Julien Richard-Thomson
photo : Basile Marceau

[INTERVIEW] JULIEN RICHARD-THOMSON

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Dans le cinéma, le parcours d’un réalisateur peut être mouvementé, surtout si ce dernier a choisi l’itinéraire bis, où plutôt l’itinéraire « cinéma bis ». Retour sur la tumultueuse carrière de Julien Richard-Thomson, porte-drapeau de la pensée « Do it yourself », devenu culte depuis ses séries Z potaches des années 90.

Vous n’aviez pas vingt ans que vous tourniez déjà des long-métrages, vous êtes pour ainsi dire un enfant de l’image.

Oui, j’ai tenu pour la première fois une caméra à l’âge de neuf ans ; à l’époque c’était la petite super 8 de mes parents et il faut croire que j’y ai vite pris goût. J’ai réalisé une quarantaine de court-métrages en super 8, puis en super 16 en améliorant ma technique au fil des années; et pendant mes études, je suis passé au long-métrages sur support vidéo. Par cette démarche, je voulais montrer que la démocratisation de la vidéo et des moyens techniques pouvait permettre aux débrouillards et aux déterminés de faire des films, faire leur cinéma. La qualité de l’image et du son n’étaient pas géniales, pas vraiment de niveau professionnel, mais mes films reflétaient l’énergie d’un passionné d’à peine vingt ans.

JURASSIC TRASH, TIME DEMON, des titres qui fleurent bon le genre et le bis.

Oui, on avait des budgets entre 1500 et 5000 euros, pour ainsi dire rien. J’avais créé une association loi 1901 pour produire ces films, c’est d’ailleurs un bon moyen pour tourner de manière indépendante quand on n’a pas accès aux financements commerciaux. Mais ces films étaient parrainés par Jean-Pierre Putters, qui à l’époque était le rédacteur-en-chef de Mad Movies, et ça apportait un peu de souffle aux projets. Du coup, des journalistes comme Damien Granger ou Christophe Lemaire venaient jouer des petits rôles marrants, de nazis ou de savants fous. Ce côté film de potes un peu foutraque, ça participe au charme de la série B, mais ça vous apprend également à devoir faire beaucoup avec peu. Je me souviens par exemple que sur Time Demon, nous tournions à trente kilomètres de Paris dans une usine désaffectée et que par conséquent, on devait se déplacer tous les matins en RER avec le matériel dans nos sac-à-dos. Quand on arrivait sur place, toute l’équipe était déjà crevée !

Julien Richard-Thomson
Jurassic Trash © Jaguarundi Films
Mais tout le monde ne voyait pas le cinéma de genre du même œil que l’équipe de Mad Movies ?

Non, en effet, aujourd’hui je pense qu’un jeune passionné qui se lance dans un projet « Do it yourself » n’est pas forcement mal considéré par les professionnels comme par le public. À l’époque, j’ai vraiment senti une incompréhension de la part de certains; ils s’imaginaient que je n’étais qu’un amateur qui faisait n’importe quoi, voire un vieux ringard nostalgique du cinéma de quartier, alors qu’en vérité je profitais de ces tournages pour me faire la main. D’autres m’ont même considéré comme un extrémiste, un cinéaste provocateur et prétentieux avide de gore, flirtant dangereusement avec le cinéma underground, tout ça parce qu’on avait engagé d’ex-vedettes du X pour le buzz,  et que,  je l’admets, la qualité de la vidéo évoquait le X amateur qui apparaissait à la même époque. Si ces spectateurs ne s’étaient pas contentés d’extrapoler à partir de trois images et qu’ils avaient vraiment vu mes films, ils se seraient rendus compte qu’il s’agissait de films parodiques bon enfant, avec au pire deux effusions de sang et trois plans topless.

Au-delà des étiquettes «bis », « série B ou Z », cette incompréhension de la part du métier ne venait-elle pas du fait que vous déclariez ouvertement avec ces films, votre envie de faire du fantastique ?

Très certainement. Après cette période des années 90, je n’ai jamais eu la chance d’accéder à l’étape supérieure, c’est-à-dire de disposer de véritables budgets de professionnels. J’ai clairement senti que j’étais ostracisé par les décideurs à cause de mon goût pour les genres cinématographiques. J’ai voulu défendre un cinéma de l’imaginaire mais ce domaine était alors considéré comme puéril en France ; on estimait que le recours au fantastique dans un récit relevait d’une faiblesse d’écriture, comme une facilité née de l’esprit d’un gamin qui s’imagine des histoires dans son coin. Je pense qu’un immense malentendu a perduré pendant des années entre des scénaristes comme moi et les investisseurs qui pensaient qu’il n’y avait pas de discours sur la réalité, sur les problèmes du quotidien dans nos histoires. Pourtant le fantastique permet de jouer sur des thèmes universels et intemporels, auxquels est juxtaposé ou superposé un élément dissonant, surnaturel. Dans mes scénarios de SF ou d’anticipation, en réalité j’évoque les problématiques de notre société contemporaine; le « genre » peut être un excellent moyen d’aborder des sujets sociaux ou économiques. 

Jusqu’ici j’avais l’impression que le problème venait du fait que le métier se résumait à un microcosme de personnes pas forcement curieuses et audacieuses, mais j’ai l’impression que les choses sont en train de changer et je sens un frémissement dans le cinéma de genre français. Les générations se renouvellent chez les producteurs; j’observe que les colloques, les réunions et les directives du CNC concernant le cinéma de genre se multiplient. C’est déjà un début.

