Marco Bellocchio

[INTERVIEW] Marco Bellocchio

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Il est indéniable que Marco Bellocchio est l’un des derniers grands maîtres du cinéma italien. Commençant fort avec Les Poings dans les poches (1965), qu’il réalisa à 26 ans, le cinéaste n’a malheureusement pas reçu durant sa carrière la reconnaissance qu’il méritait. Comme avec Vincere, grand oublié du festival de Cannes en 2009. Il était donc temps qu’on lui rende hommage. Chose faite grâce à la Cinémathèque de Paris qui lui accordera une rétrospective du 7 décembre 2016 au 9 janvier 2017. L’occasion rêvée donc de rencontrer le réalisateur de Viol en première page (1972), Le Saut dans le vide (1980), Le Sourire de ma mère (2002), Buongiorno, notte (2003), et bien d’autres encore. D’évoquer avec lui autant son dernier film, Fais de beaux rêves, en salle le 28 décembre, que sa vision du monde, politique comme religieux (thématiques récurrentes dans son cinéma) et de l’époque actuelle.

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Que pensez-vous du cinéma italien aujourd’hui ?

Le cinéma italien traverse un moment de diversité créative. Je ne sais pas si cela se ressent en France, mais en Italie beaucoup de films sont produits, avec de jeunes réalisateurs et des nouveautés techniques. Le problème est qu’il y a moins de salle aujourd’hui, et les films sont de plus en plus nombreux. C’est pourquoi il devient surtout difficile de montrer les films. Mais on ne peut pas parler de crise par rapport à ce qu’était le cinéma dans les années passées.

 

Et d’un point de vue personnel, avez-vous le sentiment que quelque chose a changé dans le cinéma ?

Dans un sens tout a changé. La technique n’est plus la même par rapport à mes débuts, tout était mécanique et lourd. Aujourd’hui il n’y a plus de pellicule par exemple. Mais dans la substance même du cinéma, dans le parcours créatif et l’écriture d’un scénario ça n’a pas changé. C’est l’essence du cinéma qui reste la même, à savoir les règles de la dramaturgie.

 

photo Fais de beaux rêves de Marco Bellocchio
Fais de beaux rêves
Vous avez souvent montré dans vos films des moments précis de l’Histoire italienne. Avec Fais de beaux rêves par exemple cela passe par des détails, principalement par la présence de la télévision.

Il faut d’abord savoir qu’avec Fais de beaux rêves je suis resté fidèle au roman d’origine en évoquant la fin des années 1960, le début des années 1980 et l’époque présente. C’est autour de faits historiques que se noue le récit du personnage de Massimo. Durant son adolescence, à la fin des années 1960 donc, la télévision avait une importante présence au sein des familles italiennes de la petite bourgeoisie. C’est la télévision qui réglait et conditionnait la vie sociale à l’intérieur de la famille. Il y avait des rendez-vous à ne pas manquer et elle était un outil de découverte du monde.

 

Comme Belphégor, que Massimo regarde avec sa mère.

Belphégor avait quelque chose de particulier. Difficile de dire que c’était un rendez-vous pour les jeunes puisqu’il faisait trop peur à l’époque. C’était même le programme le plus effrayant que la télévision pouvait diffuser. Mais c’est resté un personnage gravé dans l’esprit de beaucoup de gens en Italie.

 

photo de Vincere de Marco Bellocchio
Vincere
Votre cinéma a la particularité de suivre des personnages qu’on aurait d’abord tendance à juger. Mais vous restez dans l’observation, à leur côté, sans les critiques frontalement ni prendre leur parti. Je pense notamment à Vincere qui évoque la vie de Mussolini et la montée du fascisme.

Personnellement je peux avoir un jugement sur le délire négatif de Mussolini. Mais ce qui m’intéressait dans Vincere, c’était la relation entre lui et sa maitresse qui était aussi folle que lui. Egalement il y a le fait que lui, au nom d’une raison d’état et pour conserver son pouvoir, il arrive à détruire cette femme en l’enfermant dans un asile de fou. A cet instant, cela devient davantage un discours sur le pouvoir que sur Mussolini. Je ne cherche donc pas à porter un jugement historique sur les catastrophes qu’il a réalisé, mais plutôt à le regarder dans ce contexte, sans faire de justification ni avoir de compassion. Donc je ne dirais pas que j’ai un regard politique.

 

Vous diriez quand même que votre cinéma est engagé ?

Oui en quelque sorte. Mais je ne parle pas directement de politique. Car la politique ne m’intéresse plus. Bien que j’ai conscience des sujets tragiques qui nous entourent, comme l’immigration et la pauvreté, je trouve certains jeunes cinéastes beaucoup plus sensibles que moi sur ces thèmes.

 

Il y a souvent un regard politique dans le cinéma italien.

