[interview] Renaud Barret – Benda Bilili !

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Avec son comparse Florent de La Tullaye, Renaud Barret est le réalisateur de Benda Bilili !, le documentaire musical qui a enthousiasmé le dernier festival de Cannes. Le 6 septembre, il rencontre le Blog du Cinéma dans un café place de la Bastille, pour discuter de Cannes, de Kinshasa, d’un passé riche en souvenirs et d’un futur déjà rempli de projets.

On est à 2 jours de la sortie ciné… ça fout la pression ?

Non j’ai pas de pression, et l’autre [ndlr : Florent de La Tullaye, coréalisateur] non plus. De toute façon c’est juste du bonus là tout ce qui est en train de se passer. On pensait pas être à Cannes, on s’attendait vraiment pas à ce que ça sorte au cinéma… Ca a largement dépassé nos espérances. Donc après on pourrait se coller la pression sur les chiffres, mais je pense que c’est pas très nécessaire.

Le film a fait l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, c’était important pour vous Cannes ?

Ouais, c’est super important, c’était une récompense aussi, un soulagement énorme, parce qu’au bout de 5 ans à se prendre des portes dans la gueule, tu connais plus réellement la valeur de ce que tu as fait, tu vois. Tu doutes beaucoup, t’es assez naze, t’as plus vraiment d’échelle de valeur par rapport à ce qui a été fait. Toi t’as pu kiffer longuement sur tes images, sur tes plans, t’as une certitude, t’as une belle histoire, puis face à une forme de tiédeur, à des gens qui sont un peu « ouais, bof »… t’y crois plus trop quoi. Et puis, Cannes, d’un coup, c’est la revalorisation de tout ça, le soulagement, tu reconsidères, ça te remet d’aplomb, ouais c’est agréable. Tu redresses les épaules, le menton, tu te dis « tien bah c’est bien ce qu’on a fait ». C’est vraiment un jury de gens assez pointus donc s’ils pensent ça, c’est qu’on a notre place.

D’autant qu’apparemment vous aviez pas mal galéré pour trouver un distributeur…

Ouais, on a galéré du début à la fin. On a galéré globalement du début jusqu’à… juin 2009.

Cinq-six ans de galère quoi.

Vraiment intense. Comme les choses se sont faites dans des conditions pas du tout classiques, on a mis tout notre fric sur la table. On a tout mis, y a même de l’hypothèque sur appartement, tu vois… Mais c’est cool. Je pense qu’on était bien secoués quand on a démarré cette histoire. On était vraiment fous hein. Très punk, très toujours le middle finger, très « ah ouais on peut pas le faire ? Bah on va le faire ! » Maintenant j’ai un fils et je sais pas si je referais les mêmes choses… Non, je le referais pas. A l’époque on était vraiment barjos. Je me revois faire certaines choses, je nous revois faire certaines choses, nous mettre dans certaines situations volontairement…

Genre ?

Genre tu vas là où il faut pas aller, dans les crackhouses par exemple… Y a une manifestation de mecs super costauds, tu sens qu’il va y avoir de la castagne avec la police, t’as pas d’autorisation de tournage, mais tu vas là et tu te mets avec ta caméra au milieu et finalement la police te met en prison, et tu t’y attends. Tu fais ça, mais avec la conscience des gens et en voulant à tout prix quelque chose d’utile, c’est pas narcissique tu vois, c’est…

Une mission ?

Ouais, c’est ça, tu vois, t’as une mission. T’as envie que tous ces musiciens soient connus… La Danse de Jupiter, c’est une première approche du truc, tu vois, très bâtarde, y en a dans tous les sens, c’est très dégueulant de musique et de différents artistes, et en même temps tous ces mecs qu’on voit dans le film, on continue avec eux. Et puis des passages du les ont fait connaître d’une certaine façon, et on est contents de ça.

Vous êtes pratiquement en train de devenir les ambassadeurs occidentaux de Kinshasa, en fait ?

Ouais, c’est un peu ça ouais.

Et au départ, comment vous avez découvert cette ville ?

C’est par moi en fait. Je suivais une amie journaliste qui m’a emmené dans l’est du pays, dans les camps d’enfants soldats, et il se trouve qu’on a glandé 10 jours à Kinshasa, dans un hôtel un peu luxe. Je me faisais chier comme un rat mort, je regardais cette rue et je me disais « putain mais ça a l’air dément cette ville !» Moi je faisais juste des photos, j’étais un peu tributaire de la production du reportage, et j’ai rencontré un artiste, il m’a dit « Viens, on va se balader, t’as l’air de t’emmerder », et on est tout de suite allés au ghetto. Je suis pas rentré à l’hôtel pendant 8 jours, et tout ce que j’ai vu là-bas, ça a été la claque. Donc j’ai appelé mon copain Florent, qui lui était en Sibérie à faire un reportage sur les chamans, je lui ai dit « écoute, là je suis chez les fous, on achète des caméras on va faire un film. » Je suis rentré en Europe et puis j’ai attendu qu’il revienne de Sibérie, on a acheté des caméras et on s’est barré dès 2004 pour 2 mois. Immédiatement on s’est retrouvés dans un hôtel bien véreux là où il faut, et on a commencé à tourner, à rencontrer des gens, à filmer tout ce qui se passait dans la ville.

