Avant Rob Zombie, il y a Robert Bartleh Cummings. Né dans une famille de forains, il développe depuis sa plus jeune enfance une certaine admiration pour les personnages étranges. Quoi de plus normal lorsqu’on baigne dans un milieu où l’on voit à longueur de journée les gens se travestir. Dans la foulée, il se passionne très vite pour le cinéma d’horreur. Toute cette culture qu’il emmagasine sur le sujet va dans un premier temps lui servir lors de sa première carrière : il devient le leader de White Zombie, un groupe de métal qui tire son nom d’un film horrifique des années 30. Ses paroles, ses clips et tout ce qui entoure le groupe sont truffés de références au cinéma de genres. Puis ce qui devait arriver arriva. Devenu Rob Zombie depuis plusieurs années, le bonhomme se tourne vers le 7ème art et entame une seconde carrière comme metteur en scène avec La Maison des 1000 Morts.
A première vue, on pourrait qualifier le travail de Rob Zombie de brutal et grandiloquent, toujours rythmé par une violente frénésie macabre qui pourrait réduire son cinéma à de la banale série B horrifique comme un tas de tacherons sait le faire. Ce serait faire fausse route que de voir sa filmographie uniquement par ce prisme car derrière toute la violence déployée, le réalisateur américain dessine les contours d’une Amérique gangrénée par le mal.
Sans non plus chercher à nous distiller des sous-textes politiques à la manière d’un Romero, Rob Zombie trouve dans le cinéma d’horreur le parfait sillon pour mettre en scène une vision acerbe d’un pays qui dissimule son côté obscur derrière des masques et où la frontière entre le bien et la mal semble amoindrie. Dès le final de La Maison des 1000 Morts, on comprend que le happy-end n’est pas envisageable chez Rob Zombie. L’héroïne arrive à s’enfouir et dans une reprise de Massacre à la Tronçonneuse (dont le film rend hommage à de multiples reprises), elle tombe sur un homme qui peut la prendre en voiture. Sauf que cet homme, c’est le Capitaine Spaulding. Derrière ses allures de sauveur providentiel se cache un tueur encore plus dingue. Un nihilisme qui va irriguer toute la filmographie de Rob Zombie, dont le sommet est son second long-métrage ; The Devil’s Rejects.
« Dès le final de La Maison des 1000 Morts, on comprend que le happy end n’est pas envisageable chez Rob Zombie. »
Dans cette vraie/fausse suite de La Maison des 1000 Morts, on retrouve la terrible famille Firefly qui doit échapper au shérif Wydell, décidé à se venger de la mort de son frère. Au lieu de s’en tenir au schéma classique où les bons policiers poursuivent les méchants tueurs, Zombie va totalement exploser ces poncifs pour nous placer du côté de la famille de tueurs. Pourtant, si on décèle de l’humanité dans leur rapport (la fin fait resurgir des touchants souvenirs de complicités) et que la structure scénaristique les positionne comme personnages principaux, jamais on ne tombe dans une complaisance malsaine nous faisant adhérer à leurs faits et gestes. Le film nous rappelle toujours qu’ils sont capable de commettre des actes ignobles et la mise en scène ne nous épargne rien dans la retranscription de la violence. Puis si le shérif est aussi capable de torturer des gens, c’est car il porte en lui toute la douleur liée à la disparition de son frère. Chacun est humain, donc. Que l’on se place dans un camp ou l’autre, le film reste identique dans sa substance. C’est avec The Devil’s Rejects que le