LE PONT DES ESPIONS

LE PONT DES ESPIONS, la leçon de cinéma de Steven Spielberg – Critique

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Avec LE PONT DES ESPIONS, Steven Spielberg conclut une étrange trilogie entamée avec Cheval de Guerre et Lincoln. Une sorte d’ode au cinéma classique américain qui s’appuie sur des événements historiques. Un double regard vers le passé, donc.

Si on a été assez mitigé face aux deux précédents films, LE PONT DES ESPIONS est une réussite plus franche, plus évidente, non pas dénuée de défauts, mais assez imposante à bien des égards pour mériter qu’on lui rende hommage.

L’article contient quelques spoilers sur divers moments du film.

Deux facettes de Steven Spielberg s’opposent dans ce PONT DES ESPIONS. On a d’abord, et c’est là nos principaux regrets, le Spielberg qui fonce tête baissée dans un refus de la subtilité presque gênant et le manichéisme. Comme lorsqu’il oppose le traitement dans les prisons soviétiques et celui des prisons américaines. Peut-être que ces scènes ne font que retranscrire le réalité de cette époque mais la façon avec laquelle on nous montre ces pratiques met en évidence un agaçant élan patriotique voulant nous marteler que, de toute façon, c’est mieux sur le sol américain. Même opposition gênante lorsqu’à la fin du film, Spielberg transpose aux USA une scène vue plus tôt en Allemagne. James, en mission, est dans un train allemand. Il voit par la fenêtre des gens se faire abattre alors qu’ils tentaient de franchir le mur séparant Berlin. Dans les dernières minutes, James est de retour chez lui, il regarde à nouveau par la fenêtre d’un train et, cette fois, il voit des enfants franchissant une barrière pour s’amuser. Spielberg sort ses gros sabots et la filiation entre ces deux passages s’effectue sans une once de finesse. C’est là, pile le penchant de son cinéma qui nous désopile alors qu’il a des atouts plus séduisants.

Photo du film LE PONT DES ESPIONS
© 2015 Twentieth Century Fox

Il fallait évacuer ces points noirs d’entrée pour mieux se concentrer maintenant sur toute la force du film. La maestria de Spielberg s’active dès la première scène, dans un succulent jeu de pistes. Mise en scène et rythme entrent en communion dans une scène de course-poursuite où on ne sait pas qui est qui et quel est le réel enjeu. Une ouverture brillante qui devrait être montrée dans toutes les écoles de cinéma. On a entendu des reproches sur le prétendu académisme du film et c’est un faux procès injuste. Steven Spielberg continue de prouver qu’il est un maitre dans l’art du cadrage. Des agencements fulgurants, des compositions millimétrées mais aussi un sens du montage qui lui permet, en un seul plan, de dire énormément. Il existe bons nombres d’exemples disséminés dans le film mais nous en avons choisis deux pour illustrer nos dires. Le premier intervient à la sortie du procès d’Abel. Le présumé espion soviétique échappe à la peine de mort. James (Tom Hanks) sort du tribunal et est bombardé de question par la presse. Il est enfermé, entouré d’une horde de journalistes, et déclare dignement vouloir faire appel de la décision du juge. A ce moment, Spielberg raccorde sur un plan du patron de James, voyant le petit prodige qu’il a mis sur le coup en train de dépasser ses espérances. Dans l’idées, il devait simplement offrir à l’espion une défense digne de l’Amérique. Il ne devait pas s’investir autant dans cette tâche. Avec ce petit plan, dissimulé dans l’engrenage du montage, Spielberg caractérise la puissance de la détermination de James.

