RED AMNESIA a été chroniqué par ANTOINE dans le cadre de la rubrique : RÉFLEXIONS POÉTIQUES
Douzième long-métrage de Wang Xiaoshuai, RED AMNESIA, s’apparente parfois plus à une synthèse des motifs et thématiques du cinéma asiatique contemporain qu’à une œuvre totalement originale et singulière. Parmi ces récurrences établies, on retrouve généralement cet archétype de vieille dame un peu paumé (Mother de Bong Joon-ho), ce rapport complexe entre tradition (campagne, mythes) et modernité (urbanisation, évolution des mœurs), entre passé et présent, dont l’apparition de « fantômes » (Kyoshi Kurosawa, Apichatpong Weerasethakul) sert à tisser des ponts entre différentes temporalités tout en cristallisant une gamme de ressenti chère à ces personnages typés : culpabilité, incompréhension, peur, rachat etc. Pour tous ces cinéastes asiatiques qui s’interrogent sur le devenir du continent, et plus particulièrement pour les cinéastes chinois comme Wang – cinéaste issue de la sixième génération (Jia Zhang-ke, Zhang Yuan, Wang Bing, etc.) – il s’agit surtout de mettre en parallèle les conséquences du régime maoïste et de la Révolution Culturelle avec l’occidentalisation accélérée des années 1980 et 1990 avec ici, en sous texte, une critique sur la manière de vivre des deux fils, l’un homosexuel décontracté, l’autre père de famille bourgeois.
Ayant déjà traité à plusieurs reprises ces sujets (dans Beijing Bicycle, Shanghai Dreams, 11 fleurs, etc.), Wang excelle lorsqu’il s’agit de dépeindre l’incompréhension qui s’empare des personnages, leur isolement, leur individualisme, etc. Ainsi, il parvient brillamment à leur insuffler une épaisseur humaine, y compris chez ces personnages « spectraux » qui viennent hanter leur appartement (l’enfant à la casquette rouge). La culpabilité enfouie de cette dame (excellente Lu Zhong), bien que d’origine personnelle (elle prend forme au sein de représentations oniriques), s’irradie et finit par s’incorporer dans chaque lieux et chaque personnages. À ce titre, Wang apporte un soin tout particulier à la direction artistique ; chaque immeuble, matière ou objet, tendent vers ce sentiment de regret et de nostalgie qui émane de l’atmosphère anxiogène du film. Un rôle qui est également dévolu à la thématique du retour – sorte de leitmotiv du film dans son sens régressif du retour en arrière – qui fonctionne et diffuse merveilleusement sa tonalité mélancolique. Mais c’est aussi parfois dans son traitement perfectionniste, jusqu’au-boutiste, que RED AMNESIA perd un peu de son âme et laisse transparaître un sentiment d’automatisme dans sa mise en scène ultra-léchée. Peut-être qu’à force de travailler les mêmes motifs et les mêmes thèmes, Wang s’est laissé aller à une sorte de facilité naturaliste (le plan sur la balançoire par exemple) que peut engendrer parfois l’esthétique du réalisme social. Se pose alors la question de savoir si le fait que l’œuvre soit en partie autobiographique – les parents de Wang ont eux-mêmes été délocalisé dans une région rurale – ait, de quelque manière qu’il soit, influencé ses choix esthétisants et certaines de ses lourdeurs scénaristiques vers une propension à effacer tout mystère, voire tout lyrisme.
« C’est aussi parfois dans son traitement perfectionniste, jusqu’au-boutiste, que RED AMNESIA perd un peu de son âme et laisse transparaître un sentiment d’automatisme dans sa mise en scène ultra-léchée »
Car au final, il est extrêmement difficile de s’émouvoir devant RED AMNESIA, objet hermétique, qui a davantage des allures de démonstration de force que d’œuvre sincère et intime. A l’instar du dernier film de Jia Zhang-ke (Au-delà des montagnes, 2015) – dont la structure narrative horizontale semblait presque trop simpliste face à l’impressionnante structure verticale de A Touch of Sin (2013) – RED AMNESIA « échoue » pour à peu près les mêmes raisons : les oppositions sont trop marquées et trop faciles pour vraiment rendre compte de l’évolution de la Chine au-delà des idées préconçues et entendues d’une vision occidentale.
Bien que le film possède des qualités indéniables (comme le dernier Jia Zhang-ke d’ailleurs), la naïveté du traitement confère au film un aspect élémentaire qui ne lui sied guère. D’autant plus que Wang reste un excellent metteur en scène, capable de véritables fulgurances (la course finale de la vieille dame) qui doivent néanmoins lui permettre de signer des œuvres plus nourries et plus denses, loin de tout schématisme manichéen forcément un brin désuet à notre époque.
Antoine Gaudé
D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?
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• Titre original : Chuangru Zhe• Réalisation : Wang Xiaoshuai
• Scénario : Feng Lei, Li Fei et Wang Xiaoshuai
• Acteurs principaux : Lu Zhong, Shi Liu, Hao Qin, Feng Yuanzheng…
• Pays d’origine : Chine
• Sortie : 4 mai 2016
• Durée : 1heure 45 minutes
• Distributeur : Les Acacias
[toggler title= »Synopsis : » ]Deng, retraitée têtue, semble compenser le vide laissé par la mort de son mari par une activité de chaque instant, dévouée à organiser la vie de ses enfants et petits-enfants. Sa vie est bouleversée le jour où elle commence à recevoir de mystérieux appels anonymes et à être suivie lors de ses sorties quotidiennes… [/toggler]
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