IL ETAIT UNE FOIS EN AMERIQUE

IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE, un chef-d’œuvre colossal – Critique

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Longtemps charcuté d’un pays à l’autre entre sa toute première sortie et aujourd’hui, le chant du cygne d’un cinéaste virtuose ayant marqué l’histoire du cinéma nous revient dans une version ultime et miraculeuse de 4h11.

Un écrin imposant qui semble enfin s’avérer être la version d’origine voulue par son auteur. L’occasion trop belle pour nous, spectateurs, de nous laisser emporter une fois encore par cette odyssée nostalgique inoubliable et d’une ambition démesurée.

IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE  nous narre l’histoire de Noodles, un jeune truand amené à grandir et vieillir au fil des différentes périodes de ce pays. Là, il va découvrir l’amitié, l’amour, la violence et la trahison. Évidemment, son cheminement ne se déploie pas d’une manière chronologique linéaire mais vient piocher à tel ou tel endroit les moments les plus importants de sa vie dans un va-et-vient temporel . Le réalisateur nous présente au départ son œuvre comme un film de gangsters où tous les clichés vus auparavant dans le genre sont recyclés. Il la transcende bientôt avec une mise en scène moderne et élégante où le moindre plan, de par son cadrage ou un mouvement de caméra parfait, transpire le cinéma. Avant de progressivement la transformer en un mémorable travail sur la mémoire, bien aidé par une partition musicale absolument sublime, fruit miraculeux de la dernière collaboration de deux légendes, dont l’une nous a quitté définitivement trop tôt. Car le travail une nouvelle fois remarquable du mythique compositeur Ennio Morricone, que son ami Sergio Leone voyait d’ailleurs comme son “dialoguiste”, ne peut que forcer l’admiration. On est pas prêts d’oublier la chute mortelle au ralenti du très jeune ami de Noodles sur ces notes de flûte de pan ou la douceur du thème de Deborah (Elizabeth McGovern). Si la musique se révèle indéniablement une des pièces maîtresse de ce morceau de bravoure filmique, il convient de préciser également qu’absolument tout le reste, du casting à la reconstitution historique semble parfaitement parfait.

L’ouverture du film est particulièrement sombre : une belle jeune femme se fait froidement abattre dans une chambre à la suite d’un interrogatoire n’ayant pas satisfait les crapules venus lui soutirer une information. On retrouve immédiatement leurs sales gueules (depuis ses westerns, Leone a conservé ce don pour dénicher des “gueules”, y compris pour ses personnages secondaires), transformés en bourreaux d’un homme rondouillard, aveuglé par le sang ruisselant de tous les orifices de sa pauvre face. Leone nous assène d’emblée une violence déjà présente dans ses précédents films, mais pas exposée aussi crûment et explicitement qu’ici (la torture et le viol notamment). Ses doutes, ses obsessions et ses vices, d’ailleurs inhérents à l’homme, sont insufflés tout au long de cette pellicule, et concourent à en faire son film le plus personnel. Mais ce prologue nous rendant instantanément mal à l’aise, voir choqués, ne nous laisse en rien entrevoir le tourbillon d’émotions toutes plus différentes les unes des autres dans lequel nous serons emportés.
Car IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE , c’est avant tout une succession de scènes marquantes, qui viennent nous saisir dans des registres jamais semblables.

Ainsi, on sourira grivoisement devant les déboires sexuels de la généreuse Peggy, la coquine du quartier. Impossible ensuite de ne pas s’attendrir lorsque le petit Jimmy, attendant devant la porte d’entrée de cette dernière, décidera finalement de se jeter à pleines bouchées sur la pâtisserie auparavant destinée à être troquée contre une initiation au sexe : la beauté et la pureté innocentes de l’enfance l’emportent alors sur les pulsions adultes. On citera également ce moment où un vieillissant Noodles (Robert De Niro) passe ses yeux fatigués au travers du mur troué au dessus des toilettes du bar de son ami Moe, encore convalescent après les maltraitances subies plus haut. Alors, la caméra s’avance, au plus près de ce regard qui envahit bientôt tout l’écran et donne lieu à une magnifique transition temporelle, par la suite maintes fois imitée, mais jamais égalée. Plus tard, nous nous indignerons de la manière dont se conclura l’échappée romantique de Noodles et Deborah. Se comportant d’abord tel le prince charmant rêvé lors d’une séquence sortie d’un véritable conte de fées, il gâchera ensuite cette parenthèse éphémère, redevenant une bête humaine prisonnière de ses vices, nous laissant pantois devant ce triste spectacle.

