Photo du film IL BOEMO
Crédits : Nour Films

IL BOEMO, découvrir un génie méconnu et ne plus l’oublier – Critique

Mis à part le riche scénario, IL BOEMO vaut le détour pour ses décors et costumes, absolument incroyables. Venise est si bien mise en valeur qu’elle devient presque un des personnages principaux. Certains plans sont magnifiques, notamment les scènes d’opéras dans les théâtres italiens. La musique, au cœur du film, est une des grandes qualités du métrage de Petr Vaclav.

Tout y est. Tous les éléments du film historique sont réunis. La Venise du XVIIIe : brumes, gondoles, palaces, masques et mystères. Les effusions de  sentiments. Fierté, jalousie, rage, joie et désir. La lueur des bougies. Les dentelles. Les moquettes fleuries. Les décolletés ornés de bijoux, eux-mêmes agrémentés de pierres précieuses. Et un nom, un nom célèbre et poétique : IL BOEMO.

Photo du film IL BOEMO
Crédits : Nour Films

IL BOEMO, c’est le surnom de Josef Mysliveček, compositeur d’origine tchèque, né à Prague en 1737 et mort à Rome en 1781, qui a vécu une carrière fulgurante. Fils de meunier, étranger sans le sou, il débarque en Italie avec comme seul bagage son immense talent brut. Le réalisateur Petr Vaclav a choisi de s’attaquer à ce génie oublié pour son sixième film, personnage historique dont il est très familier puisqu’il travaille sur ce projet depuis dix ans et lui avait déjà consacré un documentaire en 2015, Confessions d’un disparu.

Le film s’ouvre sur la mort du compositeur, cadavérique, à moitié rongé par une maladie vénéneuse (probablement la syphilis), un trou à la place du nez, qui donne à son visage une allure de crâne. Dès les premières secondes, on sait déjà comment il va finir : seul, pauvre et malade. Petr Vaclav a choisi un axe narratif classique dans l’art du biopic, et qui fonctionne très bien dans le cadre de la vie du Mozart tchèque : commencer par la fin. Sceller son destin, tuer le suspens. Le spectateur n’a donc plus qu’à assister à la progression du héros, sa montée, sa gloire, son apothéose, en attendant péniblement, impuissant, sa chute certaine. Comme devant une tragédie grecque, l’engrenage inarrêtable confère au film une tension dramatique intéressante.

Pendant presque deux heures trente, on suit donc le cours de la vie du compositeur, les rencontres et opportunités qui l’amènent au succès retentissant, avec une attention particulière sur la façon dont celles-ci vont changer (ou non) sa conception de l’Art, de son travail. Sa carrière est intimement liée à ses liaisons avec des femmes, de plus en plus riches et influentes, certaines ayant littéralement pris en charge son destin. Le film est très proche de l’esthétique baudelairienne, avec des thématiques similaires à celles omniprésentes dans les textes du poète (l’Idéal, le libertinage, l’appel de la chair, la cruauté, la misère…), ce qui le rend très lyrique, beau et singulier.

La bande originale de IL BOEMO est impressionnante, enregistrée par l’orchestre baroque de Prague Collegium 1704. Mention spéciale pour le personnage complexe et profond de “La Gabrielli”, cantatrice talentueuse et tourmentée, interprétée par Barbara Ronchi et doublée par la chanteuse slovaque Simona Saturova.

Photo du film IL BOEMO
Crédits : Nour Films

Un léger défaut à noter cependant : malgré tous les drames qui se jouent, on reste à distance, on ne ressent pas une immersion totale dans le film, dont émane une certaine froideur globale. Les émotions que traversent les personnages ont du mal à nous être transmises, peut-être à cause du jeu de l’acteur principal (Vojtěch Dyk), assez flegmatique et sec.

Il manque aussi un contexte historique et politique qui aurait pu nourrir le film et en faire une œuvre encore plus complète. Très centré sur la vie du personnage, légèrement sur la décadence de l’époque, Petr Vaclav ne va pas jusqu’à proposer un regard englobant sur la société, sur les événements de l’époque en Italie ou en Tchéquie. Il y a tout de même une caricature terriblement jouissive du jeune roi, inculte et grossier, qui réussit à poser six questions sur les poissons dans une conversation de deux minutes avec le musicien.

C’est finalement ce personnage royal et grotesque qui nous offre un des monologues les plus touchants du film : il vient voir le compositeur dans sa loge pour lui décrire naïvement, avec des mots simples et justes, ce qu’il a ressenti face à son opéra, qui l’a replongé dans la solitude de son règne, arraché très jeune à sa famille et à ses racines. C’est alors le triomphe des émotions, provoquées par la musique, sur tout le reste, le parcours, le sexe ou la richesse de ceux qui l’écoute. C’est tout le propos du film : l’universalité de la Beauté et de l’Art, qui épouse pourtant quotidiennement les failles de l’ambition et du désir.

Agathe ROSA

Note des lecteurs8 Notes
r6soj 5 - IL BOEMO, découvrir un génie méconnu et ne plus l’oublier - Critique
Titre original : Il boemo
Réalisation : Petr Vaclav
Scénario : Petr Vaclav
Acteurs principaux : Vojtech Dyk, Lana Vlady
Date de sortie : 21 juin 2023
Durée : 2h20min
4
Excellent

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