D’ailleurs il paraît que vous avez quelque chose comme 500 heures de rushes, c’est vrai ?

600 ouais.

Et vous comptez faire quelque chose avec tout ce qu’il vous reste ?

Dans le tas y a du déchet, mais on quand même 200 heures magiques. On va faire une grosse sortie DVD sur Benda Bilili, après sur Kinshasa on a 2000, 2500 heures de rushes. Y a de l’archivage, on est en train de travailler là-dessus… On est dans des questionnements par rapport à ce qu’on est en train de devenir, à ce qu’on veut être, à ce que la Belle Kinoise [ndlr : la société de production de Renaud Barret et Florent de La Tullaye] va devenir.

Du coup sur tout ce temps passé à Kinshasa, vous avez dû croiser un paquet de groupes, pourquoi vous centrer sur le Staff plutôt que sur un autre ?

On s’est centrés sur un premier groupe, Jupiter, pour notre premier film, c’était avant le Staff, même si le Staff font partie de ce film-là, on les voit brièvement dans notre tour de la ville, ils font une petite apparition, on les voit dans le paysage musical, mais on s’est intéressé à beaucoup d’artistes avant eux, sans rien faire. C’est vraiment eux qui nous ont donné l’urgence parce qu’on voyait comment ils vivaient, on voyait qu’ils avaient un répertoire, ce qui n’est pas le cas nécessairement de tout le monde. On s’est dit « bon aller, on va faire ça, on va donner du fric, on les enregistre, c’est fini ». C’était ceux qui étaient le plus à même de disparaître. Enfin vraiment les deux leaders, les deux plus belles voix, on se disait « elles peuvent mourir, là, il faut vraiment faire les choses vite. » On voyait comment ils vivaient… en même temps ils sont toujours en vie, ils sont super solides. Mais à l’époque, on venait de perdre une musicienne avec laquelle on voulait travailler, elle est morte, emportée en une semaine. Jeune tu vois, assez jeune. Alors eux on s’est dit « vraiment il faut faire ça tout de suite, parce que c’est urgent. » Urgent, ça voulait pas dire 5 ans, ça voulait dire tout de suite, mais ça a pris 5 ans. Ça s’est fait, voilà, dès qu’on trouvait de l’argent, on repartait, pour faire d’autres trucs, c’est vraiment une aventure. Je pourrais pas dire, y a pas de logique dans ce qu’on a fait. Je pense que c’est ça aussi qui donne du charme, du feeling. Et puis t’es complètement barge aussi à cette époque de ta vie, et puis tu fais les choses, tu fais avant et tu penses après.

C’est vraiment du journalisme de terrain…

Gonzo, gonzo, gonzo, tu dors 1h par nuit, pendant des mois, et tu te marres et c’est comme ça. Tu vas avec les Staff Benda Bili, tu restes avec eux de minuit à 7h du matin sur les trottoirs, tu les filmes, tu fumes des pétards avec eux, et à 7h du matin tu te barres pour aller voir tes boxeuses [sur lesquelles porte le documentaire Victoire Terminus Kinshasa, ndlr] qui sont dans la salle machin, et puis l’après-midi tu vas caster des artistes, et puis le soir tu retournes avec les Benda Bilili, et puis là tu te dis « ben tiens j’ai pas dormi, je vais peut-être dormir une heure », et c’est ça pendant 5 ans, donc à l’arrivée ça fait des albums, des films, toute une matière qui est pas encore réellement exploitée par rapport à cette ville mais qu’on est en train de rationnaliser maintenant.

Justement, ce qui est intéressant dans Benda Bilili, c’est que, contrairement à la plupart des documentaires, vous êtes ultra-impliqués dans votre sujet, vous n’êtes pas que des observateurs extérieurs.

On est observateurs, producteurs, réalisateurs, acteurs même, parce que on a tourné là-bas dans des séries télé. Et du coup on a fait 3 longs-métrages en 4 ans. Des films d’1h20 quoi, montés pendant 3 ans avec notre fric, sans autre pognon et sans autre support que l’énergie et l’envie de le faire. On vivait à la cité, avec les coupures de courant, tous tes montages qui s’effacent 10 fois par jour… C’est ouf, c’est 5 ans de pression. Avant j’avais pas un cheveu blanc, là c’est presque tout blanc. Mais en même temps t’as la vie qui va avec, Kinshasa, la fête, tu vis à 100 à l’heure.

