JODOROWSKY'S DUNE
© Nour Films

« JODOROWSKY’S DUNE » : l’ambition déchue d’Alejandro Jodorowsky

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Mise en Scène
7.5
Sujet
9.5
Narration
8.5
Analyse
8.5
Musique
7.5
Note des lecteurs6 Notes
6.8
8.3

JODOROWSKY’S DUNE de Frank Pavich, c’est le récit de la conception d’un film, DUNE, par un réalisateur visionnaire, Alejandro Jodorowsky. C’est également un documentaire réussi sur un homme et son œuvre. Passionnant dans sa narration, sa mise en scène et la qualité de son analyse.

JODOROWSKY’S DUNE nous explique que la vision de l’œuvre de Frank Herbert par le réalisateur chilien avait beau être géniale et révolutionnaire, elle ne correspondait en rien à l’idée qu’Hollywood pouvait se faire d’un film de science-fiction. Un film qui plus est, adapté d’un best-seller interplanétaire tel que DUNE. Le projet, après sa phase de préparation, fut donc avorté.
Le documentaire nous présente son réalisateur, nous raconte ensuite pourquoi ce film aurait pu constituer une œuvre maîtresse du cinéma, et enfin nous propose une réflexion sur la folie passionnelle et destructrice.

DUNE, par Alejandro JODOROWSKY.


Affiche US de JODOROWSKY'S DUNE

Ainsi, passé un prologue destiné à mettre dans l’ambiance et à convaincre du potentiel de la chose, le documentaire nous présente son personnage principal, et son PLAN. Jodorowsky nous est donc dépeint par lui-même, puis par ses fans/patrons/employés, enfin par sa famille, représentée par son propre fils. Ces différents points de vue sur le réalisateur dessinent le portrait d’un personnage narcissique et égocentrique, un de ces beaux parleurs qui n’ont pas besoin de grands mots pour impressionner. Un véritable séducteur oral au bagout efficace, précis et direct. Le documentaire confronte ce vieux monsieur prolixe au réalisateur complexe Alejandro Jodorowsky, réalisateur chilien hors du commun dont la filmographie (La Montagne Sacrée, Fando y Lis, El Topo…) parle en son nom ; un homme dont la réflexion métaphysique, la recherche du symbole comme sens caché/explicatif des choses et l’acuité artistique, dénotent une vraie intelligence du média cinéma. Ses films, par leur symbolique poussée et une certaine ampleur métaphysique, ont quelque chose d’entier, de singulier, de personnel. Ils expriment une forme de jusqu’au boutisme et de sincérité, uniques. Ces qualités, associées à sa personnalité, ses réflexions, son talent, sont redirigées vers le spectateur en un maelstrom graphique et émotionnel dément. Alejandro Jodorowsky – Jodo pour les intimes, c’est un de ces rares réalisateurs, à l’instar d’un Stanley Kubrick, d’un Akira Kurosawa, d’un Steven Spielberg et quelques autres, à COMPRENDRE le cinéma, sa force de représentation, son impact.
Mais quelque chose cloche. La personnalité d’Alejandro Jodorowsky ne correspond pas forcément à l’image que l’on se fait de lui en voyant ses films. Elle manque de subtilité.
La première intelligence du documentaire est de proposer au spectateur de prendre du recul par rapport à sa perception du vieux réalisateur. JODOROWSKY’S DUNE met en exergue la dualité de l’auteur, et par là, annonce le futur échec de son entreprise, si géniale soit-elle.

En effet, suite au succès critique de ses précédents films, un certain producteur français, Michel Seydoux, veut à tout prix travailler avec lui. Celui-ci lui donne alors suffisamment de pouvoir pour entamer la pré-production de l’adaptation d’une œuvre littéraire culte, DUNE de Frank Herbert. Or, l’ambition démesurée de Jodorowski le contraint à se faire produire par Hollywood… Le travail préparatoire est censé convaincre les studios de produire le film. Le plan d’Alejandro Jodorowsky est simple : réunir la meilleur équipe technique possible, pour réaliser le meilleur film possible. « Un Dune pour les réunir tous, et dans la folie les lier ».
Étape par étape, le documentaire détaille chaque collaboration. Pourquoi lui ? De quoi est-il capable ? Recrutons le ou non. Ainsi, la fougue volubile et joviale du réalisateur lui permit de convaincre Moebius, recruté pour la qualité cinématographique de ses story-boards (et incidemment, son apport à la D.A.), H.R. Giger et Chris Foss à la direction artistique, Dan o Bannon à la technique. L’ambition du réalisateur ne s’arrête pas là : il souhaitait obtenir un groupe différent pour l’ambiance sonore de chaque planète ! C’est ainsi qu’il approcha, avec succès, Pink Floyd (et dans une moindre mesure, Magma). Niveau acteurs, rien de moins que David Carradine, Salvador Dalí , Orson Welles, Mick Jagger, et même Amanda LearAlejandro Jodorowsky cherchait pour son film, l’impact visuel et esthétique de ces personnalités. Il voulait associer ce qu’ils représentaient dans la mémoire collective, et l’interprétation qu’il auraient donné de protagonistes emblématiques.
Jodorowsky est d’ailleurs tellement habité par sa conception mystique de l’art, qu’il repère immédiatement ceux qui ne correspondront pas à l’énergie de son film. Comme Douglas Trumbull. L’homme était l’artisan responsable des effets spéciaux géniaux et indémodables de 2001 : odyssée de l’espace, un film datant tout de même de 1968 .
Alejandro Jodorowsky refusera de collaborer avec lui, par manque de connexion spirituelle (!!!). Une vision très mystique de la conception d’une œuvre qui ne manque pas de séduire par son approche à mille lieux du conformisme hollywoodien actuel.

