Jamais les tueurs en série n’ont autant eu le vent en poupe : documentaires, fictions ; l’horreur fascine, intéresse. Vendredi 13, Les griffes de la nuit, Massacre à la tronçonneuse… Depuis ses débuts, le cinéma d’horreur cherche à nous effrayer par le ressort de la violence physique. Le sang, la torture, les cris, autant d’aspects qu’on associe à la peur, à l’irrationalité et qui nous traumatise bien au-delà de l’œuvre en tant que telle. Là où le format « slasher » semble avoir fait son temps, car fictif, l’horreur psychologique, elle, est d’autant plus violente qu’elle est réelle.
Les réalisateurs l’ont d’ailleurs bien compris en créant des œuvres inspirées de véritables criminels. L’excellente série Mindhunter de David Fincher avait d’ailleurs lancé cette tendance. Par la suite, les documentaires retraçant l’histoire de tueurs en série comme Don’t F**k with Cats ainsi que les fictions comme Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile ont connu de véritables succès. Les ressorts psychologiques sont intéressants car ils nous conditionnent à devenir ce que nous sommes. Le basculement entre la normalité et la folie peut être très fragile tant il est régi par des facteurs à la fois communs mais propres à chacun. Qu’est-ce qui nous fascine et nous perturbe dans ce genre horrifique ?
On est face à des criminels qui savent s’exprimer, qui sont intelligents et conscients de leurs actes, d’eux-mêmes. Ils transmettent un sentiment de normalité dans leur comportement. On se dit facilement que ça pourrait être notre voisin, quelqu’un qu’on croise régulièrement sans se douter, une seule seconde, de ses intentions. La folie qu’on associe à la grandiloquence de la violence, des gestes, de la bipolarité, est, ici, totalement dénaturée par le comportement « normal » que les criminels laissent transparaître en société. La clairvoyance d’esprit et l’intelligence dont ces criminels font preuve malgré les actes qu’ils commettent font froid dans le dos. Cela les rends inhumains, froids, dénués de tous sentiments envers les autres, comme une folie maîtrisée. Dahmer s’inscrit dans cette continuité.
De l’enfance à l’âge adulte, on comprend comme Jeffrey a franchi la limite de la décence : un contexte familial complexe, des hobbies douteux, une solitude, du cœur et de l’esprit, appuyée par une vie sociale triste. L’épisode 1 annonce directement la couleur de la série. On prend connaissance du protocole de Jeff pour attirer ses victimes. Mais ça ne va pas se passer comme prévu, sa victime arrive à s’échapper et à prévenir la police. L’ensemble du premier épisode, de sa tentative de meurtre à la voisine en passant par l’arrestation du tueur, tout nous laisse comprendre que l’écosystème des prochains épisodes va porter sur les prémisses de cette arrestation.
Dès lors, on se fait déjà une idée sur certains personnages, notamment Glenda, la voisine de Jeffrey, qui aura un rôle déterminant tout au long de la série. Si cet épisode est centré sur Jeffrey, les prochains vont davantage se porter sur les victimes et les dégâts collatéraux que ces meurtres ont provoqué sur les familles. Les épisodes 8, 9 et 10 montrent, d’ailleurs, la tentative de reconstruction de l’entourage des martyrs, essayant tant bien que mal de revivre après ces tragiques événements.
La série est très révélatrice du contexte de l’époque (des années 60 aux début des années 90) et parvient à nous faire comprendre comment ce criminel tristement célèbre a pu passer entre les mailles du filet. Les problèmes sociétaux, comme le racisme et l’homophobie, sont habillement montrés par les protagonistes, notamment la voisine de Jeff qui savait qu’il se passait des choses étranges, mais qui n’ a jamais été prise au sérieux par la police, du fait de sa couleur de peau. L’homosexualité n’était pas encore accepté dans les mœurs et cette homophobie bien ancrée a engendré un désintérêt de la police pour ce genre d’affaires.