Il y a d’ailleurs un vrai contraste entre votre implication humaine et financière, qu’on constate tout au long du film, et votre quasi-absence à l’écran. Même la voix off est pratiquement absente. C’est un choix conscient ?

On voulait pas en mettre du tout du tout, on s’était dit « jamais de notre vie on fera une voix off sur un doc qu’on va faire, jamais de voix off ! » Puis finalement, aux projections, on nous a dit « on comprend pas ce qui se passe, on comprend pas qui vous êtes. » Tous ces mecs qui sont sur le trottoir, tout d’un coup ils rentrent en studio, mais le centre brûle, puis ils se retrouvent sur le trottoir, puis ils re-rentrent en studio, puis en Europe. Notre premier montage c’était ça. Vachement tripie, y avait que des dates. Et alors du coup aux premières tests, on nous disait « moi j’ai un problème : qui vous êtes par rapport au groupe ? » On nous voyait jamais à l’écran, on avait pris le parti de jamais se filmer, alors que c’est une connerie, parce qu’on se serait juste filmé deux-trois fois, ça évitait la voix off. Mais on n’en avait pas.

Et du coup tu t’y es collé.

Et du coup je m’y suis collé, avec beaucoup de désarroi au début. Je me suis effectivement rendu compte, le choc passé, que ça enlevait pas mal de nœuds. Ok, il y avait un postulat de base, mais il fallait dire qui on était et ce qu’on faisait. Voilà. Mais c’était toujours très douloureux.

A un moment du film, elle permet d’ailleurs d’expliquer en quelques mots une ellipse de un an : le centre a brûlé, vous rentrez en France. Tu peux nous parler de ce qui se passe pendant cette période ?

On est rentré parce qu’on avait plus de thunes et parce qu’on peut pas continuer à payer l’ingénieur du son qui est là, on peut pas continuer à le loger. A un moment il faut décider de s’arrêter, le groupe joue plus, ils sont tous comme des zombies, alors on continue un peu, 4, 5, 6, 7 jours… Le studio c’est quand même 300 dollars par jour, l’ingé son est payé au forfait journalier, faut payer la maison… On est dans une maison un peu pourrie mais faut payer. Et on a rien, on a 3-4 morceaux de musique. Donc on arrête. On va prendre ça, on va voir ce qu’on peut faire déjà avec ce qu’on a, on va essayer d’éditer tout ça, d’aller trouver des maisons de disques, et essayer de trouver quelqu’un nous qui nous prête main-forte à ce niveau-là. Et donc on passe un an à se faire claquer les portes au nez, grosso modo.

Et au final vous avez trouvé.

Ouais y a Crammed Disc, on leur avait parlé déjà du projet en 2004, puis là en leur montrant les images ils disent « putain c’est super, ouais d’accord, notre enregistreur sera là de toute manière pour enregistrer les Konono, donc retrouvons-nous là et faisons un enregistrement » Donc du coup on était un peu débarrassés des questions logistiques.

D’ailleurs maintenant que vous vous êtes lancés dans la production musicale, vous comptez continuer ?

On était u mois de juin à Kinshasa, pour montrer le film et puis pour enregistrer un autre album, d’autres musiciens. Et puis on a un studio son à Kinshasa, donc pour nous c’est vraiment pas fini, la liste des gens avec qui on veut travailler est encore longue. Avec un single bien clipé, enregistré dans 2-3 lieux différents, des atmosphères, un live, un impro ghetto et un studio, en filmant tout ça et en racontant qui est le personnage, tu peux faire quelque chose.

Un produit musical, mais qui ne serait ni un album ni un film ?

Quelque chose entre les deux, que tu diffuses en direct, via ton portail. Moi c’est un peu ça que j’ai envie de faire, passer un peu par-dessus l’éternel quadrature de la maison de disques et du directeur artistique, qui disent « ça ça plait pas, ça ça plait… »

Vous êtes pratiquement à la recherche d’un nouveau média, en fait ?