Très vite, le réalisateur s’affranchit de toute notion d’héritage ou de respect du matériau original pour en proposer sa propre version. En adéquation avec le reste de son œuvre, le réalisateur Chilien recherche le sens spirituel de DUNE. Il se sert pour cela, d’une représentation par l’image. Une force indicible le guide, comme une présence surnaturelle qui lui indique quel choix faire, ou non. Cette énergie mystique provient de Jodorowsky lui-même qui par sa façon de raconter sa propre histoire, introduit une forme de hasard qui permit à son projet de naître, mais aussi de chuter.

Alejandro Jodorowsky / JODOROWSKY'S DUNE
© Nour Films

JODOROWSKY’S DUNE contient deux films : celui d’Alejandro Jodorowsky, et celui de Frank Pavich.
On perçoit ainsi au travers de ce sujet passionnant, la réalisation peaufinée du documentaire.
D’abord en termes de narration. Car celle-ci, prend adopte le style d’un film de braquages. Le documentaire nous présente ainsi le cerveau (Jodo), la banque (Hollywood), l’équipe composée du mécène (Michel Seydoux) et des braqueurs (talents internationaux, Giger, O’Bannon, Foss, etc.), puis l’exécution du plan. A la différence près qu’on sait que ce hold-up incroyable échouera inexorablement. Pavich réussit par cette narration à transmettre au spectateur une vraie émotion constituée de suspens, d’empathie et d’un peu de méfiance quant à la réussite du projet. Une narration efficace car soutenue par un rythme calculé et précis. La portée de chaque intervention, de chaque mise en image, est maximale. Par exemple, dès les premières minutes, Frank Pavich fait intervenir Nicolas Winding Refn (DriveOnly God Forgives) pour valider l’entreprise d’Alejandro Jodorowsky, avant même que celui-ci en parle vraiment. Une façon élégante de convaincre le spectateur non initié à l’œuvre du réalisateur chilien.

Ensuite, en termes de mise en scène. Intelligemment, Franck Pavich propose de reconstituer ce qu’aurait pu être le DUNE d’Alejandro Jodorowsky.
L’exemple le plus frappant est ce plan séquence introductif, reconstitué par le documentariste. Il réussit par un montage ingénieux d’effets numériques associés au talents de conteur de Moebius et Jodorowsky à donner littéralement vie à DUNE. La scène en question était un impossible travelling avant d’une caméra imaginaire située aux confins de l’univers, et qui se déplacerait à travers galaxies et planètes pour se rapprocher au bout de trois minutes, de la planète des Atréides et Harkonnens et par là, rendre compte de l’ampleur de la guerre intergalactique.
Bob Zemeckis a utilisé un plan similaire (et à l’envers) pour l’intro de son mésestimé Contact.
Il est d’ailleurs assez frappant de constater l’impact général de ce DUNE sur l’inconscient collectif ! Car l’équipe artistique rassemblée pour le projet annulé de JODO sera réunie par la suite pour un autre film monument : Alien, de Ridley Scott.
Le simple fait qu’Alien existe montre l’impact de DUNE par Alejandro Jodorowski sur la pop-culture, malgré la non-existence de ce film !
Sans DUNE, pas d’Alien, (ni de Terminator 2, de Se7en, ou d’Amélie Poulain ;-), pas de Blade Runner, pas de Cinquième élément, ni de Prometheus, etc.