C’est en ayant conscience de ce contexte que Dahmer a choisi des victimes, des personnes majoritairement étrangères, homosexuelles, qui n’attiraient, de ce fait, pas l’attention des forces de l’ordre. Il n’hésite, d’ailleurs, pas à en jouer auprès des policiers, notamment quand deux agents l’interrogent sur l’état de santé d’une de ses victimes, un jeune asiatique de 14 ans, où Jeffrey explique qu’il s’agit de « trucs de gays » pour ne pas éveiller les soupçons. Pendant 10 épisodes, on bascule entre les interrogatoires de Jeff, le point de vue des victimes et les ressentis de son père. On perçoit une atmosphère pesante qui se transmet entre les différents protagonistes. Côté distribution, Evan Peters est brillant dans son interprétation. Déjà habitué à cet exercice avec ses rôles récurrents dans American Horror Story, cette performance lui confère une autre énergie, plus glaçante, plus froide. L’acteur a d’ailleurs révélé que Dahmer a été le rôle le plus compliqué à interpréter, tant le personnage est complexe et dénué de toute émotion.
Niecy Nash, qui interprète Glenda Cleveland, voisine de Jeff, est d’une justesse imparable. On ressent sa frustration et son impuissance face aux événements. N’oublions pas le père, Lionel Dahmer, interprété par Richard Jenkins. Un père qui bascule entre la culpabilité de ne pas avoir fait ce qu’il fallait pour aider son fils, la tristesse de voir sa progéniture sombrer, la colère de ne pas avoir décelé ses vices. Malgré cela, on ressent tout l’amour qu’il lui porte et le jeu d’acteur de Jenkins est troublant tant il dégage beaucoup de sincérité.
Il y a un personnage qui a marqué cette série et qui a bouleversé le public, c’est Tony. Interprété par Rodney Burford, Tony est un jeune homme sourd qui s’installe à Milwaukee pour devenir mannequin. Il rencontre Jeffrey lors d’une soirée et commence une relation avec lui. Les deux épisodes qui lui sont consacrés nous montrent la relation qu’entretienne les deux individus. Jeffrey semble pris d’affection pour Tony et décide d’engager une relation saine avec lui. Ces deux épisodes marquent un changement de style : d’abord dans la conception de l’épisode, où l’on se projette dans la peau d’un malentendant, puis dans la relation inhabituelle qu’entretient « le cannibale de Milwaukee » avec Tony.
On constate, et on espère, que ce dernier a provoqué un changement de comportement envers Jeffrey, que son affection va perdurer pour vivre une belle histoire. Seulement, chassez le naturel, il revient au galop. La pulsion meurtrière est incontrôlable pour Dahmer, qui finit par avoir raison de sa victime. À cet instant clé, il est condamné à vivre avec cette folie meurtrière, aucun retour en arrière n’est possible.
La dernière partie de la série pointe du doigt l’un des aspects sociologiques de la mise en lumière de Jeffrey Dahmer : la fascination. Si pendant 8 épisodes, Dahmer est timide, peu sûr de lui, en retrait et marginal, la prison change la donne. L’amour morbide et l’admiration qu’il engendre sur ses admirateurs, via des lettres, change littéralement son comportement. Il reçoit de l’argent, ses fans lui font des déclarations d’amour, le décrive comme une sorte de super-héros au travers de bandes dessinées. Jouissant d’une notoriété naissante, il prend de l’assurance, se montre irrespectueux avec les autres détenus, condescendant, ce qui mènera à sa perte malgré une découverte tardive de la foi en Dieu. Cette mise en spectacle est intéressante car elle met en avant ce qui a pu être reproché au créateur de DAHMER, Ryan Murphy, à savoir sa fascination pour cet homme.
Cela entraîne aussi une autre question : est-ce nécessaire de mettre en lumière des tueurs en série ? D’un côté, cela permet de mieux aborder la psychologie humaine et de comprendre par quels ressorts un être humain peut être amené à commettre des choses inhumaines. D’un autre côté, cela met en évidence le rapport à la célébrité et les conséquences comportementales que cela engendre sur les individus. La notoriété, qu’elle soit positive ou négative, nous met sur un piédestal et modifie notre vision du monde, des autres. Un propos qui est retranscrit de manière très pertinente dans l’œuvre de Ryan Murphy. Au final, DAHMER jouit d’un superbe casting et d’une retranscription des faits cohérentes. Mais à travers une mise en scène froide, malsaine, dérangeante, Ryan Murphy n’a-t-il pas voulu nous écœurer de l’intérêt que l’on porte, désormais, à ces criminels ?
Amaury Dumontet
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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• Créateur.rice.s : Ryan Murphy, Ian Brennan
• Acteurs : Evan Peters, Richard Jenkins, Penelope Ann Miller
• Date de sortie : 2022
• Durée des épisodes : 60 minutes