[dropcap size=small]A[/dropcap]i-je déjà fait part de mon viscéral et sanguin amour pour les frères Coen ? Je ne pense pas. Et tant mieux. Lorsque l’on s’attaque à ses fétiches, il est alors complexe de se trouver à la hauteur. Interminable insatisfaction, le travail n’en finirait jamais. Non pas que l’article soit digne ou satisfaisant, non, loin de là, mais parce que le souci, pas de bien faire, mais d’essayer de bien faire, est alors constant. On tente d’être à la hauteur, on ne le sera jamais. Naît alors une profonde frustration et une évidente clairvoyance. : le talent est leur, la constatation est mienne.
Alors comment tenter de tenter d’être au niveau ? La peur de l’échec pousse souvent à simplement éviter de se soustraire à une vaine tentative maladroite de critique élégante, jouissive et parfaitement maîtrisée. Car voilà les clés de leur cinéma si particulier, unique et renversant. Ou alors, on profite de l’arrivée d’une série inspirée par un film dont ils étaient à la réalisation. Critiquer une produit dérivé d’une oeuvre originale se voit alors comme une bonne alternative rassurante. Si le produit second est moins bon, cela autorise une critique du même niveau dans laquelle on peut tout de même glisser quelques éloges aux maîtres.
Nous voilà donc avec FARGO, la série. Magnifique film des frères Coen à la réalisation tout aussi implacable que parfaitement maitrisée, la série peinait dès sa simple idée conceptuelle du poids d’une origine forte. Être la fille d’une telle oeuvre amenait énormément de pression. Pression négative pouvant s’avérer délétère par la volonté de ne pas décevoir les fans mais aussi pression positive pour relever le défi d’être une série d’une qualité équivalente au film.
Le verdict est sans appel : la série réussit brillamment son pari. Ce qui m’enchante et me désole ; désormais, il va falloir livrer une critique d’assez bonne qualité. Le premier indice à cette réussite fut pour moi la chaîne productrice : FX. Chaîne américaine dont j’apprécie particulièrement la programmation : Nip/Tuck, Sons Of Anarchy, Archer, Louie… La base de la création était donc plutôt solide. La confiance portée par la chaine ainsi que la liberté qu’elle accorde à chacune de ses créations permet évidemment un épanouissement total pour le déroulement d’une histoire délicieusement macabre. Et cette liberté s’exprime aussi bien dans l’écriture que dans la réalisation.
Effectivement, la série n’hésite pas à avoir recours à la violence. Aucune violence gratuite, je vous rassure. Chaque réalisateur a sa forme de violence : celle cathartique et tragique de Scorsese, celle aussi théâtrale que drôle de Tarantino, celle ultra-esthétisée de Nicolas Winding Refn, celle glaciale et chirurgicale de Haneke… Ici, on a celle des frères Coen. Cette forme de violence brutale, absurde, suscitant le rire nerveux, décalée, mais toujours finalement en accord avec le propos philosophique. Pour s’en rendre compte, il suffit simplement de regarder le pilote qui réussit à cristalliser tout cela et donner un aperçu extrêmement précis de ce que sera la série au cours des 10 épisodes composant cette première saison.
Ce que le magnifiquement maîtrisé pilote réussit à cristalliser aussi, c’est la force de l’écriture. La série fait honneur au talent de conteur des frères Coen. La ligne narrative est exceptionnellement riche et complexe. Et elle réussit bien entendu le tour de force d’être extrêmement fluide et plaisante à suivre. L’intrigue est large et entremêle élégamment plusieurs destinées. Les dialogues sont riches, parfaitement rythmés. L’intrigue avance alors aussi bien au gré de l’action que des paroles. L’histoire qui se déploie sous nos yeux n’a d’égale que la richesse des caractères qu’elle présente.
Le casting est évidemment un point fort de la série. Bob Odenkirk de Breaking Bad est irrésistible en policier local. Le rôle lui colle à la peau comme un tatouage de jeunesse fait à l’école à l’aide d’un compas et d’une cartouche d’encre : indélébile et débile. Martin Freeman, aussi connu pour son excellente prestation du Docteur Watson dans la série SHERLOCK, signe ici aussi une composition plus que parfaite dans le rôle d’un vendeur en assurance coincé dans sa routine quotidienne aussi passionnante que les chutes de neiges qui composent le décor de sa ville. Et Billy Bob Thornton, escroc/assassin, est aussi tranchant que sa cléricale coupe.
