Pedro Almodóvar

Portrait de Pedro Almodóvar

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À l’occasion de la rétrospective du réalisateur Pedro Almodóvar, à partir du 19 juin 2019, il nous semblait primordial de s’attarder sur le personnage.

On est, de manière générale, plutôt partisans de l’empathie envers un auteur à travers la connaissance exhaustive de sa filmo. Non seulement cela permet de définir les motifs de son oeuvre, mais cela donne également un éclairage particulier à chacune de ses réalisations, lorsque re-contextualisées. On s’est donc lancés dans le visionnage de l’oeuvre d’Almodóvar, un réalisateur que par le passé, nous catégorisions assez  sommairement comme le « cador du cinéma gay et provoc, par un cinéaste de femmes »… Bon.

MAIS, très vite, on s’est rendus compte que cet auteur était bien plus que cette réductrice étiquette.

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Comme le disait Pierre dans son papier sur le sujet, l’identité sexuelle est une thématique rarement traitée avec naturel au cinéma, car trop souvent érigée en porte étendard, ou marginalisée. Mais chez Almodóvar, que l’on soit hétérosexuel, plurisexuel, transexuel, travesti, bisexuel, homosexuel, ou même prédateur sexuel… La sexualité d’un personnage est souvent un élément tout à fait fonctionnel du récit qui permet d’ouvrir d’autres horizons émotionnels, jusque là relativement inédits; au delà du classique ♂ + ♀ Almodóvar explore les ♂ + ♂, ♂ + ♀ + ♂,  ♀♂ + ♂ et autres.
Plus intéressant encore, Almodóvar insère tout naturellement cette question identitaire comme catalyseur scénaristique de ses intrigues, au même titre que les émotions, ou les actes de ses personnages. Sachant que ses genres de prédilection sont le polar, le thriller et le mélodrame, il rajoute ainsi une composante très stimulante au décryptage de ce mystère inhérent à son cinéma. Mêler divertissement pur et sujet de société permit ainsi à l’auteur, de passer du statut d’auteur confidentiel à auteur populaire.

Mine de rien, en fonctionnant ainsi, Almodóvar milite pour l’évolution des mentalités en banalisant diverses facettes de la sexualité, ce qui se voit clairement dans de nombreux films de son oeuvre, à partir de Matador. Un geste politique fort dans un contexte (fin des années 80) ou le SIDA et la considération collective de l’homosexualité comme une déviance psychologique, en faisaient un sujet tabou et propice à l’exclusion sociale. Le cinéaste se faisait ainsi la voix de toute une communauté, justement parce que son cinéma ne réfléchissait jamais cette question de l’identité sexuelle en termes communautaires mais plutôt, sans vulgarité ni jugement ou marginalisation, en termes d’êtres émotionnels, et de personnages de cinéma.

On aime à penser que notre ouverture d’esprit sur le sujet est intimement liée à son oeuvre. 

Puisque la relation sexuelle est moins caractérisée, en découle une définition particulière de la relation amoureuse dans le cinéma d’Almodóvar. Et par extension, une définition des Hommes et Femmes qui lui est propre.

D’abord, Elles. Chez Almodóvar, qu’elles soient mères, femmes, sœurs, filles, indépendantes, dominatrices, adulescentes, névrosées… Les Femmes sont toujours définies par leurs rapports aux hommes. Un rapport qui peut prendre plusieurs formes: sentimentale, physique, professionnelle, artistique ou autre; c’est ce rapport aux hommes qui est source de secrets plus ou moins traumatisants, dont la somme conditionne le présent. Pour nous immerger dans la complexité de ces femmes, Almodóvar filme leur beauté, leur sensualité, leur volubilité, leurs regards, sourires & gestes, leur intelligence, leurs sensibilités,  leurs fluctuations émotionnelles. C’est d’ailleurs cette attention et cette patience vis à vis des détails qui confère à l’auteur sa réputation de cinéaste de femmes.
Pourtant paradoxalement, le cinéaste porte le même amour aux Hommes… La différence étant qu’il les maintient généralement dans le hors-champ, leur conférant ainsi une aura particulière, très fantasmagorique. Par sa caméra et son écriture, Almodóvar les éloigne de cette virilité et de cette propension à la domination (émotionnelle, physique, intellectuelle) sensée les caractériser, pour mieux en faire des catalyseurs de drame, d’obscurs objets du désir.

