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MATCH POINT – Critique

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Woody Allen est une icône. Il partage avec Steven Spielberg et Quentin Tarantino la palme du cinéaste le plus célèbre du monde. Inutile d’avoir vu ses films pour connaître son nom.

Son métier ombreux et méconnu des profanes ne l’a pas empêché de monter aussi haut qu’un grand acteur dans la conscience du public. Il prend la lumière depuis quarante-cinq ans ans grâce à un style discernable, énervant, têtu. Sa prolixité est sans égale, sa prise de risque est minimum : il est contraire à Stanley Kubrick et pourtant peu de cinéastes se ressemblent autant que ces deux-là dans l’impériosité de leur art. Ils sont les maîtres de leurs façons. Match Point figure au sommet de la montagne du New-Yorkais à qui l’Europe offre aujourd’hui une aire de jeu expansive. Les obsessions existentielles, la primauté du dialogue, la préférence du huis-clos, le choix de l’humour cérébral, la froideur du regard sur la faune humaine ne se sont jamais aussi bien articulés que dans ce drame d’un manant irlandais empêtré dans la high life anglaise. Woody Allen signe à Londres un travail minutieux, idéal, dégagé de toute la paresse que confère la notoriété et qui entachera les cinq films suivants. Ne plus rien avoir à prouver, c’est l’ennemi. En 2005, le conquérant du vieux continent pousse un peu plus loin sa hallebarde.

Jeune professeur de tennis venu d’Irlande, Chris Wilton emménage à Londres pour contribuer à quelque chose. Son talent de pédagogue et son amour de l’opéra séduisent Tom Hewett, un fils à papa désinvolte qui l’introduit rapidement dans son giron familial. Chris accapare malgré lui les pensées de Chloé, la sœur de Tom. Il se fait fort de répondre à ses avances et de s’établir concrètement dans le gotha en l’épousant. La vie de château l’initie au luxe et à l’ennui, deux somnifères. Chris réalise bientôt qu’il ne peut tromper le cercle monotone de ses journées qu’en prenant une maîtresse : la piquante fiancée de Tom Hewett…

Derrière la façade de la comédie érotique facile, procès à l’infidélité sexuelle de l’homme, quelque chose de grave et de spirituel occupe Match Point in extenso. Le problème de l’absolu. Compétitif de nature, Chris Wilton se met au défi de mener une double vie, c’est à dire une vie complète et contestable. Il cherche à assembler ordre et désordre en chahutant avec Nola ce qu’il construit avec Chloé. L’une est un défouloir caché, l’autre un havre de paix. Les deux se valent et se réfléchissent. Élevé par un homme pauvre, austère et infirme, Chris a de l’appétit. Ses manières et sa belle gueule de gendre idéal le protègent de la suspicion des Hewett et à vrai dire, il est suffisamment digne pour ne pas chercher à les tromper. C’est le Don Juan de Byron qui se laisse porter par les occasions sans rien orchestrer. Son charme se laisse faire. Le choix indispensable est repoussé jusqu’à ce que Nola, excédée d’être tenue cachée se rebiffe, amorce une sortie qui la placerait dans la vie officielle. Elle rompt l’équation ordre et désordre et oblige Chris à rejeter sa prétention à l’absolu.

Woody Allen fait du métaphysique en convoquant Dostoeivski et Strindberg sans grande pompe, allégeant ses méditations par une mise en scène d’une parfaite simplicité. Cinéaste du plan plutôt que du montage, il privilégie l’intérieur de son cadre et le mystère du hors champs, fait bien de ne pas imiter les vidéastes épileptiques modernes. Il évite bêtise de la voix-off injustifiée ce qui rend nettement plus ténébreux son héros. Son casting est impeccable. Les producteurs qui ont anticipé le roi des Tudors chez le Jonathan Rhys Meyers de 2005 ont eu le nez creux. La passion qu’on lui constate dans les yeux est presque effrayante, voilà qu’il se hisse en dehors de la fonction banale du jeune premier. Son ardeur à jouer Chris Wilton s’accompagne de tous les bafouillis et accès de nervosité inhérents à la  »victime » d’un dilemme. La scène annonciatrice du ping pong et celle du premier dîner entre couples rendent compte des variations subtiles dont Meyer est capable entre donjuanisme imposant et timidité de geek. Scarlett Johansson lui répond sans forcer le trait de la mamasita blonde qu’on cherche à voir en elle. Le rôle de Nola Rice, pauvre actrice américaine ratée, poisseuse, white trash, repérée par le prince Tom Hewett avant de se heurter le front au mur de l’apartheid social est assumé intelligemment sans sacrifier à la caricature. Scarlett personnifie ici une mante religieuse sans mandibule, une entraîneuse noyée la première par la cruauté des intérêts. Hewett frère et sœur incarnés par le dandy Matthew Goode et la oie blanche Emily Mortimer matérialisent le complexe aristocrate. Leur naturel sympathique rend leur dédain acceptable. Leurs privilèges hérités, immérités, entretiennent la croissance mondaine de l’ami irlandais. La chance de Chris Wilton ne s’admet pas, c’est une chance de cocu royal, pourtant, c’est lui qui cocufie tout le monde jusqu’à se baiser lui-même. Woody Allen le fait entrer chez Ralph Lauren pour le faire sortir de Cartier sur un air d’opéra, la romance de Nadir. Le nadir étant le fond des choses, on ne peut que saluer la tentative réussie du maître new-yorkais d’approfondir le cinéma quand il s’oblige enfin à laisser sa renommée à la surface.

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Wilyrah
Wilyrah
Invité.e
16 mai 2011 9 h 47 min

Le meilleur Woody de ce 21ème siècle.

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