Le casting, factuellement, est donc excellent. Cependant, ne négligeons pas le reste des personnages. Enorgueillit de têtes d’affiches, la série ne tombe alors tout de même pas dans la vanité et le cabotinage. Chaque personnage est travaillé aussi bien psychologiquement que physiquement. Chaque acteur possède une vraie identité aussi bien abstraite que concrète. La série alors, à l’image de l’écriture et des intrigues, brasse une population de protagonistes et ce, sans jamais perdre le spectateur. La galerie est impressionnante et cohérente. Aucunement l’on se sent lésé ainsi que perdu. Et même, on accorde un égal intérêt et souci à chacun d’entre eux.
La série est donc extrêmement impressionnante par la maitrise qu’elle dégage d’une telle complexité. Cette richesse magnétique et folle est déjà en soi un exploit. Mais FARGO repousse alors les limites lorsqu’en plus elle nous permet d’assister à l’évolution des personnages et devient alors une fresque sociale conséquente. Enjeux, pouvoirs, relations, les thèmes abordés sont nombreux. Le seul exemple le plus flagrant que je citerai ici afin d’éviter tout spoil, est la métamorphose du personnage interprété par Martin Freeman. Pulsions inassouvies, désirs, bassesse, lâcheté, bref, l’humain dans toute sa splendeur est ici croqué.
« La philosophie absurde essentielle comme moteur et chef d’orchestre de l’histoire. »
Si l’humain est aussi bien dessiné, c’est grâce à cette manière si particulière de raconter une histoire, découlant directement du style des frères Coen. Le ton parfait entre la description juste de la réalité et l’expansive et disproportionnée absurdité que la tournure des événements peut prendre parfois. L’irruption de folie dans une mécanique monotone. La collision de milieux censés ne jamais se croiser comme élément déclencheur, révélateur des tréfonds humains. La philosophie tragico-absurde essentielle comme moteur et chef d’orchestre de l’histoire.
Si le propos est aussi bien desservi, c’est grâce, vous vous en doutez, à une réalisation plus qu’honorable. Une palette colorée toujours en accord et cohérente nous plonge directement dans l’univers de la série : l’anorak rouge, la neige d’un blanc pur… Tout participe à une peinture caractéristique et réjouissante. Décor, stylisme mais aussi musique évidemment. La bande son est un régal et souligne parfaitement les moments clés de l’histoire. S’avérant aussi parfois drôle, elle arrache le sourire grâce à un thème récurrent qui amène le spectateur à se sentir toujours de plus en plus à l’aise dans cet univers et lui faire alors ressentir les événements dans le bon ton. Pour parachever cela, il suffit de souligner l’extrême habileté de la réalisation qui permet de mettre en exergue grâce à ses plans le côté absurde aussi bien des personnages que des situations. Et mention spéciale au plan séquence de l’épisode 7 que je vous laisse découvrir avec plaisir et tranchant sourire aux lèvres.
L’absurdité d’une critique tient quant à elle en son ambivalence. Réussir à être prolixe tout du long, tout en sachant être minutieusement succinct pour sa conclusion. Alors soyons bref tout en essayant d’être à la hauteur. Digne héritière, parfaitement absurde, implacablement bien écrite et mise en scène, FARGO est une série renversante, enivrante et extrêmement travaillée livrant un plaisir aussi glaçant que l’univers enneigé dans lequel elle baigne.
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• Saisons : 1• Nombre d’épisodes : 10
• Format : 50 minutes
• Date de 1ère diffusion US : 15 Avril 2014 (FX)
• Titre original : Fargo
• Création : Noah Hawley
• Avec Bob Odenkirk, Billy Bob Thornton, Martin Freeman
• Synopsis : En 2006, Lorne Malvo arrive dans la ville de Bemidji, dans le Minnesota. Il influence alors la population locale, de par sa violence et sa malice, et notamment le commercial en assurance Lester Nygaard.
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