Si la majorité de son cinéma est donc centré sur les multiples facettes de la figure féminine, ses films plus « masculins » prennent une dimension tout autre. La Mala Educacion, La Loi du Désir, Parle avec Elle ou … La Piel que Habito, sont également sensibles, mais plus politiques et personnels, plus bruts et sensuels, plus dérangeants et pervers – tout en racontant de bien plus fortes histoires d’amour.

Quant aux relations entre les personnages, qu’il s’agisse d’amour, d’amitié ou de sexe… le DÉSIR (ou son absence) est ce qui les régit.
Parfois, Almodóvar en fait le sujet du film (La Loi du Désir, Matador, En Chair et en os, les films les plus CALIENTE du cinéaste), parfois il le maintient hors-champ, rendant son impact d’autant plus puissant (La Fleur de mon Secret). Parfois encore, les personnages s’en servent comme une arme ou une défense, pour manipuler l’autre. Ou, il peut simplement être la composante normale d’un amour simple et sincère. En tous cas, il conditionne très souvent l’intrigue, et les actions des personnages.

Photo du film EN CHAIR ET EN OS

Ce qui amène logiquement à un autre trait de génie d’Almodóvar, son écriture. À partir de Matador, il y a une véritable évolution de ce coté: Almodóvar recherche moins la réalité d’une vie Madrilène (toutefois très présente et fascinante), qu’inscrire une ample dramaturgie multi-pistes à l’intérieur du film de genre.

Ses films sont plus ou moins construits de la même façon : la majorité des personnages est doublement définie : par son présent – ce que nous savons, ainsi que par ses secrets – ce que nous devons comprendre.  Le présent est conditionné par un événement tragique choisi par Almodóvar. Un accident, un meurtre, une tromperie, une disparition, une séparation, etc.
Puis, le retour dans le passé permettra de recomposer, indice par indice, les rôles de chacun, et l’importance des relations entre personnages. Certains indices comme les traumatismes d’enfances, sont récurrents de films en films. D’autres comme l’amour ou l’amitié, sont extrêmement versatiles… Mais le plus souvent, ces indices sont des détails aux interprétations multiples. Une photo déchirée, une nouvelle coupe de cheveux, un regard fuyant, une remarque anodine (qui ne l’est pas bien sur), un objet au mauvais endroit… Tout est important. Protagonistes comme personnages secondaires participent TOUS à la construction d’un mystère scénaristique emmené vers une résolution logique, mais souvent émotionnelle et parfois même psychologique. Sans heurts, ni facilités ou raccourcis.

Le scénario se situe ainsi, pile dans cet intervalle entre l’indicible et le certain… Ce qui peut tendre à une exposition et a une conclusion particulièrement expéditives dans ses films. Chez Almodóvar, Le chemin est beaucoup plus important que la destination.

Cette base ensuite, est sujette à de multiples variations correspondant à autant de films d’Almodóvar.

Un film de l’auteur peut être plus ou moins éclaté temporellement, ce qui permet de travailler sur la longueur les idées de déterminisme (affectif, génétique ou social). À cet effet, les ellipses sont fantastiquement stimulantes chez Almodóvar, puisqu’elles cachent secrets et non-dits. Chance et coïncidences déterminent à l’inverse, les films se déroulant en « temps réel », tout en conservant l’imbroglio de pistes narratives.
Puis, le genre. Le polar, le mélodrame, la comédie. Et dans ces genres, il y a souvent une plongée quasi-ethnologique dans un univers artistique: le cinéma, l’édition ou la création littéraire, les Matador, la danse, etc. Parfois même, l’auteur utilise ces œuvres qui l’ont influencé, comme point de départ de son film. C’est le cas dans La Piel que Habito (Les Yeux sans visage) ou dans Tout sur Ma Mère (Opening Night). Le récit peut comporter plus ou moins de personnages, de femmes (généralement), ou d’hommes. Donc plus ou moins d’intrigues sentimentales. Plus ou moins de connexions sexuelles entre les personnages. Plus ou moins de tragédie. Le plus stimulant, reste lorsque Almodóvar prend en compte les repères qu’il a consciemment placés dans sa filmographie, et les déconstruit pour mieux les redéfinir.