cinéma de Rob Zombie est à son paroxysme, dans la façon qu’il a de s’en tenir à un état de constatation, positionnant tous ses personnages sur un même pied d’égalité, refusant de disculper ou d’incriminer quiconque. Puisqu’en résumé, ils sont tous pourris.Pas étonnant de le voir en 2007 à la tête du remake d’Halloween. Le chef d’œuvre signé John Carpenter met en scène la personnification même du Mal, une ombre (dans le scénario original, Carpenter l’appelle « the shape« ) portant un masque blanc. Pourtant, au lieu de se contenter de reprendre la même ligne scénaristique, Rob Zombie va complétement s’approprier le matériau d’origine pour le faire s’intégrer avec cohérence dans sa démarche d’auteur. L’attirance du cinéaste pour les masques trouve ici un savoureux écrin puisqu’il va multiplier ses utilisations durant 1h46. Le masque, au même titre que l’uniforme, le déguisement ou le maquillage, est employé comme une façade mais ce qui se trouve derrière n’est pas forcément le reflet de l’image renvoyée en apparence. Le dicton l’habit ne fait pas le moine est plus que jamais vérifié. Dans leur utilisation pervertie, Rob Zombie s’amuse à nous démontrer que le Mal est omniprésent. Qui soupçonne que derrière un enfant masqué se cache un futur tueur sanguinaire ? Exactement comme personne ne soupçonnerait un clown (Capitaine Spaulding), une jeune fille aguicheuse (Shery Moon Zombie dans La Maison des 1000 Morts, Elizabeth Daily dans 31) ou un policier (The Devil’s Rejects) d’être des psychopathes.
Rob Zombie opte pour une plongée dans les origines du cas Michael Myers, afin d’aller voir ce qu’il y avait avant qu’il devienne un tueur monolithique. Comme pour démontrer que l’Amérique est la seule responsable de ses propres monstres, qu’elle les a couvé et en subit les conséquences. Ce Michaels Myers enfant, ça pourrait être le Capitaine Spaulding ou un membre de la famille Firefly. Un plan dans le film symbolise à lui-seul tout le travail de Rob Zombie. Dans la première partie, le Dr Loomis ( savoureuse décision d’avoir opté pour Malcom McDowell, l’ex enfant fou d’Orange Mécanique) donne une conférence sur Myers. Et derrière le Docteur, un diaporama affiche en gros le visage de l’enfant. Par ce plan, Zombie nous propose de regarder droit dans les yeux le Mal et résume ce que pourrait représenter tous ses films : des confrontations sans échappatoires avec des monstres. Comme pouvait le faire Hitchcock dans le final de Psychose où Norman Bates nous fixait et William Friedkin à deux reprises dans L’Exorciste lorsque Reagan tourne sa tête vers nous ou que le Pazuzu, sorti des ténèbres, nous adresse un glaçant regard.Sentant qu’il n’était pas allé au bout de ses idées avec ce remake, Rob Zombie enchaîne avec une suite totalement dingue, où il se libère de la licence pour livrer un résultat désarçonnant et onirique, parcouru de visions saisissantes. On se demandait pourquoi, avec Halloween, le réalisateur américain avait livré une fin optimiste – Laurie achève Michael d’une balle dans la tête. La réponse est qu’on s’était trompé et qu’il avait un plan en deux parties dont on n’avait encore vu que la premier acte. Dans Halloween II, Michael Myers n’est pas mort. Les craintes que le discours tourne à vide sont estompées par le jusqu’au boutisme de Zombie, décidé à s’aventurer sur le terrain de la contamination mentale du Mal. Là où, jusqu’à présent, il en était resté à une forme de barbarie physique.
