Pour une poignée de dollars
Clint Eastwood dans "Pour une poignée de dollars" ©United Artists

POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS, Clint Eastwood en rōnin de l’Ouest – Critique

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Le visage de Clint Eastwood est un paysage aride à lui tout seul dès les premiers plans de POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS, premier film de la « trilogie du dollar » de Sergio Leone. La sortie du film en version restaurée permet de nous replonger dans la genèse de la mythologie forgée par le réalisateur.

Au départ, Sergio Leone désirait une star établie pour porter le film, il avait choisi Henry Fonda. Ce dernier coûtant trop cher, il finit par accepter la proposition des studios d’employer Clint Eastwood, à l’époque très peu connu. Le film sorti en 1964 lança la carrière du jeune acteur, et Sergio Leone le réengagea successivement pour Et pour quelques dollars de plus ainsi que pour Le Bon, la Brute et le Truand, qui installèrent définitivement Sergio Leone et Clint Eastwood comme stars aux États-Unis.

Les trois films constituent une trilogie postérieure à la réalisation individuelle de chacun d’entre eux. Des éléments récurrents viennent créer un sentiment d’Univers cohérent entre les trois films : Clint Eastwood, son poncho, l’obsession pour l’argent vite – et mal- gagné, ainsi qu’un ton propre à Sergio Leone, qu’on pourrait définir comme tragi-comique.

Beaucoup a déjà été écrit sur le genre de « western-spaghetti », bien que peu d’éléments concrets permettent de réunir à la fois les comédies potaches mettant en vedette Terence Hill et l’œuvre lyrique de Sergio Leone. La production de westerns par les Italiens de CineCitta, dans des décors espagnols, s’explique surtout pour des raisons économiques et opportunistes. Les producteurs y voyaient un bon moyen de s’introduire dans une niche délaissée dans les années 60 par les studios américains. On peut rapprocher le phénomène de la blacksploitation bien qu’aucune communauté précise n’était visée par les producteurs de « westerns-spaghetti. » Sergio Leone s’est défendu plusieurs fois d’avoir créé un genre qu’il estimait bâtard, et on préférera parler ici de style pour qualifier l’approche du cinéma du réalisateur italien. Sergio Leone a produit tardivement Mon nom est Personne, mettant en scène ce même Terence Hill, mais contrairement aux autres comédies prenant place dans l’Ouest,  la patte du maître italien est bien présente. Ce qui distingue ce film du reste de la production des « western-spaghetti » est la relation passionnelle du personnage de Terence Hill à la légende de l’Ouest, aux mythes vivants amenés à disparaître. Cette réflexion sur le Western n’est pas encore explicite dans POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS, mais apparaît pourtant totalement cohérent avec Il était une fois dans l’Ouest sorti en 1968.

Les principales obsessions de Sergio Leone dans POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS sont déjà là : la musique entêtante de Morricone, l’Amérique, l’opportunisme, l’injustice, etc. Le mythe de l’Ouest ne cessera de gagner en épaisseur au fil des films, pour culminer avec Il était une fois dans l’Ouest, œuvre totale sur l’Ouest américain, qui annonce paradoxalement son crépuscule.

POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS intervient à un moment charnière de la filmographie de Sergio Leone, car il marque son désintérêt pour les péplums kirschs qu’il réalisait jusqu’ici, afin de se concentrer sur des westerns de plus en plus cyniques. Le style « Leone » en gestation va s’exercer sur un matériau de seconde main, en privilégiant l’adaptation d’un scénario déjà existant. POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS est le remake du film Le garde du corps (Yojimbo, 1961) d’Akira Kurosawa qui narre les aventures d’un rônin espiègle prêt à mettre sa vie en danger pour bousculer le statut-quo entre deux bandes rivales qui spolient les habitants d’une ville provinciale.

Transposé à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, l’intrigue de POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS ne perd pas en saveur, et conserve le mélange subtil entre des situations comiques et des péripéties dramatiques qui renforceront la motivation du héros. Sans nom ni maître, Clint Eastwood est le rônin de l’Ouest, errant à la recherche d’une aventure lucrative, son .45 en guise de sabre.
S’il n’est motivé que par l’appât du gain au début du film, le personnage subira une évolution qui l’amènera à agir à la fin du film différemment qu’il ne l’aurait fait au début. Cette structure classique renforce l’impression d’assister à la naissance d’un mythe, et annonce toutes les variations de cette trame à laquelle se livrera Sergio Leone par la suite.

Sans nom ni maître, Clint Eastwood est le rōnin de l’Ouest, errant à la recherche d’une aventure lucrative, son 45 en guise de sabre.

Certaines scènes fabuleusement réalisées côtoient des approximations qu’on imagine découler de restrictions budgétaires, comme la scène de la mitraillette qui apparaît un peu cheap aujourd’hui. Le talent de Sergio Leone est déjà incontestable dans POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS, mais la direction de certains acteurs secondaires laisse à désirer. Les films suivant mettront davantage à l’honneur ces « trognes » qui constituent une des bases du style « Leone », réservant des gros plans soignés à des rôles pourtant mineurs.

POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS face à Le Bon, la Brute et le Truand ou Il était une fois dans l’Ouest peut être qualifié de western « classique », mais permet de remettre en perspective la réflexion entière de Sergio Leone sur le western, la manière dont il se joua des codes établis par ses prédécesseurs, comment il redéfinit totalement le genre et réussit à créer une mythologie qui continue de nous faire rêver encore aujourd’hui.

La copie numérique restaurée offre un spectacle digne des meilleurs westerns sortis dernièrement. S’il est important de (re)voir POUR UNE POIGNEE DE DOLLARSafin de resituer la naissance du génie qu’est Sergio Leone, le film pourra également servir de piqûre de rappel afin de patienter jusqu’à la sortie de The Hateful Eight de Quentin Tarantino, véritable fils spirituel de Sergio Leone.

Thomas Coispel

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