Il a suffit de 3 films pour qu’on se rende compte de l’étendue du talent de Jeff Nichols et pour affirmer qu’il est déjà un réalisateur qui compte dans le paysage cinématographique américain.
Ce texte est susceptible de révéler des éléments du scénario, il est conseillé d’avoir vu le film au préalable avant de le lire.
En sortant coup sur coup Take Shelter et Mud en l’espace d’environ un an, on avait pas encore le temps, à l’époque, de digérer ce qu’ils proposait, de se mettre à attendre ses prochains films. La donne a changé avec MIDNIGHT SPECIAL envers lequel on a placé bon nombres d’espoirs et c’est là que le plus compliqué commence pour Nichols, qui va devoir faire avec des attentes multipliées et une plus forte propension à la déception.
S’il abordait le film catastrophe avec retenue dans Take Shelter, Jeff Nichols a décidé d’embrasser cette fois avec plus de frontalité le film de genres, en s’attaquant à la science-fiction sans viser forcément un minimalisme visuel. Les deux projets différent sur ce point (preuve d’une ambition que le réalisateur américain a décidé d’assumer pleinement) tout en étant très proches dans les thématiques et les enjeux qu’ils déploient. Au point de se répondre. On retrouve un père obstiné qui se bat contre un groupe plus nombreux afin d’aider sa famille. La quête d’enfermement de Curtis dans Take Shelter s’oppose à la fuite en avant de Roy dans MIDNIGHT SPECIAL. Ce dernier prend des allures de road-movie où la destination n’est qu’une question de croyance.
Voilà un autre thème que Nichols se plaît encore à développer et qui s’applique autant aux protagonistes qu’aux spectateurs. Rien ne nous dit que ce que vers quoi tend la petite famille en fuite existe réellement. Tout ne tient que sur des croyances, sur des on-dits et il se peut que l’aboutissement soit un pur échec. On est sans cesse relancer par un flux d’informations qui nous arrive avec intelligence et qui est inscrit dans une logique de montage voulant d’abord nous rendre interrogatif pour ensuite nous porter une réponse. Dans cette optique, le long-métrage fait des choix clairs de coupe, le tout dans une ambiance opaque renforcée par les nombreuses scènes la nuit ou au crépuscule. Les ellipses sont autant utilisées pour tester notre croyance que pour entretenir le suspense. Au milieu du film, Roy et Alton se séparent de Lucas (un ami de Roy) et Sarah (la mère d’Alton). Le petit garçon demande à son père de voir le soleil, – chose qui lui était impossible auparavant. Le père accepte et nous assistons à une bonne partie de la scène mais pas à l’intégralité. Ce qui manque nous sera ensuite conté et ça sera à nous d’y croire ou non.
Ce qui est bouleversant, et c’est une des beautés du scénario, c’est que les personnages ont décidé d’y croire. Jusqu’au bout, sans faille, par amour. Ils n’en savent guère plus que nous sur ce qu’ils trouveront au fameux endroit à cette fameuse date mais ils le font. La mère d’Alton a conscience que si tout se réalise, elle perdra son fils et pourtant elle continue dans la même voie. Dès qu’un personnage flanche, ce n’est que l’espace d’un instant, il revient vers son but inital très rapidement, le plus souvent sous l’impulsion de Roy (formidable Michael Shannon), sorte de locomotive inarrêtable. Dans la dernière ligne droite du film, au point de rupture, il assumera ce rôle jusqu’à au bout dans une scène d’une puissance émotionnelle inouïe et pourtant d’une simplicité désarmante. Alton se dirige avec sa mère vers le point de rendez-vous et le père échange un dernier regard avec son fils. Aucun mot, juste un champ-contrechamp en forme d’accomplissement de ce pourquoi il s’est battu durant tout le film. Il laisse percevoir qu’il peut se laisser submerger par ses émotions mais il se retient. Ce vers quoi le film aspirait depuis le début, la dissolution de la famille, répond à Take Shelter où la finalité était la réunification. Les deux conclusions sont résolument tournées vers l’optimisme, sans qu’on ne puisse omettre qu’elles sont empreintes de douleur.
En plus d’être une nouvelle pierre précieuse à ajouter à la filmographie de Jeff Nichols, MIDNIGHT SPECIAL est un magnifique film sur la paternité.
Le cinéma de Nichols a toujours été un cinéma de l’intime. Il réitère sa formule en se concentrant sur la famille et fait le choix de mettre de côté des éléments amorcés par le scénario. Par exemple, le ranch sur lequel nous avons peu d’informations est développé au rabais, l’enjeu de film ne se situe pas sur ce versant, pas sur ce qui est déjà là mais sur ce qui sera là – d’où cette perpétuelle fuite des protagonistes. Ces deniers sont aussi esquissés et réduit à un minimum de caractérisation sur leur passé. Nous soulignons dans les premières lignes, que Nichols faisait preuve d’une plus grande ambition d’un point de vue formel, en livrant des scènes plus amples en terme de fantastique et d’action. Comme en témoigne le final, ancré dans un registre merveilleux qui nous surprend par son jusqu’au boutisme visuel. On reste bouche bée devant la beauté des images mais ce qui se joue est plus l’émancipation d’un enfant que la découverte d’une race extraterrestre. Le bouillonnement émotionnel nait donc de l’acceptation des parents de se délester de leur statut autoritaire afin de voir leur enfant prendre son propre chemin, pour son bien.
Le récit d’initiation se motorise à l’envers : l’enfant guide les parents vers un point qui les fera s’accomplir dans leur rôle. Il n’est pas innocent, malgré la maigre quantité d’informations, de savoir que Roy a repris son statut de père depuis peu, l’enfant ayant grandi dans une autre famille durant tout ce temps. Le tourment des événements, autant que la mise en scène enivrante, impose à Roy d’apprendre à assumer son rôle. Et vite. MIDNIGHT SPECIAL rejoint logiquement un grand film de SF des années 2000 : La Guerre des Mondes de Steven Spielberg (tiens, tiens…) où Ray se retrouvait contraint face aux événements de devenir un père, aidé par ses enfants. Dans un ultime plan, Roy contemple le ciel. L’épanouissement qu’il affiche est le plus belle preuve qu’il faut savoir prendre sur soi pour permettre l’envol de son enfant. Il comprendra, in fine, qu’il a fait le bon choix lorsqu’Alton lui renverra l’éclatante lumière de son bonheur. En plus d’être une nouvelle pierre précieuse à ajouter à la filmographie de Jeff Nichols, MIDNIGHT SPECIAL est un magnifique film sur la paternité.
Maxime Bedini
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• Réalisation : Jeff Nichols
• Acteurs principaux : Michael Shannon, Jaeden Lieberher, Joel Edgerton
• Durée : 1h51min