C’est étrange, souvent on me demande ce qu’est le cinéma politique italien. Comme si le genre existait. Alors que non. Des réalisateurs comme Francesco Rosi ou Pietro Germi parlent de la société civile. Mais avec pour différence qu’ils établissent une limite entre leur cinéma et ce que fait aujourd’hui la télévision. A savoir une capacité désormais d’intervenir plus vite dans les problèmes de l’Italie et du monde. Le cinéma a seulement la possibilité de réfléchir, d’approfondir les choses. Le cinéma social et politique est donc aujourd’hui un cinéma presque disparu.

 

Marco Bellocchio et Maya Sansa sur le tournage de Buongiorno, notte
Marco Bellocchio et Maya Sansa sur le tournage de Buongiorno, notte
Comme je l’évoquais avec Mussolini dans Vincere, il y a d’autres éléments de l’Histoire italienne que vous avez représenté. Comme les Brigades rouges dans Buongiorno, notte.

J’ai réalisé Buongiorno, notte durant les années 2000, et cela raconte une tragédie qui s’est déroulée 25 ans avant. Il était pour moi important de personnaliser ce récit, et de prendre certaines libertés par rapport à des personnages et des comportements qui n’étaient pas vraiment ceux des terroristes. Donc il ne s’agit pas uniquement de parler des Brigades rouges, mais plutôt de décrire et de représenter une déshumanité au nom d’une idéologie. Ici le fait de tuer un homme parce qu’il représente une idée.

 

affiche Le sourire de ma mère de Marco BellocchioLa folie est également une thématique très présente dans votre cinéma, à différents niveaux.

Dans Les Poings dans les poches, le personnage principal est un rebelle mais aussi un fou. C’est un garçon qui veut conquérir le pouvoir au sein de la famille. A la fin, il tombe dans un triomphe délirant. Il s’agit donc d’une folie qui porte à la destruction. Ce qui a aussi été souligné dans Le sourire de ma mère. Cet autre film est un peu la succession de l’histoire des Poings dans les poches puisqu’il s’agit d’un homme qui veut se séparer de son passé et retrouve son frère qui, pour avoir tué sa mère, est dans un hôpital psychiatrique. Avec ces films j’étais dans la déclaration ouverte de la folie, sans aucun regard romantique comme on pourrait avoir lorsqu’on traite des artistes fous par exemple. Mais un artiste ne l’est pas grâce à sa folie, uniquement malgré.

 

C’est intéressant de comparer votre premier film et le dernier, Fais de beaux rêves. On vous sent, plus en paix.

(il sourit) Plus en paix, non. Forcément avec ce premier film j’évoquais notamment le nazisme au travers de la conquête du pouvoir du jeune homme. Et c’était une rébellion contre le catholicisme aveugle de la mère. Je montrais une déshumanité totale. Dans Fais de beaux rêves il s’agit d’un homme qui a perdu sa mère dans sa jeunesse et essaie de survivre. Il n’est pas un révolutionnaire mais essaie de trouver une manière de défendre ses sentiments. Pour survivre à cette tragédie de son enfance il s’est renfermé dans une névrose. Donc on peut dire que je suis passé au fil des ans du trainement de la psychose, via Alessandro, à celui de la névrose, via Massimo.

 

Je parlais de paix également par rapport à votre regard sur la religion que vous avez souvent attaquée. Est-ce vous ou la religion qui a changé ?

Je ne suis pas croyant, mais je vois que la religion catholique a changé, dans sa politique sociale à travers le Pape. Elle a actuellement une cohérence dans son rapport à l’Evangile et sa volonté d’aider les pauvres. Il est donc normal qu’on soit loin des rapports à l’église qu’il y avait dans les années 1960 et 1970. Je me souviens à l’époque de cette phrase : « c’est la charité qui tue ».

 

Et quand est-il de votre opinion politique ? Vous avez un temps fait partie du groupe maoïste, l’Union des communistes italiens.

Je ne crois pas qu’aucun mouvement puisse me représenter désormais. Car si vous prenez les gouvernements, ils ont toujours des attitudes contradictoires car ils sont dans la peur de perdre des votes. Quand ils parlent de l’immigration, les gouvernements diront par exemple qu’il faut les mettre dehors ou les garder, mais sans aucune idée derrière, uniquement pour plaire aux électeurs. Alors que l’église, même si en prônant la charité chrétienne elle ne résout pas les problèmes, elle reste cohérente avec ses principes.

 

Après plus de vingt-cinq films et cinquante ans de carrière, où trouver vous la motivation pour faire vos films ?

Il y a toujours des choses qui m’intéressent. Des idées personnelles, mais également des choses qu’on me propose. Donc j’ai toujours cette envie de raconter des histoires. Mais si un jour je me rends compte que je n’ai plus cet enthousiasme, alors j’arrêterai.

A la vue de Fais de beaux rêves, espérons que cela n’arrive pas dans l’immédiat…

Propos recueillis le 23 novembre 2016 par Pierre Siclier

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