Le film s’ouvre sur un flashback. On revoit Michael, enfant, qui reçoit la visite de sa mère à l’hôpital psychiatrique. Il lui avoue qu’il a fait un rêve la nuit dernière où elle venait le chercher, vêtue de blanc et accompagnée d’un cheval. Cette vision reviendra à plusieurs reprises durant le long-métrage, jusqu’au final, qui mérite d’être vu dans sa version director’s cut pour en saisir toute la beauté. Laurie, internée en hôpital psychiatrique à son tour, a la vision de la mère de Michael qui vient la chercher. Elle la regarde, affublée d’un sourire satisfait. Le Mal s’est infiltré dans son esprit. Que l’on soit victime ou bourreau, le résultat est identique : il remporte le combat. Dans un magnifique regard-caméra, sur fond de Love Hurts (somptueuse reprise de Nan Vernon), Rob Zombie nous laisse à nouveau contempler, droit dans les yeux, un démon. C’est pour cette fin (visible à cet endroit), et tout le processus de gangrène mentale, qu’il faut absolument considérer les deux volets comme un tout. Non, Halloween ne pouvait pas bien se terminer. Le petit ange blond, par un travail de longue haleine, est irréversiblement devenu un monstre à son tour.Halloween 2 présentait Déborah Myers comme un virus, sorte de grande déesse démoniaque venue contaminer les esprits. Et c’est Sheri Moon Zombie, femme du réalisateur, qui endossait ce rôle. Quoi de plus beau, pour un homme travaillé par la question mal, que de voir sa propre épouse l’incarner ? Avec The Lords of Salem, il va pousser le curseur encore plus loin dans cette voie en réalisant un objet étrange, difficile à cerner de par le rythme, le scénario et les intentions de mise en scène, ayant pour finalité de consacrer un film à son être aimé. Elle traverse le film sous la caméra d’un Rob Zombie qui n’a qu’une seule hâte : l’introniser en tant que grande maîtresse des enfers. Ce qu’il va faire avec brio lors du dernier acte, dingue visuellement, où elle en vient à accoucher d’un démon. Difficile de faire plus explicite… On peut reprocher tout ce qu’on veut au long-métrage mais impossible de nier qu’il s’inscrit avec logique, cohérence et inventivité dans une filmographie qui prend la forme d’un édifice maléfique.
En réponse à l’échec commercial et critique de son dernier bébé, Rob Zombie revient avec 31 à une forme de violence plus « pure », moins sophistiquée. En résulte un survival dans lequel un groupe d’amis se retrouve enfermé la nuit d’Halloween dans une usine avec pour but de résister aux assauts de tueurs déjantés, le tout sous le regard amusé de bourgeois friands de sensations fortes. Tout les marqueurs sont là : du sang, des déguisements/maquillages, des gentils qui vont commettre des actes aussi dégueulasse que les méchants. On reconnaît dès le premier plan le style du réalisateur – Doom Head, le gros bad guy s’avance vers la caméra pour nous parler pendant de longues minutes, les yeux dans les yeux. Nous voilà encore embarqué dans un nouveau tour de montagnes russes au fin fond des ténèbres. A mesure qu’il avance, on constate que le film a parfois des allures de redite, dans tous les compartiments qui peuvent le constituer et on reste avec l’impression que Zombie a atteint un point où, vexé de l’échec de The Lords of Salem, il s’enferme dans une caricature de lui-même. Au point de délaisser ses ambitions d’auteur ?
C’était sans compter sur les dernières minutes – décidément le garçon sait y faire en terme de conclusion, qui viennent chambouler les préceptes de sa filmographie pour entrouvrir une voie que l’on croyait verrouillée à double tour.
— ATTENTION, SPOILERS
Charly (Sheri Moon Zombie) arrive à survivre et peut donc s’échapper. Elle marche dans le désert et un véhicule arrive derrière elle. Son sauveur ? Non. Doom-Head ? Oui. Au lieu de se présenter en victime, la jeune femme sert le poing, prête à affronter le grand méchant. Par un enchaînement de champ contrechamp, les deux personnages se regardent dans les yeux. Ce n’est plus nous qui avons ce privilège, comme ce fut si souvent le cas. Charly s’impose en dernier rempart. Pour la première fois, Rob Zombie laisse entrer dans son modus operandi quelques rayons d’espoir. A l’image de ce dernier plan sur Charly où le soleil inonde le cadre. Preuve que s’il a beau être désespéré, le combat est encore possible. Peut-être est-ce la promesse d’un cinéma qui s’apprête à muter dans des sphères qu’on lui pensait interdites.
Maxime Bedini