Puis comme nous l’avons dit, le récit est centré sur des femmes. Si l’on pouvait penser dans un premier temps à un cinéma autobiographique cherchant dans le vécu et une certaine nostalgie, une définition de la femme (comme chez Scorsese encore), en réalité Almodóvar va beaucoup plus loin. L’auteur est devenu une sorte d’anthropologue de la Femme, et nous fait part des résultats de ses recherches à travers des scénarios alambiqués dont l’un des buts, au delà du pur divertissement, est de permettre à ces femmes de rentrer en phase d’introspection. Cela permet de mettre en perspective de nombreux motifs, parfois communs (la mère, la femme, la maîtresse, l’importance de la famille), parfois plus intimes (le rapport au sexe, à la carrière professionnelle, au rôle supposé et au rôle aspiré). Et encore plus spécifique, cela lui permet de traiter de sujets carrément tabous.

En 2016, il est clairement devenu routinier que son cinéma parle d’identité sexuelle et/ou de ses déviances (inceste, pédophilie, viols…). Mais il serait dommage d’oublier que l’auteur sait aussi nous parler de choses moins tape-à-l’œil, mais tout aussi fascinantes. L’instinct maternel, la frigidité, le déterminisme sentimental, la folie confrontée à la parentalité… Exemples de thèmes qu’Almodóvar intègre pleinement à son récit comme catalyseurs de suspense et d’émotion.

Quelques actrices-muses et leur aptitude à l’ambivalence sur de nombreux registres, sont ainsi les porte paroles des obsessions d’Almodóvar. 

La caméléone Carmen Maura a joué les personnages les plus variés et surprenants d’Almodóvar; l’ambiguë Victoria Abril est le lien idéal entre thriller sensuel et mélodrame psychologique; la versatile Marisa Paredes, rappelle volontairement Gena Rowlands (ce qui EST une définition en soi), tandis que la voluptueuse Penelope Cruz, par sa présence, donne encore plus d’importance à l’absence des hommes. Même Rossy de Palma toujours castée dans de minuscules rôles capitaux, est une signature de l’auteur.

Les hommes ne sont bien sur pas en reste, même s’ils sont plus rares et moins mis en avant. Toutefois Antonio Banderas sera peut-être le plus remarquable d’entre eux puisque revenant souvent en premier rôle; un miroir de Victoria Abril en termes d’ambiguïté, mais également à cause de cette sensualité qui ne se laisse jamais dompter. Javier Bardem (et sa bestialité délicate), Eusebio Poncela, Gael Garcia Bernal, ou encore Javier Camara auront également eu l’occasion de nous bluffer par leurs sensibilités, dans leur film respectif.

La carrière de nombre de ces actrices et acteurs ne serait pas aussi fructueuse sans les personnages iconiques qu’ils ont interprétés pour Almodóvar.

Maria Barranco, Rossy de Palma, Julieta Serrano et Carmen Maura

Un mot sur la réalisation; chez Almodóvar, c’est surtout une question de mise en scène – ou plutôt de théâtralité.

