecs qui agissent pour elles pendant qu’elles ont le cul posé sur une chaise, comme des objets. Tu serais pas un peu misogyne sur les bords ?
Bah non c’est pas des objets : j’ai rien inventé, c’est le chevalier qui va sauver la princesse dans le donjon. Elles sont la quête ultime, le Graal. Le mec court pour sauver ce qu’il a de plus cher au monde. C’est marrant que tu me dises ça, je pense pas être misogyne, j’espère pas d’ailleurs. Plein de gens me disent « en fin de compte t’es romantique ! » Le problème c’est que si on me dit « tu vas voir c’est génial c’est un thriller romantique », j’y vais pas, ça fait tout pourri.

Et tu pourrais faire un film d’action avec un personnage principal féminin ?
Mais bien sûr ! Et avec Guillaume Lemans on a commencé à écrire un scénario où les rôles sont inversés, c’est-à-dire que c’est la gonzesse qui doit tout faire pour aller sauver son mec.

Le plus viril du cast, ça reste quand même Gérard Lanvin, même s’il appartient à la génération précédente…
C’est un passage de flambeau. Il vient parce qu’il y a Roschdy et Gilles. C’est super bien qu’il ait accepté, c’était pas évident de lui filer un troisième rôle, et qu’il accepte de faire un rôle qu’il avait jamais fait, c’est-à-dire un vrai enculé. Il est venu 12 jours. C’est un cadeau énorme.
D’ailleurs c’est drôle il dit « Quand Fred m’a proposé le rôle d’un enculé, j’aurais été un con de pas accepter, alors comme je préfère être un enculé qu’un con, j’ai accepté. »

Ca c’est ce que j’appelle une citation.
Ouais, mais après tu peux difficilement dire ça dans ton article parce qu’il faut pas trop déflorer. Tu peux dire effectivement qu’il a un rôle un peu plus sombre que ce qu’il a l’habitude de jouer. Si tu dis que c’est un enculé, ça gâche un peu le truc… spoiler !

Une dernière question… Alain Delon est dans les remerciements du générique de fin. Pourquoi ?
Parce que le personnage de Roschdy Zem s’appelle Sartet, et c’est le nom d’Alain Delon dans Le clan des Siciliens. C’est un hommage au Samouraï. C’est bizarre de donner son nom du Clan des Siciliens à l’hommage au Samouraï, mais pour moi Roschdy Zem incarne une espèce d’image de gangster à la française des années 70, notamment comme Alain Delon dans le Samouraï. Ca m’a permis de lui écrire une lettre. Très sympathique, il m’a téléphoné pour m’autoriser, pour me dire que c’était même un honneur, qu’il avait vachement aimé Pour Elle… Alain Delon te téléphone, tu parles au Samouraï, il te dit « j’aime beaucoup ce que vous faites », ça m’a fait ma journée !

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