SICARIO
© Metropolitan Filmexport

[CRITIQUE] SICARIO

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sicario
• Sortie : 7 octobre 2015
• Réalisation :Denis Villeneuve
• Acteurs principaux :Emily Blunt, Benicio Del Toro, Josh Brolin
• Durée :2h01min
Note des lecteurs1 Note
4
note du rédacteur

Ce qu’on n’aurait pas imaginé chez Denis Villeneuve, c’est d’être bluffé par sa mise en scène… Car c’est bien ce qu’est SICARIO : un pur film de mise en scène.

Mais loin d’être péjoratif ou réducteur, cela signifie pour nous que la réalisation est une adéquation entre plusieurs aspects, de la mise en image, à l’écriture, en passant par la direction d’acteurs, la sensibilité du réalisateur, l’utilisation sonore, ou l’environnement décrit par le film.
Cet aspect total de la mise en scène est finalement un trait récurrent dans cette sélection officielle, à l’image de Fury Road, ou Carol. C’est exactement le cinéma que nous aimons, celui où l’on ressent une vraie intelligence d’organisation et de réflexion, derrière une réalisation limpide. Alors si en plus y’a des explosions et des fusillades dedans…

SICARIO débute donc par une hallucinante scène d’action de 15 minutes, dont la première chose que nous percevons est la bande-son. Celle-ci, véritable élément de mise en scène, est pourtant simple : des pulsations sourdes et puissantes. Elles sont très légèrement accompagnées par une musique orchestrale angoissante. À la façon du score de John Williams pour les Dents de la Mer, ce motif très récurrent du film est une source de tension indéniable, et modifie autant qu’elle façonne, notre perception des évènements.

Après une présentation de l’environnement (une banlieue pavillonnaire lambda) et de l’action qui prendra bientôt place (l’assaut d’une des baraques par une unité d’intervention), on pénètre à l’intérieur du fourgon blindé véhiculant les assaillants, pour y découvrir Kate. La caméra restera collée à la jeune femme à partir de là, l’accompagnant au même titre que la musique (des pulsations, on le rappelle), comme un véritable personnage. On ne sait pas QUI ni CE qu’ils attaqueront, et eux non plus : le suspens est déjà à son max, avant même que l’assaut commence. Il gagnera en ampleur pendant l’attaque de la baraque, avant de trouver une conclusion inattendue et bluffante, posant les jalons d’un univers très concret à laquelle ni nous, ni Kate, n’étions préparés.

[toggler title= »description de l’excellente seconde scène d’action du film. Attention: SPOILERS » ]
Passée cette première scène bluffante, Kate est intronisée au sein d’une nouvelle équipe composée d’inconnus, ayant pour objectif officiel de démanteler LE cartel de la drogue local. Rien que ça. La deuxième scène d’action est la première mission de cette team.
Une certaine notion de danger nous est instillée depuis le début du film – déjà par la première scène, puis par le thème musical hyper angoissant qui ne nous lâche JAMAIS… Ensuite, le flou total entourant la mission en question, et enfin les personnages louches y participant : une équipe de mercenaires badass, un consultant d’état aux pleins pouvoirs (Josh Brolin), et enfin cet homme inconnu aussi flippant que mystérieux (charismatique Benicio Del Toro). Avant que commence l’action, en gros : on n’est au courant de rien mais on sait que ce sera hyper dangereux.

Photo du film SICARIO
© Metropolitan Filmexport

Le lieu de l’action se situe à notre grande surprise, au Mexique… Bon, danger supplémentaire: si déjà on ne se sent pas en sécurité du coté U.S. de la frontière… Ah, voilà l’objectif : aller d’un point A à un point B, récupérer une « target » et revenir au point A. Faut aller la chercher… au centre d’une ville désignée, 2 minutes plus tôt, comme l’enfer sur terre. Jouer au foot dans un terrain miné quoi. D’accord.

« Mais ne vous inquiétez pas, nous serons escortés ». Un convoi de 5 gros SUV remplis de mercenaires hargneux qui a besoin d’une escorte d’une dizaine de jeeps ultra armées. OK. Aaaah c’est quoi ce truc affreux ? Les cartels qui nous laissent de jolis « avertissements » ultra flippants. Très bien. On va tous mourir.

Si cette seconde scène est si énorme, c’est parce qu’on s’imagine malgré nous une menace absolument indéfinie mais pouvant surgir de nulle part. Cela n’est définitivement pas gratuit. C’est parce que tous les éléments sont méthodiquement mis en place par Villeneuve pour faire naître ce sentiment de stress : à la fois intradiégétique (à l’intérieur de la narration), et extradiégétique, via la mise en scène, la musique de Jóhann Jóhannsson, le fait qu’on épouse le point de vue étriqué de Kate. L’empathie nourrit la mise en scène, et inversement.

Puissant !

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Photo du film SICARIO
© Metropolitan Filmexport

Cette grosse scène d’action affiche également une intention nouvelle chez Villeneuve : incorporer son scénario, par l’épure, à l’environnement du film. Celui-ci ne se développera donc jamais vraiment par le dialogue ou l’explication directe, mais par l’univers et les actions des personnages.
Le lien entre ces deux aspects est Kate, un personnage neutre et d’emblée défini comme observateur. Villeneuve pousse donc au maximum le processus emphatique envers cette héroïne. Pour autant, cette empathie n’est pas frontale comme le voudraient les règles de l’entertainment, mais froide et distante comme d’habitude chez Villeneuve. C’est par la sensorialité qu’on s’identifie à Kate, et non via sa personnalité ou son vécu. La mise en scène vient ensuite puiser dans cette empathie pour se construire, non pas comme support d’un scénario, mais comme vecteur de tension. Cette tension TRÈS constante incite à scruter avec attention l’univers du film, pour pouvoir évaluer les différents dangers (physiques, moraux ; les manipulations). La gestion de l’information, composante majeure du cinéma de Villeneuve, ne se traduit pas oralement comme d’habitude, mais plutôt dans ce sentiment d’urgence constant distillé par le film.

« Une mise en scène puissante, rassemblant sensorialité, empathie et interactions personnages / environnement, au service d’une mythologie complexe. »

Villeneuve montre ainsi une nouvelle facette de son talent de scénariste : une intelligente et cohérente boucle rassemblant les aspects sus-cités pour construire, à partir de données réelles (les cartels, les guerres de drogues, l’intérêt économique – politique même), une mythologie complexe. À travers celle-ci filtre un aspect ultra-politique (comme dans Gomorra), qui rend compte d’une situation sans issue tout en mettant en perspective les intérêts de chaque gouvernement dans ce combat contre la drogue. Mieux encore, une certaine portée émotionnelle vient replacer, à l’improviste, les destinées tragiques individuelles au sein d’évènements d’envergures internationales. Le prisme du cinéma fait ainsi le lien entre réalité et fiction avec une maestria insoupçonnée.

Georgeslechameau

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