« JODOROWSKY’S DUNE rassemble deux films captivants : celui cinématographique, d’une œuvre définie par la foi inébranlable de son auteur en l’art et celui, documentaire, sur la folie d’Alejandro Jodorowsky. »

Enfin, concernant la partie analytique du documentaire, il sera important ici, de rembobiner :
JODOROWSKY’S DUNE débutait par une succession de plans montrant l’immensité d’un bureau. De travail ? de détente ?
En tous cas, il s’agit clairement d’un espace dédié entièrement à la culture, au cinéma bien sur, mais surtout à l’œuvre entière de son propriétaire, Alejandro Jodorowsky. Cette simple introduction confinée montre d’emblée la mégalomanie et l’égocentrisme d’Alejandro Jodorowsky, tout autant que son éclectisme et l’étendue de sa culture… Des composantes pas forcément antagonistes, mais éloignées, que le documentaire ne manquera pas de mettre en exergue, car elles définissent de manière simplifiée, la personnalité schizophrène d’Alejandro JodorowskyFrank Pavich semble ainsi convaincu de ce DUNE revisité… Néanmoins, il n’oublie pas d’englober avec humilité et discrétion, tous les aspects de la folie passionnelle du réalisateur. Ainsi, une facette dérangeante du metteur en scène nous est par exemple montrée lors de l’intervention judicieusement distanciée de son fils Brontis Jodorowsky. Le jeune homme se souvient de l’extraordinaire entrainement physique imposé par son père, pour le préparer au rôle de Paul Atréides. À 12 ans ! Car Jodorowsky avait refaçonné le personnage de Frank Herbert. À la fin du film, la force corporelle de Paul se trouvait subitement en adéquation avec une totale domination psychique sur toute espèce vivante, décuplée par l’épice, et sa propre mort. Oui, mort, car Jodorowsky voulait faire tuer Paul, pour renforcer l’impact mystique du film. La devise d’Alejandro Jodorowsky, c’était L’ART AVANT TOUT. Même sa propre famille.
Le documentaire finit par mettre en parallèle l’ambition, le génie du réalisateur, la folie qui en découle et la réalité économique. Il introduit ainsi, une forme de doute quant à la véracité des évènements racontés avec fougue par le vieux réalisateur. Son génie écorché est progressivement ramené au statut de simple être humain, capable d’ajuster par orgueil, la réalité des faits. Cela passe par quelques instants « hors sujets » et montrés sans coupe, comme ce long moment ou Jodo caresse son chat, ou ce moment ou le père et le fils Jodorowsky sont confrontés face caméra, ou encore cette humilité soudaine – mais courte, face au DUNE… de David Lynch.

Plus on progresse vers la fin du film, plus on sent chez le réalisateur maintenant « déchu », plusieurs formes de regrets – en filigrane.
Regret d’y avoir mis tant d’énergie aux dépends de sa propre famille. On perçoit ici, un écho au fabuleux film confession d’un autre maître, Hayao MiyazakiLe Vent se Lève… Il Faut Tenter de Vivre.
Regret de constater qu’il n’était finalement qu’un rouage d’une industrie Hollywoodienne n’admettant le talent, que comme ressort commercial.
Regret d’avoir vu son oeuvre d’art science-fictionnelle, reléguée au rang de donnée chiffrée par des producteurs qui n’y voyaient aucun profit possible.
Regret d’avoir raté l’occasion de prouver la puissance d’une vision métaphysique et symbolique associée à une oeuvre grand public et mondialement connue, comme DUNE.

Au final,  JODOROWSKY’S DUNE est un film passionnant sur une oeuvre qui ne verra jamais le jour mais qui n’en demeure pas moins fondatrice de la culture telle qu’on la connaît maintenant.
C’est également un documentaire réussi, sur l’ambition, la passion et la folie. À propos d’un homme finalement assez complexe, en dépit des apparences, Alejandro Jodorowsky.
Frank Pavich réussit même l’exploit d’influencer à son tour le Cinéma : le film The Death of « Superman Lives » What Happened ? reprend à propos du projet avorté de Tim Burton, les mêmes ressorts dramatiques. Bravo.

Georgeslechameau

D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?

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Affiche du film JODOROWSKY'S DUNE
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• Titre original : Jodorowsky’s Dune
• Réalisation : Frank Pavich
• Acteurs principaux : Alejandro Jodorowsky, Nicolas Winding Refn, Michel Seydoux, H.R. Giger, Amanda Lear
• Pays d’origine : U.S.A.
• Sortie : 16 mars 2016
• Durée : 1h25min
• Distributeur : Nour Films
• Synopsis :Ce film est présenté à la Quinzaine des Réalisateurs 2013. Un documentaire sur les coulisses d’un projet avorté, l’adaptation du roman de science-fiction Dune par Alejandro Jodorowsky dans les années 1970.

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