Comme son grand idole Cassavetes, Almodo sait occuper l’espace par la présence de ses acteurs. En huis-clos parfois, mais aussi et surtout dans ces lieux admirablement choisis pour être propices à l’introspection (une maison près de la mer, une chambre d’hôpital, la Scène, une salle de bain…)
Parfois pourtant, comme dans Matador, Attache moi !, Tout sur ma mère ou Parle avec Elle, la réalisation se fait ostentatoire, audacieuse et plurielle pour mieux surligner les émotions des personnages. Une corrida tragique, un tournage, un regard décisif, ou même un « viol d’amour » peuvent se voir transcendés par une audace formelle hors-sujet mais particulièrement jouissive. Le reste du temps, la réalisation se fait sobre et élégante pour laisser place entière au récit et aux personnages. Un critère plutôt fluctuant qui n’a qu’une incidence relative sur notre perception du cinéma d’Almodóvar.

Toutes ces choses interagissent dans chaque film, et constituent la fameuse sensibilité Almodovar-ienne… Mais il y a CE film, que l’on pourrait considérer comme « somme  » des obsessions de son auteur: Tout sur ma mère.
Si réalisation et scénario sont déjà exceptionnels, c’est sur un terrain plus personnel que le film donne des clés de décryptage fascinantes de l’auteur. Le film est ainsi le paroxysme des réflexions sur la Femme, les questions identitaires (sexuelles ou affectives) sur l’Amour, sur l’Art, sur l’héritage et la transmission. Il marque également un net virage émotionnel dans son cinéma, avec une conscience plus accrue du spectateur, mais aussi une implication plus personnelle de sa part, en tant qu’auteur. Puis rien que le fait de construire son film sur une base similaire à celle d’Opening Night, avant de se réapproprier intégralement ce matériau pour le transcender, en dit long sur les influences et aspirations artistiques d’Almodóvar, mais aussi sur l’importance du medium artistique comme catharsis.
Tout sur ma mère n’est pas un film facile à appréhender puisqu’il repose sur énormément de choses précédemment traitées, mais il est dans la somme la plus totale de ces choses, sans doute le film le plus riche de l’auteur. Son masterpiece, son Love Streams.

Pour conclure, nous dirons qu’Almodovar est l’un de ces auteurs inestimables pour le septième art.

Pour autant qu’il soit influencé par d’immenses auteurs (Sirk, Cassavetes, Capra, Sautet…), son cinéma trouve sa singularité dans le traitement très fusionnel du cinéma de genre et des obsessions personnelles. Femmes (et hommes), tabous, désir, psychologie, questions identitaires, désir, polar, drame et mélodrame, intrigues alambiquées et Art, font souvent bon ménage dans ses films, entraînant un résultat souvent unique.

Chaque film est un peu une interaction de tous ces éléments, mais c’est dans l’association la plus pertinente de ces motifs que l’on reconnaît les masterpieces de l’auteur, comme Matador, Parle avec Elle, La Fleur de mon secret ou évidemment… Tout sur ma mère.

Filmographie

1980 : Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier (Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón)
1982 : Le Labyrinthe des passions (Laberinto de pasiones)
1983 : Dans les ténèbres (Entre tinieblas)
1984 : Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? (¿Qué he hecho yo para merecer esto?)
1985 : Matador
1986 : La Loi du désir (La ley del deseo)
1988 : Femmes au bord de la crise de nerfs (Mujeres al borde de un ataque de nervios)
1989 : Attache-moi ! (¡Átame!)
1991 : Talons aiguilles (Tacones lejanos)
1993 : Kika
1995 : La Fleur de mon secret (La flor de mi secreto)
1997 : En chair et en os (Carne trémula)
1999 : Tout sur ma mère (Todo sobre mi madre)
2002 : Parle avec elle (Hable con ella)
2004 : La Mauvaise Éducation (La mala educación)
2006 : Volver
2009 : Étreintes brisées (Los abrazos rotos)
2011 : La piel que habito
2013 : Les Amants passagers (Los amantes pasajeros)
2016 : Julieta
2019 : Douleur et Gloire (Dolor y gloria)

Georgeslechameau

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  1. Parfois décrié, parfois adulé, Almodovar ne laissait pas indifférent.
    Julieta a marqué une sorte de retour vers le conformisme et le formalisme, déstabilisant son public habituel sans pour autant conquérir ceux qui ne trouvaient pas leur compte dans ses film précédents.