Le film de Gilles Lellouche connaît un très grand succès dans les salles de cinéma, notamment chez les jeunes. L’AMOUR OUF ouf est souvent acclamé pour son esthétisme. Les effets visuels et la bande originale du film ont su séduire l’audience… et peut-être lui jeter de la poudre aux yeux. La forme de cette histoire a réussi à éclipser en partie son propos -ou plutôt l’absence d’un propos original-, face à un scénario aux failles visibles et aux points de vue démodés.
Dépeindre une époque
Dans sa première heure, ce film, qui prend place dans les années 1980, nous dépeint une forme de réalité sociale du milieu ouvrier en France. Nous concevons les difficultés familiales de Clotaire, qui vient d’une famille nombreuse, dans laquelle les relations sont violentes et où il est difficile de trouver sa place. Il n’a pas les mêmes chances que Jackie et tombe dans la facilité des braquages et une violence décuplée. Le film fait aussi le portrait d’une jeunesse audacieuse, que nous prenons plaisir à contempler. L’AMOUR OUF est apprécié pour la replongée dans cette décennie passée, que nous l’ayons connue ou que nous ayons simplement projeté un imaginaire sur elle. La musique rajoute un effet immersif et place les spectateur·ice·s dans la nostalgie. Néanmoins, était-il nécessaire de représenter cette époque en idéalisant des rapports genrés inégaux et stéréotypés ?
Un film d’amour ?
Malgré le titre de ce film, il est difficile d’en conclure qu’il raconte une histoire d’amour. En effet, l’amour est étouffé par des scènes de violence trop nombreuses et souvent gratuites. Que devons-nous penser de cette association constante ? De plus, la relation de Jackie et Clotaire que nous retraçons sur une longue période ne semble pas vraiment évoluer et ne constitue qu’une toile de fond.
L’amour dans ce film ne naît que de situations sexistes et toxiques : Clotaire rencontre et remarque Jackie en l’insultant, comme d’autres élèves, à la sortie du bus scolaire. De son côté, Jeffrey ne considère vraiment Jackie qu’après l’avoir vue dévêtue et après avoir insisté avec elle, alors qu’il vient de la virer. Cette vision de l’amour est problématique et ce film aide à perpétuer des clichés parfois fantasmés mais pas moins néfastes. Jackie tombe amoureuse d’un « bad boy », si passionnément qu’elle n’arrive pas à s’en défaire et au point que cela devienne son unique caractérisation.
La première partie de L’AMOUR OUF est plus solide que la suivante, notamment par le jeu des jeunes acteurs Malik Frikah et Mallory Wanecque, et grâce à un développement scénaristique plus abouti. La deuxième partie peine à convaincre et accentue l’aspect dépassé des représentations mises en images. Jackie n’a pas évolué en grandissant, elle a attendu. Elle n’a pas eu son bac, elle travaille dans une société qui loue des voitures, en étant totalement désabusée. Tout ce que nous voyons d’elle, c’est cette nouvelle histoire où justement l’amour manque et le commentaire de son père, affirmant qu’elle a « enchaîné les relations » ces dernières années. Jackie paraît n’exister qu’à travers les hommes. Le personnage féminin a été totalement délaissé une fois adulte, au profit du banditisme de Clotaire, qui revient de prison changé pour le pire. Elle n’est pas la seule à subir ce manque d’écriture : nous pouvons aussi évoquer l’ami de Clotaire, Lionel, qui revient de façon incongrue après l’ellipse et meurt très rapidement, sans plus être évoqué. Nous ne savons que peu de choses sur lui et son développement peut nous laisser sceptique : il a refusé la violence adolescent mais à son retour à l’âge adulte, lui aussi s’associe aux crimes de Clotaire, en amenant une touche d’humour. Il est le seul personnage noir relativement important dans le film et aujourd’hui, alors que nous nous sommes emparés des questions de représentations au cinéma qui ont beaucoup d’influence sur le réel, il est regrettable que son écriture semble teintée de préjugés, ou du moins qu’elle ne soit pas complètement aboutie.
Une fin pas si heureuse
La scène des 457 mots à l’hôpital manque de crédibilité. Jackie vient de se faire agresser – fait qui est balayé très rapidement – et ils se font soigner ensemble symboliquement par une personne du corps médical. Le ton sonne faux, l’alchimie entre les deux acteurs – Adèle Exarchopoulos et François Civil – semble inexistante à l’écran et cela n’est pas aidé par le scénario qui ne les fait jamais se rencontrer à l’âge adulte avant la fin du long-métrage. La suite n’est pas plus plaisante. Assis tous les deux dans un diner, Clotaire articule difficilement un « je t’aime », embarrassé d’exprimer ses sentiments. L’altercation avec l’employeur finit d’enfoncer le film dans le cliché. Ce dernier rappelle Clotaire à l’ordre pour ses retards et il doit se contenir pour ne pas répliquer violemment. Jackie est la clé de sa maîtrise : avec elle, il n’est pas pareil, elle le change… Elle est apparemment l’une des seules personnes qui n’est pas concernée par la violence de Clotaire et pourtant elle doit faire comprendre à quel point il peut être dangereux et violent facilement.
Un esthétisme forcé
Dans L’AMOUR OUF, les effets visuels foisonnent. Ils peuvent plaire aux yeux mais ils n’amènent que rarement du sens à l’histoire, ils sont là pour « faire joli » et afficher une maîtrise. Le réalisateur pourrait être un adepte de la théorie de « l’art pour l’art », l’art pour le beau (l’art comme fin en soi, sans contraintes morales ou utilitaires, sans volonté d’enseigner, le but à atteindre étant la beauté). Nous savons cependant que ce n’est pas le cas ici car au-delà de l’esthétisme, une vision se dessine et le réalisateur ne s’efface pas. Gilles Lellouche semble vouloir montrer aux spectateurs sa cinéphilie et sa virtuosité. Cet étalage un peu prétentieux est visible à travers des références de toutes sortes, notamment celles au Nouvel Hollywood, mais il y a peu d’innovations. Il mélange les genres et présente une mise en scène artificielle, sans réelle cohérence. Le réalisateur paraît proposer son regard fantasmé sur la violence et sur des amours plus toxiques que passionnelles.
Louna SAHAGUIAN