Fabien Dovetto & Aurélien Milhaud ont réalisé LE VRAI LIEU, un conte utopique sur deux exclus de la société cherchant une forme de rédemption dans une quête chevaleresque. Rencontre avec Aurélien Milhaud, le co-réalisateur et co-auteur du film.
D’où vient l’utopie du « vrai lieu » ?
En sortant, avec Fabien Dovetto, de la projection de notre dernier court-métrage, L’ange et la mort, nous avons poursuivi par une soirée où se rencontraient des aspirants réalisateurs, techniciens et comédiens. Nous sommes partis assez déprimés de cette soirée, à cause du pessimisme ambiant des professionnels présents. Sur le chemin de retour, on s’est trouvés à marcher au-dessus d’une voie de chemin de fer, d’entrepôts désaffectés, de friches, etc. Sans se parler, on a eu chacun les images d’un film en devenir. Bien après on en a reparlé et le film s’est écrit autour de la quête impossible de deux amis, en recherche d’un mystère : « le vrai lieu« . Le début du film a d’ailleurs été tourné à l’endroit où l’idée a germé.
LE VRAI LIEU est né d’un désir d’un certain type d’images cinématographiques. Le nom même « le vrai lieu » vient quant à lui du poète Yves Bonnefoy, qui le décrit comme un lieu imaginaire rattaché à l’enfance, une utopie nostalgique. On peut dire que le film est la rencontre d’une envie d’images, de cette lecture et d’un besoin viscéral de faire un premier long métrage. Le scénario a été écrit très vite après cette première idée, suivi d’un tournage presque dans la foulée, car on voulait trouver notre film sur la route. Poursuivre la même quête utopique que nos personnages. On ne pouvait pas attendre de trouver des financements, une subvention ou même les retombées d’une campagne de crowdfunding. On est parti avec une caméra, un enregistreur son et nos trois comédiens. On a fait ce film à cinq personnes, en alternant les postes techniques. LE VRAI LIEU n’est pas inscrit dans quelque région que ce soit. Ce sont plutôt des « paysages de l’âme ». Ils sont dés-identifiés : c’est «une » ville (et pas Paris) ou « un » champ et pas forcément tel image d’Épinal du Sud. Même en tournant dans le quartier de la Défense, on brouille les repères. Nous ce qui nous intéressait c’était les buildings de verre, afin de retrouver une ambiance à la Playtime de Jacques Tati. On donne beaucoup d’importance tout le long du film, à la notion d’archétype. Nos personnages, nos lieux, notre histoire sont des combinaisons d’archétypes afin de retrouver certains aspects universels du conte.
Comment avez-vous décidé de la division entre un mentor et un disciple plus « naïf » ?
L’écriture des personnages a été nourrie de références comme Don Quichotte et Sancho Panza, ou même le duo formé par Jean-Louis Trintignant et Mathieu Kassovitz dans Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard. Très tôt dans l’écriture, le duo de personnages est apparu tel quel, en surimpression des paysages « intérieurs ». Une sorte de gourou et son disciple, un peu naïf, comme un enfant vierge d’à prioris ou de vices. Ce personnage allait nous servir à réenchanter un monde assez dégueulasse.
En voyant le film on se dit qu’il y a une affinité entre d’une part ces deux marginaux qui cherchent ce lieu utopique, et d’autre part les artistes dans la vie réelle, animés d’un idéal jusqu’au-boutiste… aux conséquences dramatiques !
Nous avons écrit la fin au début ! C’est ce qu’on avait de plus clair en tête durant le processus d’écriture puis de tournage. On savait que ça allait finir comme ça et c’était notre fil conducteur. On assume totalement la portée du message car ce film est la transposition de ce qu’on ressent en tant qu’auteurs-réalisateurs. On se sent marginal dans ce monde. Pour autant, la fin est assez ouverte, elle peut être vu comme dramatique ou comme une libération. C’est à chacun de tirer sa propre interprétation. L’engagement que nécessite la recherche du « vrai lieu » – ou que n’importe quelle démarche artistique, intellectuelle ou scientifique – est tel, qu’on ne peut pas se contenter de demi-mesure. Cela demande un engagement total. Il n’y a pas d’autres issues. Même face à un mur, on ne peut pas reculer. Il faut faire don de soi de manière absolue.
Quel a été votre modèle pour vous lancer ?
J’aurais du mal à parler de « modèle » dans la configuration du cinéma indépendant en France. Beaucoup de choses se font, mais sans forcément de manière pré-établie. Il se passe quelque chose dans notre pays sur ce point, c’est sûr, mais c’est difficile à cerner encore. De nombreux jeunes réalisateurs prennent en main leur cinéma car le financement traditionnel est compliqué. Plutôt que d’attendre de longues années pour avoir l’autorisation de faire leur film, ils préfèrent réaliser leur vision par leurs propres moyens. Des réseaux de diffusion appropriés se mettent en place, notamment via la VOD (Video On Demand). C’est sans doute la déclinaison de mouvements cycliques : il y a eu la Nouvelle Vague en France, le Nouvel Hollywood et maintenant peut-être vit-on la même chose aujourd’hui. Même si le cinéma indépendant est pour l’instant mis de côté par les professionnels des filières classiques. Comme s’ils ne prenaient pas assez au sérieux ce qui se passe. C’est bien dommage…
« Le cinéma, comme la recherche du « vrai lieu », demande un engagement total. »
Il y a quand même eu des films tel Dealer ou Donoma qui ont proposé un regard original, suivi par pas mal de monde. Quelque chose se développe, prend forme, et ce serait vraiment dommage si ça restait à la marge. Pour l’instant, lorsqu’on produit et réalise un film en indépendant… on reste cantonné à une diffusion du circuit indépendant, donc à la marge. On en arrive à imaginer nos propres modèles de diffusion. Les quelques institutions comme l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) ou le GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques) ne suffisent plus. On a l’impression que la décision politique c’est de nous donner trois billes pour qu’on s’amuse avec.
Sans parler du cinéma de genre, grand oublié en France…
Naïvement on se dit que les festivals sont justement là pour encourager ce type de cinéma, non ?
Bien sûr. Mais c’est compliqué car les festivals ont tous envie que leur événement attire l’attention médiatique. Cela signifie souvent inviter des personnalités déjà connues. Ou alors certains films sont trop « hors-norme » pour s’adapter au reste de la programmation. Ce sont des goûts tout de même assez codifiés, ce qui conduit à sélectionner des œuvres formatées, même si elles le sont autrement. A la base on a fait le film dont on avait l’envie viscérale, même si aujourd’hui on se dit qu’il ne rentre dans aucune « case » prédéfinie ! Ça n’empêche pas de trouver un public réceptif sur internet.
propos recueillis par Thomas Coispel
LE VRAI LIEU est disponible gratuitement sur la chaîne YouTube des Evadés de la Fiction.
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