Le second exemple intervient peu de temps après. Suite au procès, James est victime d’une attaque à son domicile. Après que la police soit venue, il rentre dans sa maison et voit ses deux enfants dans les bras de sa femme. Spielberg raccorde sur un plan de la femme qui le regarde. Elle ne l’accable pas, son regard est même plein de tendresse, de soutien. Là encore, en un seul plan, c’est tout une flopée de choses qui sont dites. Mieux, et c’est d’une puissance picturale grandiose, Spielberg reconfigure la place de cette femme dans le foyer. Elle n’est plus un obstacle aux envies de James (voir la scène de repas au début où elle est contre la prise en charge de ce dossier par son mari) mais un véritable pilier de la famille, qui soutiendra les enfants lorsque l’homme de la maison sera en mission. Plus tard, James sera en Allemagne et téléphonera à son domicile, il ne parlera qu’à sa femme et on comprend via le dialogue que les enfants vivent très bien sans lui. Le montage évacue la femme, ce n’est qu’un personnage secondaire après tout, pourtant Spielberg arrive à lui conférer une réelle force en un rien de temps, lui faisant dépasser le cadre du second rôle utilitaire. On pourrait causer encore des heures de la mise en scène, des idées justes (l’utilisation du travelling dans le champ-contrechamp lors de la première rencontre James/Hoffman), du grand moment de bravoure cinématographique (la scène aérienne) ou des idées intelligentes du montage (les ellipses lors du procès). Toutes ces idées ne sont pas de la frime mais de multiples éléments participant à la compréhension du récit et des enjeux, dans un soucis de fluidité qui frôle l’excellence.

Photo du film LE PONT DES ESPIONS
© 2015 Twentieth Century Fox

James quant à lui, rappelle tout un pan bien connu du cinéma de Steven Spielberg. Il est l’homme normal qui se retrouve acteur d’événements qui le dépassent. Il passe d’avocat en assurances à négociateur dans des affaires internationales pouvant aboutir à une guerre. Pour effectuer un parallèle, il serait un peu comme Ray dans La Guerre des Mondes, un simple docker qui doit survivre à une attaque d’aliens. Ce qui est doublement intéressant c’est que James est l’homme normal découvrant l’extraordinaire mais il est aussi l’élément externe, l’alien, qui entre dans un milieu qu’il ne connaît pas. Comme s’il était l’extraterrestre qui débarque sur Terre dans E.T. En somme, l’Allemagne serait un territoire extraterrestre, dans lequel il est largué sans repères et dans lequel il doit survivre pour atteindre son objectif dont la finalité est : rentrer chez lui. Tiens tiens, n’a-t-on pas déjà vu ça ?

Outre les thématiques récurrentes au réalisateur qui viennent jalonner LE PONT DES ESPIONS, les frères Coen apportent leur touche. Ils ont co-écrit le film et on remarque un humour délicieux à base de loufoquerie, de décalage. Comme cette réplique d’Abel (Est-ce que ça aiderait ?) qui revient à plusieurs reprises lorsque James lui demande s’il est inquiet. Tout chez Abel, de son physique à sa caractérisation psychologique, en fait un personnage issu de l’univers des Coen. Imaginez le deux secondes dans une de leurs œuvres et vous serez convaincu qu’il n’aurait aucun mal à s’y insérer. Les seconds rôles créent aussi parfois le décalage. Ce qui permet d’avoir, par exemple, une scène hilarante où James se retrouve face à la famille d’Abel alors qu’il doit rencontrer le prétendu avocat. Une parenthèse loufoque alors que l’enjeu est important. On se délecte de voir comment les deux frangins, par l’écriture, investissent le cinéma de Spielberg sans le parasiter, voir en gardant les obsessions de ce dernier.

Pour totalement être emporté par LE PONT DES ESPIONS, il faut être sensible à la veine humaniste du réalisateur américain. C’est sur point, si l’on excepte le manichéisme déjà évoqué, que le film peut et va diviser. Personne de mieux que l’impeccable Tom Hanks pour incarner cette homme dont le réel combat est de sauver des gens. Cette amitié américaine/soviétique pourrait être grotesque mais il passe outre la simple nationalité pour voir l’autre comme un homme. Une histoire qui résonne avec notre époque et démontre toute l’étendu du pacifisme mis en avant dans le long-métrage. Un message qui complète un film d’une ahurissante maîtrise formelle. LE PONT DES ESPIONS n’a certes pas, vu de l’extérieur, l’apparence d’un film clinquant. « Parfois les gens se trompent » dit Abel vers la fin du film.  Pour nous il s’agit de ne pas se tromper au sujet de Steven Spielberg, de savoir voir la fabuleuse leçon de cinéma qu’il délivre avec sérénité. Histoire qu’on se rappelle, si jamais nous en avions douté durant ses deux derniers films, qu’il est un maître incontestable du cinéma américain et mondial.

Maxime

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