La version rare et ultime d’un chef-d’œuvre colossal.

Il maestro Sergio orchestre tout cela avec une virtuosité frisant l’insolence. De la direction d’acteurs époustouflante à la mise en scène sidérante de maîtrise, il apparaît bien difficile de ne pas s’extasier ou, plus objectivement, d’admettre tout l’amour du cinéma qui s’en dégage. Les recadrages et les zooms se multiplient, les points de vue alternent constamment, les décors reconstitués jusqu’au maquillage forcent le respect et la musique, en plus de nous régaler les oreilles, s’installe dans notre cœur pour ne plus le lâcher, contribuant grandement à agrandir le tourbillon d’émotions venu nous enlever. Inventeur d’un nouveau genre, le bonhomme a également dynamité un découpage classique dont il a transgressé les règles et qui ont été souvent reprises par d’autres cinéastes. De ce fait, il n’est pas surprenant de retrouver tous ses tics, y compris la dimension expérimentale avec les très gros plans ou un étirement visuel et sonore (la sonnerie du téléphone au début), que l’on peut aussi retrouver dans les nouvelles scènes.

Bien que faisant évoluer ses personnages au travers d’une époque de l’Amérique en pleine mutation, le réalisateur italien semble moins intéressé à dresser l’histoire du pays comme le titre et la durée le suggéreraient. Il nous parle plutôt à travers le parcours de ces enfants devenus adultes puis vieillissants, de notre condition de vie humaine et de notre rapport au temps, de la façon et la vitesse à laquelle il peut construire et déconstruire, prendre et reprendre. Cette histoire intime brasse des thèmes universels auxquels nous sommes tous confrontés, ou le serons inéluctablement un jour ou l’autre. La nostalgie, les regrets et les souvenirs sont véritablement au centre de son histoire, en témoigne les nombreux flashbacks surgissant lors de la dernière période de la vie de Noodles ou des autres protagonistes. Dans cette nouvelle version, certaines scènes inédites prolongent ces rêveries d’une manière pas inintéressante mais pas forcément si indispensable que cela, tant les précédents montages de plus de 3h réussissaient déjà parfaitement et d’une bien jolie manière à susciter rapidement notre empathie.

La curiosité du fan ou de tout autre spectateur ayant aimé cette symphonie filmique sera comblée alors que les autres pourraient trouver le moment un peu long. Rehaussée également par des dialogues venant épaissir toujours plus une histoire magistralement racontée, on serait néanmoins parfois en droit de se demander si, au-delà de la prouesse technique et de la beauté du geste d’assembler toutes ces prises au départ coupées par Leone lui-même, l’entreprise n’apparaît pas parfois un peu exagérée. Exagérément dense ou inutilement longue. Sans oublier aussi que le style de l’italien peut ne pas plaire. À vous de vous positionner. En ce qui me concerne, à la lecture de tous mes mots précédents, mon positionnement semble assez clair et ce texte, ainsi que la note finale qui l’accompagne, tiennent aussi de l’hommage à l’ensemble de l’œuvre d’une personnalité importante du cinéma. En effet, le transalpin a été un passeur entre plusieurs formes et styles de cinéma. Du cinéma classique au contemporain mais aussi japonais à occidental. Il n’est d’ailleurs pas anodin si le premier western faisant d’un certain Clint Eastwood une star, était un remake du Yojimbo de Akira Kurosawa. Moins connu mais dans la continuité de cette affirmation, le cinéaste se plaisait à introduire un côté farceur, “bon-vivant” et débordant, aussi présent dans la filmographie du japonais (on mange et boit dans quasiment tous les films de l’italien). Quentin Tarantino s’inspirera peu après de Sergio Leone, qui lui s’inspirait d’Akira Kurosawa : cette singulière trinité a donné lieu à un véritable transfert culturel, faisant exploser définitivement ces barrières au cinéma.

À l’époque, son travail enfin reconnu légitimement avec Il était une fois dans l’Ouest nous avait fait découvrir un réalisateur alors au sommet de son art, enclenchant une trilogie sur l’Amérique avec le picaresque et politiquement corrosif Il était une fois la révolution qui suivra (bien que mineur), avant de venir à nouveau tutoyer des hauteurs vertigineuses avec cet ultime chef d’œuvre.

Loris

Note des lecteurs32 Notes
4.5

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