UN MARIAGE
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[CRITIQUE] UN MARIAGE (1978)

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UN MARIAGE
UN MARIAGE (A Wedding)
• Sortie : 6 juillet 2016
• Réalisation : Robert Altman
• Acteurs principaux : Vittorio Gassman, Lilian Gish, Mia Farrow
• Durée : 2h05min
7

UN MARIAGE (1978) a été chroniqué par Antoine dans le cadre de la rubrique Réflexions Poétiques.

Parmi les grands cinéastes américains du Nouvel Hollywood, Robert Altman, à l’instar d’un Arthur Penn (Le Gaucher, Bonnie and Clyde), a débuté sa carrière à la télévision avant de se lancer dans ses célèbres, mais néanmoins « monstrueux », films choraux (Short Cuts, Nashville, The Player, etc.). Chez lui, le terme de « film-monstre » désigne avant tout l’ambition, mais aussi parfois la démesure, que son cinéma offre ou, disons-le franchement, « inflige » à son spectateur. Effectivement, tout dans son œuvre semble se construire autour de son rapport au contrôle, à l’aspect démiurgique de sa mise en scène. Lorsqu’on s’attarde sur ses films les plus mémorables, on est davantage fasciné par leur structure brillante que par une harmonieuse composition formelle du cadre ; ou encore par cette minutie de l’orchestration qui, à elle seule, semble capable d’agencer une multitude de protagonistes aux caractères bien trempés et aux désirs pas si enfouis. Le tout placé dans des huis-clos paradoxalement conventionnels. À l’évidence ce besoin de contrôle, il l’a acquis de par son expérience à la télévision, capable, dès lors, de jouer sur les niveaux narratifs de récits fleuves, sur l’empilement des points de vue… L’ensemble relevant davantage de la scénographie chorégraphiée ou bien improvisée que d’un découpage hollywoodien classique. À partir de ces structures « monstres » – dont Paul Thomas Anderson ou Lars Von Trier seraient de plus ou moins lointains héritiers – c’est la liberté d’improvisation laissée aux comédiens qui crée le chaos émanant de films aux tonalités atmosphériques. Rapidement harassant, voire éreintant pour le spectateur, ses films provoquent généralement un malaise génial. Et c’est bien dans ce décalage, véritable défi imposé au spectateur, que la satire se développe et que s’enclenche la vision unique d’Altman sur la représentation des rites et des mythes américains comme c’est le cas ici avec UN MARIAGE, dont le titre revendique pleinement son universalité. En outre, on notera l’importance de la partition de John Hotchkis qui, de Brahms à Léonard Cohen, revisite le patrimoine culturel en le détournant de ces usages et de ces conventions.

Photo du film UN MARIAGE

Finalement, il n’y a rien de facile ou d’accessible de prime abord dans UN MARIAGE, la critique n’est jamais moralisatrice, elle s’affiche pleinement de but en blanc, comme miroir déformant d’une Amérique bordélique, déchue de ses valeurs séculaires et dorénavant anachroniques. Elle se façonne autour de situations inconfortables à l’humour absurde et grinçant : chaque gros plan incarne alors une forme de décadence, tant physique que morale, des individus présents à l’écran ; elle prend ostensiblement des allures grandiloquentes aux traits grossiers afin de souligner l’aberrante réalité qui se joue au cœur du drame : tout ici n’est qu’illusion et apparence, secrets et mensonges. C’est pourtant dans le cadre de l’intime, de la chronique sociale qu’Altman parvient à maintenir sa critique dans une direction bien précise, moins orientée sur les personnes que sur le couple infernal que sont le médium et les médias. À ce titre, lorsque le cinéaste s’attache à dépeindre un mariage traditionnel entre une famille italo-américaine et italo-irlandaise, Altman y associe à son étude sociologique un peu brouillonne, car extrêmement généreuse (il y a effectivement un trop pleins de personnages « monstrueux » dans cette immense demeure), une véritable réflexion sur le spectacle cinématographique, sur ses outils sophistiqués et ses moyens pervers, en particulier autour de la notion de durée et de leur incroyable conception sonore – sorte de capharnaüm harmonieux et dansant où personnes ne s’écoutent vraiment parler. Chaque situations-limites est ainsi poussées à l’extrême ; les mini-tragédies s’enchaînent et s’entrecroisent offrant un certain nombre d’horizons inattendus à des protagonistes dont les incessants déplacements dessinent de nouvelles perspectives dans des lieux pour le coup toujours aussi attendus.

« Face à de chaotiques et feuilletonesques intrigues, c’est belle et bien la structure qui se charge de l’harmonie formelle qui se doit alors de délivrer sa vérité sur la nature humaine, parodiant ainsi notre bassesse d’esprit face aux représentations les plus institutionnalisées. »

D’un film à l’autre, Altman n’a finalement cessé de brouiller les cartes de son art, de s’affranchir de toute thématique redondante, de pratiquer les genres cinématographiques en s’écartant de toute définition arbitraire, qu’elle soit plastique ou thématique, tout en travaillant avec les plus grandes légendes du cinéma mondial (UN MARIAGE a par certains aspects tout l’air d’un musée cinématographique : Vittorio Gassman, Géraldine Chaplin, Mia Farrow, Lilian Gish, etc.). Cinéaste iconoclaste et provocateur, son œuvre reste pour le plus grand nombre moins identifiable que celle d’un Scorsese ou d’un De Palma. Face à de chaotiques et feuilletonesques intrigues, c’est belle et bien la structure qui se charge de l’harmonie formelle qui se doit alors de délivrer sa vérité sur la nature humaine parodiant ainsi notre bassesse d’esprit face aux représentations les plus institutionnalisées. Ses films choraux – sorte d’anomalie entre le « documenteur » et le happening – captent une énergie folle qui reflète chez le cinéaste une rage inouïe dont le but est de conserver à tous prix cette liberté de pensée le monde et de faire du cinéma. Bien que tous ses films ne soient pas des chefs d’œuvres, loin de là, chacun a néanmoins su traduire un sentiment propre de son époque : des comportements humains aux pratiques idéologiques, des mythes à leurs représentations absurdes, etc. L’œuvre d’Altman est pour ainsi dire « géniale » car elle n’est assujettie à aucun courant ; elle ne délivre aucun message politique ; elle s’efforce seulement de révéler l’homme, aussi absurde et grotesque qu’il puise nous apparaître, sans complaisance ni condescendance.

Antoine Gaudé

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