Julien Richard-Thomson
Bloody Flowers © Jaguarundi Films
N’y a-t-il pas tout simplement dans l’imaginaire collectif, une difficulté à projeter des récits fantastiques dans le décor français ?

C’est justement avec des a priori comme celui-ci que les scénaristes brident leur créativité et ne s’autorisent pas à écrire du fantastique. J’ai conscience que le charme du cinéma de genre vient en partie du dépaysement qu’il propose au public, moi-même j’aurais du mal à entrer totalement dans un récit surnaturel s’il était tourné au coin de ma rue. Mais la France possède des décors et des ambiances très diverses dans lesquelles on peut laisser son imagination divaguer, que ça soit dans un milieu rural comme au cœur d’une grande ville. Par exemple, j’ai écrit tout un scénario dont l’action se déroule dans le port de Marseille; je m’asseyais dans un coin et regardais les dockers travailler pendant des heures tout en prenant des notes, à la fin j’avais élaboré tout un film d’infectés. Même constat pour Paris qui n’a jamais vraiment trouvé sa place dans le cinéma de genre français. Au lieu d’en effacer l’identité pour écrire une histoire qui aurait tout aussi bien pu se dérouler à Londres ou New York, ou quelconque métropole, j’ai écrit un film à sketches où chaque segment évoque un cliché associé à Paris : la mode, le métro, la gastronomie, etc…

Vous pensez que des institutions comme le CNC doivent évoluer afin de mieux promouvoir la diversité des genres ?

Selon moi, la première mesure que le CNC devrait mettre en place serait d’ouvrir les jurys des aides sélectives (avances sur recettes, etc) à un quota de spectateurs, non professionnels, tirés au sort parmi une liste de volontaires. Cela permettrait certainement d’élargir la palette des genres soutenus, et ce serait de toute façon un juste retour par rapport aux spectateurs qui financent largement le CNC, à travers une taxe sur le prix des billets. Ce principe pourrait aussi s’appliquer dans les jurys des Régions qui attribuent des subventions.

Je pense également qu’il faut faciliter la diffusion des films afin qu’ils puissent mieux rencontrer leur public. Aujourd’hui, la plupart des films restent très peu de temps à l’affiche, on devrait donc envisager de faciliter les autres modes de diffusion et notamment la VOD légale, qui peine à se développer en France. La chronologie des médias devrait être revue, en portant à 2 mois le délai minimum légal entre la sortie salles et la VOD. De ce fait, la publicité faite autour du film à sa sortie pourrait être plus efficace; les gens qui auront raté l’exploitation en salles limitée voire confidentielle d’un film, pourront rapidement profiter du film sur internet dans de bonnes conditions.
Et puisqu’on parle de VOD, je pense qu’il faut développer les aides au e-cinéma. Il existe tout un circuit de productions à petits budgets, notamment dans le cinéma de genre, qui n’a pas accès à une exploitation en salles. Il serait donc plus juste d’encourager le développement de ce mode de diffusion qui peut représenter une vraie opportunité pour la production indépendante.

Julien Richard-Thomson
Korruption © J.R Thomson
Et vous, comment avez-vous évolué depuis vos débuts de cinéaste ?

Il y a vingt cinq-ans, j’assumais un ton potache dans mes films parodiques, je voulais rendre ouvertement hommage aux différents aspects du cinéma d’exploitation. Aujourd’hui mes envies de scénariste et de réalisateur ont évolué au-delà de ce simple exercice de style référentiel. Au-delà du cinéma fantastique, j’ai appris au fil des années à diversifier mes influences, et à les puiser dans divers médias comme la bande-dessinée ou la série TV. Je suis toujours intéressé par les prises de risques dans le ton et le rythme de la narration, dans ce domaine la série Fargo m’a fasciné par exemple. Sinon, quand je ne suis pas devant un livre ou un écran, c’est que je déambule dans le Palais de Tokyo, j’adore cet endroit car les installations d’art contemporain éveillent mes sens autant que mon esprit. D’une ambiance, d’une impression, d’une expérience sensorielle provoquées par cet endroit naissent souvent les points de départ de mes scénarios.

Après vingt ans de tentatives, vous continuez encore à écrire, à tourner et à proposer vos idées à des producteurs ?

Oui, je garde dans un coin de ma tête l’idée de tourner à nouveau avec un budget très restreint, car depuis mes années « vidéo » les choses ont beaucoup changé, et même sans argent, on a au moins à disposition aujourd’hui une qualité d’image et de son convenable. On peut également profiter des avantages du crowdfunding de nos jours, et j’avais d’ailleurs lancer un projet grâce à ce type de financement en 2014 intitulé Korruption. J’avais même commencé à tourner cette comédie noire, quand une campagne de diffamation lancée par des groupes de droite extrême, s’est répandue dans la presse. Mes détracteurs m’ont accusé de faire un porno clandestin dans l’Hôtel de ville d’Asnières ! Du grand n’importe quoi ! Le tournage a été brusquement interrompu et je n’ai jamais pu terminer mon film; alors forcement à présent, je suis échaudé et je peux pas me lancer dans le premier projet crowdfunding qui me viendrait à l’esprit.

Par ailleurs, je continue à écrire et à proposer des scénarios en tentant différents genres et surtout différentes façons d’approcher les producteurs. En ce moment, je développe deux idées d’adaptations, une littéraire, l’autre venue de la culture TV des années 90. Je n’en dis pas plus, sinon qu’il faut parfois s’adosser à une renommée et un potentiel pré-existants pour donner une résonance à son propre travail.

Propos recueillis par Arkham

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