Les Histoires d’amour. Un exercice cinématographique aussi compliqué que l’amour lui-même. Du moins, il peut l’être. Un tragique choix s’offre à chaque metteur en scène : éviter, ou bien se complaire, aussi bien allègrement que grassement dans les poncifs ? Du miel pour satisfaire le spectateur, lui vendre de l’illusion ? Lui faire croire aux belles histoires simplettes tout en guimauve ? Comme un conte pour enfant, le mener par le bout du nez et le gaver de sucre pur tout en lui faisant croire à la beauté et à la simplicité de l’amour ?
Heureusement pour les quelques esprits alertes bien ancrés dans la réalité, certains réalisateurs décident de ne pas prendre ce chemin et de montrer la dureté que peut avoir l’amour. Spike Jonze, de la simple bluette commune décide de tirer un film à la portée universelle, cruelle et vraie, en insufflant une bonne dose de sincérité accompagnée d’une réflexion philosophique finement disséminée. Un réalisateur qui nous remet les pieds sur terre.
Car oui, fini le temps des belles histoires sans obstacles parfumées à l’eau de clichés. Ici, Joaquin Phoenix est amoureux d’un système informatique. Premier choc, premier impact. L’amour trans-genre. En nous dévoilant cette relation Spike Jonze nous surprend d’abord puis nous amuse. Il est évidemment impossible de ne pas hisser un petit sourire face à ce synopsis en apparence basique mais décalé. Mais une fois l’étonnement et l’amusement dépassés, une question s’instille doucement entre nos oreilles : qu’est ce que l’amour ? Un homme et une femme ? Simplement ? Obligatoirement ? Un premier point qui pose le débat. Et par la suite, d’autres questions arrivent : qui sommes nous pour juger la validité d’un amour ? L’amour doit-il forcément respecter les conventions ? Par quoi est il dicté ? Et surtout, doit-il être dicté par un quelconque code ?
A toutes ces questions, le réalisateur répond par un tour de force. Un tour de force de mise en scène. En effet, sur toutes ces interrogations (et elles sont encore plus nombreuses que la simple demi-douzaine ci-dessus) il arrive à balayer tous les arguments et contre-arguments que l’on pourrait avoir sur ces sujets. En plus de poser le débat, il s’efforce d’y répondre.Tout le long du film, on se laisse bercer, enivrer et emmener au gré des différentes réactions que peuvent provoquer certains thèmes abordés. Et Spike Jonze est alors un maitre lorsqu’il réussit finalement à développer une somme de réponses colossale tout en laissant finalement plusieurs choix aux spectateurs. Présentateur d’idées et éclaireur, mais jamais dictateur.
S’il se pose en médiateur d’une manière si parfaite, c’est, bien entendu, par la qualité de sa réalisation. Magique, légère, virevoltante, enivrante, époustouflante, fine… bref, parfaite. Les cadrages sont desservis par une photo plus que magnifique, et l’excellente osmose entre les décors et les costumes est exceptionnelle. Si du conte enchanté le réalisateur en a retiré la substance, il en a tout de même gardé l’esthétique. Cette beauté visuelle va alors de paire avec le propos principal : l’amour. Cette histoire enchanteresse colle parfaitement au thème visuel : à la fois beau mais décalé. La mise en scène est donc parfaite, unique et extraordinaire.
La forme touche à la perfection, le fond est détonnant.
La forme touche à la perfection, le fond est détonnant, intéressons nous alors au confluent des deux : le casting (aussi bien jolies statues qu’acteurs portant la sensibilité de l’histoire sur leurs épaules). Et c’est alors que nous éclabousse le talent de l’ordinateur. Ouais je sais, super blague. Plus sérieusement, commençons par Scarlett Johansson qui réussit une performance surprenante et juste en prêtant sa voix à ce système informatique. Tremblante, timide ou joyeuse, elle réussit par de fines tonalités à réellement donner vie à ce personnage abstrait à la présence si concrète. Et que dire de Joaquin Phoenix. Je l’aime, certes, mais tout de même, qui ne reconnaitrait pas son immense talent qui sublime et abasourdi de plus en plus à chaque nouveau film ? Fragile et férocement attachant, il ne peut que par la justesse de son jeu nous embarquer avec lui dans ce fou tourbillon qui le submerge. Et toujours juste en sensibilité, il sait retransmettre les plus infimes émotions de manière folle afin de créer un personnage totalement unique et inoubliable.
Malgré les dérives métaphysiques et philosophiques que j’ai pu aborder, le film n’en reste pas moins une valeur sure simple. Si le film n’est pas aussi simplet qu’il peut en avoir l’air, il sait aussi rester un très bon divertissement. Une histoire raffinée et amusante qui sait aussi faire plaisir aux spectateurs. Là encore félicitons la réalisation car elle permet d’avoir plusieurs niveaux de lecture du film. Et elle offre une film plus qu’agréable à regarder.
Alors me voilà dithyrambique et joyeusement pessimiste. Montrer l’amour, les jugements et les fausses idées que l’on peut s’en faire m’a énormément plu. Film alors parfait ? Malheureusement non. Me voilà ici simplement déçu. Et déçu justement par ce scénario. En effet, Spike Jonze reprend ici la trame de l’épisode un de la saison deux de la magnifique et bouleversante série BLACK MIRROR. Loin de moi l’idée de lui faire un procès d’intention, mais tout de même, bordel qu’est ce que cela y ressemble ! A part quelques détails, la majorité de l’intrigue est la même. On a l’impression d’assister à un simple développement de l’épisode en longueur. Cependant, le réalisateur y met évidemment sa patte et acquiert une portée plus ample par la longueur de son film. Et ma remarque n’est qu’une remarque de déception que certaines personnes, n’ayant jamais vu la série, n’auront évidemment pas. Mais lorsque la révolution du genre a déjà été faite, mais moins vue à cause d’un statut moindre, est-ce encore une révolution ?
Quoiqu’il en soit Spike Jonze nous offre un film magnifique à la qualité (aussi bien scénaristique que visuelle) parfaite et nous embarque avec lui pendant un voyage à la fois plaisant, réjouissant et triste. Un pur film d’émotion.