S’il est surtout connu du grand public comme acteur de talent, Sean Penn a tout de même déjà réalisé 4 longs métrages avant THE LAST FACE, présenté à Cannes cette année en compétition officielle. S’il prend son temps entre chaque film, Sean Penn fait tout de même partie des « habitués » de Cannes, puisque son premier long-métrage The Indian Runner (1991) fut projeté à la Quinzaine des réalisateurs, tandis que The Pledge (2001) avait quant à lui déjà été sélectionné pour la palme d’or. Entre ces deux films, il n’aura réalisé qu’un long métrage (The Crossing Guard, 1995). Cette « traversée du désert » toute relative entre son second et troisième film peut s’expliquer en partie par la réception du public très peu emballé par l’histoire alambiquée de Crossing Guard, alors que les critiques de l’époque lui donnèrent un blanc-seing après son premier film qui lui avait assuré une côte arty rebelle. Crossing Guard ne récolta en effet que 800 000 dollars contre 9 Millions de budget (avec Jack Nicholson, David Morse et Robin Wright tout de même). Aujourd’hui, le film a très mal vieilli. Si l’histoire générale de Crossing Guard pêche déjà par les bons sentiments, c’est bien la réalisation du film qui est devenue totalement kitsch. Sean Penn aurait du, entre autre crime, être alors arrêté pour abus de ralenti sur musique d’ascenseur.
Les « bons sentiments » c’est bien ce qui définit le cinéma de Penn lorsqu’il est derrière la caméra. Tous ses films tentent de tirer la larme au spectateur, parfois habilement comme dans son excellent court-métrage 11’09″01 – September 11 sur les attentats du World Trade Center, ou même dans Into the wild, qui lui permit véritablement de renouer avec le succès publique, The Pledge ayant récolté seulement un succès d’estime (encore une fois, le réalisateur ne rentrait pas dans ses frais, avec encore une fois un Jack Nicholson pourtant excellent !). Comme pour Crossing Guard, The Pledge est mal rythmé, rébarbatif et sans véritable proposition cinématographique. Ces deux films souffrent d’un manque flagrant d’écriture visuelle, nécessitant presque une heure et demi chacun pour mettre en place une intrigue poussive, avant un dénouement qui devrait être spectaculaire, finit en fait par harasser le spectateur.
Le problème majeur de Penn est de croire qu’en montrant de très bons acteurs pleurer à l’écran, cela va provoquer chez le spectateur la même diarrhée lacrymale, et plus largement une forme d’empathie. En confondant sympathie (les personnages sont des gens biens) et empathie (le spectateur s’identifie aux personnages, à l’histoire), Penn manque de fondations solides pour bâtir quoi que ce soit. Sans cette base, Penn essaye une multitude de petites expériences visuelles qui finissent toutes, peu ou proue, par échouer. On en voit tout simplement pas la cohérence. Into the wild évitait cet écueil jusqu’à son final, une fin à la sécheresse malheureusement corrompue par une vision d’Éden réconciliant notre héros malchanceux avec l’idéal de famille american way of life. Entre 11’09″01 et les 3/4 de Into the wild on peut avancer que Sean Penn est à l’aise cinématographiquement lorsqu’il travaille dans la contrainte (peu de personnages, un enjeu simple), bien qu’il s’entête à vouloir faire de grandes fresques sentimentales.
En examinant le pitch de THE LAST FACE on peut craindre une énième déclinaison de ce problème de l’exacerbation artificielle des « bons sentiments ». Charlize Theron
y incarne une directrice d’une ONG intervenant au Libéria en guerre, qui tombe amoureuse d’un docteur de son équipe (Javier Bardem, avec au casting également Adèle Exarchopoulos et Jean Réno). Des dissensions sur la façon de gérer la crise humanitaire vont amener le couple à se déchirer.
Vous les voyez les larmes en gros plan ?
Parce que oui, en plus de centrer ses histoires autour de véritables chutes du Niagara de l’âme humaine, Sean Penn a la fâcheuse tendance à abuser des gros plans. Un choix de réalisation d’ailleurs assez étrange quand on connaît la propension des acteurs à vouloir jouer avec le décors et les accessoires pour exprimer leurs émotions. Il est difficile de voir dans le cinéma de Penn ce qu’il a appris en tant qu’acteur, ce qui est plutôt dérangeant pour un comédien passé de l’autre côté de la caméra.
Nous ne sommes pour autant pas à l’abri d’une bonne surprise. Le choix de Charlize Theron après son interprétation de Furiosa dans Mad Max : Fury Road laisse peut-être entrevoir un rôle de femme forte, dont la fonction nécessite une internalisation des sentiments. La photo en une de cet article va dans ce sens.
Information qui n’est pas des moindres, Valéria Golino, membre du jury cette année, a joué un des rôles principaux dans le premier film de Penn, The Indian Runner.
Thomas Coispel