Rogue Nation

ON REFAIT LA SCÈNE N°22 : La scène de l’Opéra dans MISSION IMPOSSIBLE – ROGUE NATION

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« Il n’y a pas de terreur dans un coup de fusil ; seulement dans son anticipation », disait Alfred Hitchcock. Cette phrase prend tout son sens dans la scène de l’opéra de MISSION : IMPOSSIBLE – ROGUE NATION, séquence d’action brillante dont le rythme est parfaitement maîtrisé par son scénariste et réalisateur Christopher McQuarrie (oscarisé pour le scénario de Usual Suspects).

Dans cette scène, Ethan Hunt (Tom Cruise) et Benji Dunn (Simon Pegg) se rendent à une représentation de Turandot de Puccini à l’Opéra de Vienne dans le but d’empêcher l’assassinat du chancelier d’Autriche par le Syndicat. En plein opéra, Ethan doit faire face à trois assassins, dont la mystérieuse Ilsa Faust (Rebecca Ferguson) qui lui a sauvé la vie quelques mois auparavant.

[Les minutages proposés dans cet article sont fondés sur la vidéo ci-dessus]

Le climax de la scène arrive à 9:54: Ethan n’a qu’une balle pour deux assassins et choisit finalement de blesser le chancelier à l’épaule pour le protéger. Ce moment représente dix petites secondes, constituées de 15 plans ! (Voir GIF ci-dessous). Cela fait une moyenne d’environ 0,7 image par seconde. Sorti de son contexte, cet enchaînement d’images peut paraître totalement illisible. Si cette scène réussit, c’est parce que McQuarrie et son chef monteur Eddie Hamilton mettent en place le rythme et la tension de la scène progressivement. Ils prennent le temps de présenter l’espace tridimensionnel de l’action ainsi que les enjeux des évènements pour les personnages. Intéressons-nous plus en détail à ces éléments.

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« Clarté et géographie » de la scène

Dans une interview donnée à la sortie du film (voir lien en fin d’article), Christopher McQuarrie parle de la réalisation d’une scène comme celle-ci: « l’objectif principal tient en deux mots : clarté et géographie. Je l’ai appris sur le tournage de Jack Reacher lors de la scène dans la carrière à la fin du film, et ça m’a préparé pour la séquence de l‘opéra ». Ainsi, dans les premières minutes, McQuarrie nous enseigne la géographie de la scène et nous voyons les personnages naviguer dans les coulisses de l’opéra. Si les plans deviennent de plus en plus courts au fur et mesure que le rythme de l’action s’intensifie, les premiers plans de la scène sont les plus longs : les grands mouvements de caméra placent les personnages dans l’espace et les uns par rapport aux autres. A 2:29, un travelling vertical place Ethan par rapport au chancelier, qui devient le centre de l’action. De même, à 5:08, un travelling arrière place Ilsa dans la tour d’astronomie et à quelques mètres d’Ethan.

McQuarrie utilise également des plans subjectifs (la caméra filme ce que voit un personnage) pour établir la géographie. La caméra adopte par exemple le point de vue d’Ilsa en face du chancelier (7:52) ou celui du deuxième tireur dans le centre de régie (8:59). De même, juste avant le climax, la caméra devient les yeux d’Ethan et nous localisons chaque personnage dans un plan large de la salle  (9:30 à 9:35). Tout ce travail visuel préliminaire permet ainsi au spectateur de pouvoir se repérer dans l’espace quand le rythme de l’action s’intensifie.

Enfin, McQuarrie s’appuie sur la répétition de motifs visuels pour nous faire enregistrer des informations sur l’action plus rapidement. A 00:11 par exemple, la caméra s’attarde sur une statue de dragon en coulisse ; à 6:44 l’action est cadrée selon la perspective de cette même statue. Ces deux plans trouvent leur signification à 8:55 quand le tueur chute mortellement vers la corne du dragon: le plan ne dure que 0,6 seconde mais l’action reste lisible. Le même procédé est utilisé avec la répétition visuelle de la note de musique, représentant le moment de l’assassinat du chancelier. Lors du climax, un rapide plan d’une seconde sur une note sert à nous faire comprendre ce qui est en train de se produire. McQuarrie peut ainsi accélérer le rythme de l’action pour augmenter la tension, sans perdre l’attention du spectateur.

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L’action au service de l’intrigue et des personnages

Il est d’abord intéressant de noter la place de cette scène dans l’intrigue du film. Une scène d’action de cette ampleur est d’habitude placée en fin de film, lors du dernier acte. Elle sert souvent de conclusion fracassante à l’intrigue, aboutissant généralement à la défaite de l’antagoniste principal. Cette scène, en revanche, intervient à la fin du premier acte, lors du premier tiers du film. Elle ne conclut pas l’intrigue mais la lance véritablement, aboutissant sur la victoire de l’antagoniste principal (le Syndicat) avec l’assassinat du chancelier dans sa voiture.