D’un nouveau modèle, oui. On est en train d’y penser. On peut filmer la vie d’un studio d’enregistrement de Kinshasa, les histoires du ghetto autour des musiciens. Ca intéresse qui ça intéresse, mais on sait qu’il y a un public. Tu sais que ton argent va directement aux musiciens, y a 60% pour les artistes, et puis y a plus d’intermédiaire. Les gens téléchargent un fichier très lourd, d’hyper qualité, avec du film et tout, parce qu’ils ont compris l’aventure, parce qu’ils sont impliqués et parce qu’ils voient la vie des mecs. Ce qu’on veut faire c’est un bellekinoise.tv, qui serait une chaîne musicale, où tout les mois on renouvelle avec des artistes, des ghetto cuts, des gens en devenir, on demanderait à des spectateurs de financer certains projets ou certains artistes. Je pense que quand les gens voient et comprennent ce qui se passe, et à qui ils donnent leur fric, ils le donnent et tu montes de la musique comme ça. Tout ça, ça m’intéresse plus presque que de sortir des albums. Je ne connais pas le modèle économique de ce truc-là. On me parle toujours de modèle économique, je ne connais pas. Il faut imaginer une économie de ce truc-là. Il faut que, quand on démarre un enregistrement, on puisse mettre minimum 2000, 3000 dollars pour les musiciens, qu’ils sachent qu’à l’année ils ont une petite rente, en attendant les chiffres, une avance. Mais comment avancer de l’argent quand on n’est pas sûr même de se rembourser ? Donc du coup on a vraiment intérêt à s’allier avec des portails qui comprennent notre démarche, des sponsors privés ou publics qui sont prêts à tabler sur du développement via la musique dans les pays comme ça, et le programme c’est de pouvoir diffuser direct sur notre site, mais aussi qu’on puisse vendre en 13 minutes, un format pour les chaînes musicales. Pour nous, des grands portails types iTunes peuvent s’intéresser à notre projet : puisqu’on filme, , c’est tout un programme… Tu fais les choses, les gens se le diffusent directement chez eux. On est en train de penser à tout ce modèle-là, et les idées des maisons de disques, j’en ai juste rien à foutre, parce que actuellement on va demander des conseils à des gens qui sont sur un navire en train de couler. Ils ont rien vu venir, ils ont rien anticipé, et je pense qu’il y a d’autres chemins à explorer. Faut essayer.

Et en films, c’est quoi vos prochains projets ?

On va démarrer un autre documentaire, et on créé toujours cette plate-forme à Kinshasa, un côté image un côté musique, mais c’est étroitement lié en fait.

Un doc ? Ca parle de quoi ?

De pygmées. C’est un doc, mais un peu plus écrit. Pour l’instant je sais que le tournage aura lieu pendant 3-4 mois. C’est un voyage. Deux pygmées de la ville, fatigués par le racisme et les humiliations du quotidien, veulent rentrer chez eux, à 800 kilomètres en amont du fleuve, dans un village qu’ils ont quitté 25 ans plus tôt. On va les suivre dans leur retour chez eux. Et c’est un doc… enfin, moi j’appelle ça un film, parce qu’on met beaucoup plus l’accent sur leurs dialogues, sur leur humour. C’est une fable écologique, mais on n’est pas dans du Nicolas Hulot du tout, on est vraiment dans une aventure humaine. J’aime bien hein, j’ai pas de problème avec Nicolas Hulot, mais on se situe ailleurs. C’est plus une tragicomédie. Ils rentrent chez eux, et là, gros point d’interrogation. Ca on l’a écrit, on a déjà l’aide à l’écriture, la SCAM, Brouillon d’un Rêve et une petit aide du CNC. Ca nous permettra d’avancer. De toute façon ça coûte pas cher de faire un film. Moi je vois plein de mecs qui font des écoles de cinéma, et qui attendent un an et demi pour une vague subvention pour un court-métrage. Je veux dire prend un job de barman, paie-toi une caméra, filme avec des potes qui ont une la même énergie que toi, fais. Fais. Je pense qu’on critique beaucoup les Etats-Unis ou des pays comme ça, mais, sans la moindre aide de l’état, ils ont un cinéma indépendant, ils font des choses avec leurs couilles et leur cœur. On n’est pas non plus exempts de faire les choses, de se mettre en danger.

Mais en tout cas, vous n’envisagez pas de continuer ailleurs qu’en Afrique ?

Ouais, jusqu’à ce que je trouve un sujet qui me fasse bander à Paris. Ou ailleurs.

C’est probable à Paris ?

Suffit de bien regarder. Y a plein de docs à faire dans Paris. Si tu t’immerges dans des milieux un peu inattendus, y a des histoires. Y a des histoires partout. Une fois on m’a dit « Le bout du monde est au coin de la rue. »

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cinemarium
cinemarium
Invité.e
26 septembre 2010 22 h 46 min

Je l’ai raté sur Cannes lors de mon passage et je compte bien me rattraper rapidement. Très bon interview !

Doisnel
Doisnel
Invité.e
22 septembre 2010 21 h 31 min

Excellente interview !! Ça change des interviews langue de bois où on ne raconte rien !

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