Une actrice entre dans la vie d’une femme au passé scandaleux dont elle va interpréter le rôle : MAY DECEMBER est un beau film, avec des personnages ambigus et sans leçon de morale.
Vingt ans auparavant, la relation de Gracie et Joe a fait scandale : elle avait trente-six ans et lui treize. Le temps a passé, ils sont mariés et ont des enfants. Elizabeth Berry (Natalie Portman) est une actrice qui va interpréter le rôle de Gracie Atherton (Julianne Moore) dans un film inspiré de ce fait divers. MAY DECEMBER, qui tient son titre d’une expression anglaise signifiant une relation avec un grand écart d’âge, montre Elizabeth préparant son rôle en allant habiter quelque temps chez le couple et ses enfants. Avec ce film, le réalisateur américain Todd Haynes décrit l’ambigüité morale et met, par effet miroir, deux femmes en opposition.
Le film se heurte à un problème : les personnages retrouvent trop souvent leurs démons psychologiques. Les scènes de larmes semblent être forcées par le dispositif du film, ce qui produit un certain assèchement émotionnel. On pourrait faire un lien avec la musique du long-métrage, réarrangement de la bande-originale de « The Go Beetween » de Joseph Losey, composé par Michel Legrand : la partition, trop présente, participe à une certaine artificialité du film. Malgré cela, MAY DECEMBER est réussi : Todd Haynes va au delà du fait divers scandaleux et du sensationnalisme en ne tombant pas dans la leçon de morale surplombante et en adoptant le point de vue d’Elizabeth. Un regard extérieur se pose sur le couple et sur cette famille au bord du dysfonctionnement. Elizabeth est là pour observer, analyser les gestes, la psychologie de Gracie et, pour étoffer son rôle, elle mène de petites enquêtes sur le couple et son histoire, dont elle va explorer les zones d’ombres.
La réussite du film est également visuelle grâce à une très belle lumière orchestrée par Christopher Blauvelt (collaborateur récurrent de Kelly Reichardt, réalisatrice notamment de First Cow ou Showing Up). Ces couleurs chaudes et douces de la Géorgie du Sud accentuent l’ambivalence du film. Todd Haynes s’attarde sur cette nature luxuriante et plus particulièrement sur les chenilles que Joe (Charles Melton) élève, qui sont un refuge pour lui. Ces séquences vaporeuses, presque oniriques, servent d’apaisement aux élans émotifs du reste du film.
La qualité du film tient aussi à l’ambigüité des personnages. Par exemple, on ne sait jamais comment aborder Gracie : elle est à la fois inquiétante et pleine de candeur. Une ambigüité accentuée par la scène où elle répète devant un miroir, « Je suis naïve », de manière terriblement persuasive. Juliane Moore interprète à merveille cette double face.
Une des séquences de la fin du film accentue le caractère inquiétant, voire terrifiant, de Gracie. La remise de diplôme de ses enfants approche mais Gracie a disparu. Les enfants s’interrogent et Joe leur explique qu’elle est sûrement partie chez l’esthéticienne. Un montage alterne la montre avec son fusil et ses deux chiens, manifestement en train de chasser : plans presque cauchemardesques avec une inversion des clichés de représentation du genre féminin.
L’opacité de Gracie trouve un écho dans l’attitude d’Elizabeth, qui ne manque pas non plus d’ambigüité : elle ne se contente pas d’observer, elle s’immisce dans la vie du couple, jusqu’à coucher avec Joe. Ainsi malgré une artificialité parfois débordante, le film ne laisse jamais indifférent et plonge le spectateur dans un questionnement permanent.
Adrien
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
Si vous souhaitez écrire une actualité, une critique ou une analyse pour le site, n’hésitez pas à nous envoyer votre papier !