Elle permet également d’étoffer les personnages et de construire leurs relations. C’est particulièrement le cas d’Ilsa Faust, probablement le meilleur personnage féminin de la franchise. Sa véritable allégeance et ses motivations sont un mystère tout au long du film mais McQuarrie réussit à nous faire nous attacher à elle. La scène de l’opéra révèle toute la quintessence de son personnage. Ilsa est redoutable, mais vulnérable: agent surentraîné chargé de tuer le chancelier en plein opéra, mais également femme traquée (par le Syndicat et par le MI6, comme nous l’apprenons plus tard).

Mais ce qui la caractérise le plus, c’est son intégrité : « elle ne ment qu’une fois dans le film [au Maroc, lorsqu’elle dit aux hommes de Lane qu’Ethan est mort], même si les circonstances donnent l’impression qu’elle ne fait que mentir » révèle Christopher McQuarrie. Elle sauve la vie de Benji dans la cabine de régie à 10:42 et n’a comme objectif que de blesser le chancelier à l’épaule (elle le confirme dans la scène d’après, et l’impact de balle le montre à 10:01). Sa relation avec Ethan est particulière : elle lui sauve la vie lors de leur première rencontre et n’est jamais la « demoiselle en détresse ». Tom Cruise voyait la scène de l’opéra comme « un premier rendez-vous », symbolique confirmée à 12:07 lorsqu’elle lui demande d’enlever ses chaussures pour courir sur le toit.

Ainsi, McQuarrie met l’action au service des personnages permettant aux spectateurs de s’attacher à eux et donc de s’inquiéter pour eux.ilsa and ethan

Le rôle de la musique

Enfin, parlons du rôle de la musique dans cette scène. Elle occupe d’abord un rôle majeur dans l’intrigue et est le moteur de l’action (le chancelier doit se faire assassiner lors d’un fortissimo orchestral). Elle est l’expression sonore d’un compte à rebours funeste : plus l’opéra avance, plus l’instant fatidique approche et plus la tension augmente.

Mais l’opéra sert également de support à la mise en scène de McQuarrie. La séquence est presque intégralement muette et l’action est un ballet chorégraphié sur la musique. On notera par exemple l’assemblage d’une arme dans le tempo de la musique à 6:01 (autre coup de génie du monteur Eddie Hamilton). L’extrait de l’opéra entendu est en réalité un montage des différents actes de Turandot, de telle sorte que l’intensité de la musique augmente en même tant que celle de l’action. Cela rend le climax et les évènements qui s’ensuivent d’autant plus dramatiques  : à 10:42 par exemple, Ilsa abat l’assassin dans la régie sur un accord orchestral particulièrement fracassant.

Notons également que Nessun Dorma, le grand air de Turandot entendu pour la première fois à 3:53, est utilisé tout au long du film par le compositeur Joe Kraemer en tant que thème d’Ilsa. A la fois triomphant et poétique, il caractérise parfaitement la complexité du personnage.

Enfin, contrairement à ce qui a beaucoup été écrit, cette scène n’est pas un hommage direct à une scène similaire de L’Homme qui en savait trop d’Alfred Hitchcock. Christopher McQuarrie affirme avoir vu le film pour la première fois lors de la post-production de ROGUE NATION (voir podcast en fin d’article) ; son inspiration lui vient en réalité d’un court-métrage de Martin Scorsese, The Key to Reserva, lui-même hommage à Hitchcock et publicité pour une marque de champagne (lien de visionnage également ci-dessous).

Le 1er août prochain sort Mission : Impossible Fallout, suite de ROGUE NATION, avec le retour de Christopher McQuarrie au scénario et à la réalisation (une première dans l’histoire de la franchise). Celui-ci a également annoncé le retour de Rebecca Ferguson qui reprendra le rôle d’Ilsa Faust, devenant le premier personnage principal féminin à retourner dans un film de la saga. Preuve qu’on ne change pas une équipe qui gagne.

 

Matthieu Barthe

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Pour aller plus loin :

Interview de Christopher McQuarrie pour « Collider »
« Podcast Empire »: interview fleuve de Christopher McQuarrie
« The Key to Reserva » de Martin Scorsese

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popopinou
popopinou
Invité.e
12 juillet 2023 10 h 23 min

…sauf que la partition montrée n’est pas celle qui est entendu à ce moment là. C’est ballot, ridicule, on nous prend pour quoi ?
…sauf que la note entourée est montrée si tôt qu’on sait que la balle partira à ce moment là ; aucun suspense, surtout que tout le monde connaît l’air.
…sauf que non, Ethan n’y va pas pour contrer l’assassinat puisqu’il découvre seulement sur place que le gouverneur autrichien s’y trouve ; du coup scénario débile : il y va par hasard ?
…sauf qu’on a juste hâte que la scène soit finie parce qu’on l’a en gros déjà vue dans JB Quantum ; donc les images de Quantum défilent en parallèle.
Manque d’imagination totale.
Qu’on ne parle pas du génie du montage parce que les plans sont de plus courts ! C’est un basique !

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